Plus les mobilisations sont importantes, plus leurs prétextes doivent rester minces. De ce régiment de cavalerie législative que l'on connaît dans le civil comme LOI n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, on n'a voulu retenir, au point de le soumettre seul au Conseil constitutionnel, que cet article 8 instituant ce contrat dit de première embauche. Le reste de la troupe, lui, est resté dans l'ombre. Offrons-lui donc, un temps, la lumière du jour.

L'article 2 de la loi institue une "formation d'apprenti junior", plus connue sous l'appellation d'apprentissage dès quatorze ans. Les articles 9 et 10 encadrent la pratique des stages en entreprise. Le 11 institutionnalise, sur le modèle des conventions éducation prioritaire de l'IEP Paris, des modalités spécifiques d'accès aux classes préparatoires pour les élèves issus de ZEP. Le 23 impose aux nouveaux exploitants de débis de boissons une formation portant en particulier sur la réglementation relative à l'alcoolisme. Les articles 26 à 36 étendent le dispositif des zones franches urbaines. Le 38 et le 39 fondent l'Agence nationale pour la cohésion nationale et l'égalité des chances. L'article 41 permet aux agents de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations de constater celles-ci par voie de procès verbal. Et de son côté, l'article 49 autorise, sur décision du Président du Conseil général, la suspension du versement des prestations familiales aux familles dont l'un des enfants cause des troubles.
Quelques carottes, un gros bâton. Un fourre-tout totalement V ème et demi, par lequel le législatif se rassure après la crise dite des banlieues, et s'assure contre l'accusation de n'avoir rien fait pour soulager le mal social. Et c'est par cette pièce rapportée de l'article 8 que le Premier ministre a, en partant de ce contre-feu, allumé l'incendie.

Comment s'en étonner ? Comment ne pas remarquer, avec la prudence que l'on doit garder s'agissant d'impressions de journaux télévisés, l'agitation qui, à l'inverse de novembre, semble régner dans les petites universités provinciales, Poitiers ou Rennes, et contraste avec, au moins du côté des étudiants, le calme que l'on trouve à Paris 8 et, semble-t-il, Paris 13, les deux principaux établissements d'enseignement supérieur de Seine Saint-Denis ? Car cet article 8 est spécifique en ceci que, seul de la loi, il s'adresse à une classe d'âge dans son ensemble, et ne vise pas uniquement, à l'intérieur de cette même catégorie, une population socialement marquée comme défavorisée. Il égalise, en somme, les destins sociaux, et, dans son rappel global à la précarité du réel, efface la distinction entre la fille du notaire poitevin, et le fils de l'ouvrier algérien d'Aulnay-sous-Bois, annule l'écart entre cette toute petite noblesse d'État qui éprouvera le plus grand mal à hériter des positions parentales, et ces nouveaux venus dont les pires sont en prison, et les meilleurs, par ce circuit spécial que la loi vient conforter, à Sciences-Po.
C'est précisément pour échapper à ce réel qui transpire sous l'article 8 que l'on va s'enfermer à l'université. Et, tant qu'on y est à l'abri, on conserve, à force de trépigner comme un enfant gâté, cette capacité d'exiger, et d'obtenir, faute d'effet sur un réel qui n'en a cure, de ceux qui font la loi qu'ils retirent un texte si peu conforme à ses illusions.