On pourra de bien des façons commenter l'opération annoncée aujourd'hui, et dans laquelle SEB, "leader mondial du petit équipement domestique" rachète Supor, le premier fabricant chinois d'articles de cuisine, grand spécialiste de cet outil vital qu'est le cuiseur de riz.

L'histoire officielle qui ressort des publications du groupe, en particulier du dernier rapport annuel, pardon, annuel et de dévelopement durable selon l'intitulé de ce bizarre objet financio-larmoyant, derrière la surabondance de discours politiquement conscient, trahit l'aveu d'échec de cette exception qui vit dans la Société d'Emboutissage de Bourgogne un des derniers spécialistes du tout made in France. Or aujourd'hui il s'agit moins, comme tout le monde, de produire en Chine parce que les coûts y sont moindres et que, pour les consommateurs, seul le prix compte, que d'aller chercher ces derniers là où, à la différence de l'Europe, leur nombre augmente : hier, c'était l'Amérique du Sud, avec les rachats de Panex et Arno au Brésil et Samurai en Colombie, et aujourd'hui, c'est la Chine.
Le regard acerbe du journaliste des Echos, relève, lui, la bizarre évolution de l'action Supor qui, au plus bas en avril dernier après deux années de baisse presque continue depuis son introduction en août 2004, s'est depuis formidablement redressée au point d'afficher une hausse de 156 % depuis le premier janvier. Certains, en effet, ont su pleinement profiter des informations qui comptent, et l'on peut parier qu'ils se trouvent essentiellement côté chinois. Survenant bien tard, obésissant à des modalités complexes, financée une fois de plus par un endettement qui ne cesse de croître, l'opération semble a priori tout sauf optimale.

Mais la réaction la plus surprenante, et la plus convenue, provient de la déléguée CGT de l'entreprise, pour laquelle SEB "vole les emplois" de ses salariés. Il n'est pourtant nul besoin, pour trouver des sous-traitants en Chine, d'y racheter des entreprises, et en mettant la main sur le principal producteur local de cuiseurs de riz SEB n'espère sans doute pas en faire un accessoire indispensable dans les cuisines occidentales, et encore moins les produire en France pour les exporter en Chine ; ce rachat, en somme, ne fait que prendre acte d'une situation que l'entreprise a longtemps niée, se rêvant, avec ses marques et sa qualité, à l'abri des contraintes usuelles. Or, la loi est la même pour tous : et depuis longtemps les marchés intéressants, ceux qui s'ouvrent à la consommation et assurent ainsi une forte croissance pour de longues années, ne se trouvent plus en Europe.
Quel besoin, alors, de transformer ce qui est prise en compte à la foi des contraintes macroéconomiques et de son impuissance à influer sur les décisions des consommateurs en cette sorte de délit qu'il y aurait à reprendre cet emploi dû on ne sait pour quelle raison, peut-être parce qu'une entreprise capitaliste dans une économie ouverte ne saurait avoir d'autre justification que de fournir du travail en abondance et en permanence, et devrait donc être capable de modifier à cette fin l'environnement économique, politique, social, réglementaire, ce qu'elle est non seulement incapable de faire, mais qu'on lui reproche même d'essayer de faire quand, par le biais de ses instances représentatives, elle cherche à s'opposer à ces développements réglementaires qu'elle juge contraires à ses intérêts ?
Le syndicaliste, lui, dans sa sphère autonome, peut échapper aux contraintes du réel : et pour lui, il est bien plus simple, rentable et rassurant de s'en tenir au vieux monde de la lutte des classes, de vivre dans le manichéisme et d'accuser son patron voleur plutôt que son voisin qui l'appauvrit.