patrimoine
Dans le calendrier bien réglé de l'information télévisée, le mois de
septembre tient une place à part. Reprise de l’activé après la
torpeur estivale oblige, il débute avec cette inévitable succession
de sujets consacrés à la rentrée des classes, inscrits dans une
séquence qui démarre dès la mi-août pour prendre fin un mois plus
tard, tout en présentant, d'année en année, systématiquement les
mêmes points, du coût des fournitures scolaires à la défaillance des
autorités incapables de répondre, en quantité comme en qualité, aux
besoins en matière de personnel enseignant. On sait que ces sujets
toujours refaits et toujours à refaire sont désignés par le
sobriquet de marronniers : et, en l'espèce, la forêt de septembre se
montre particulièrement riche.
Les journées du patrimoine offrent une autre occasion de s’immerger
dans la rassurante routine télévisuelle. On défile cette fois-ci
devant les, et à l'intérieur des, palais de la République,
exceptionnellement ouverts au bon peuple qui s'infligera des heures
d'attente pour avoir le droit de contempler un lieu de pouvoir, tout
en nourrissant l'espoir déraisonnable de réussir à approcher un
puissant.
Bien au-delà de la seule pompe officielle, les journées du patrimoine fournissent pourtant à des acteurs extrêmement divers, publics ou pas, gros ou petits, professionnels comme amateurs, l'occasion de donner à tout un chacun accès à un bien de nature très variable, et, souvent, privé. Aussi vaste qu'hétéroclite, le programme composé dans chaque métropole garantit au curieux de trouver une sortie adaptée à ses goûts, voire à son vice.
Ainsi, à Marseille, l'amateur d'architecture moderne se voit offrir
depuis peu une occasion d'occuper son samedi plus intelligemment
qu'en affrontant les deux heures de queue nécessaires pour accéder à
la cité radieuse de Le Corbusier. Au cœur de la ville, sur la
lisière sud du quartier Belsunce ou, en d'autres termes, en bordure
de la Canebière, il pourra visiter le Building Canebière de René
Egger et Fernand Pouillon, œuvre que ce dernier devait considérer
comme sans importance puisqu'il ne lui consacre qu'une demi-ligne
dans son autobiographie.
Ce bâtiment imposant se trouve en effet assez éloigné des constructions qui ont fait la réputation de l'architecte, ces ensembles herculéens de logements en pierre de taille dont le dernier, à Boulogne-Billancourt, lui vaudra ces petits soucis judiciaires qui le contraindront ensuite à s'expatrier pour poursuivre sa carrière en Algérie. Inscrit au patrimoine du XXe siècle, ce qui lui permet d'exhiber un joli logo et de disposer d'une notice monographique, mais ne fournit pas un centime d'argent public pour l'entretien d'un ensemble qui se dégrade, le Building, édifié au début de la période de reconstruction d'après-guerre, vaut comme un exemple de modernité à l'américaine, tout en ayant suivi un parcours assez tourmenté.
Au départ conçu comme immeuble de bureaux, première affectation dont témoigne ce cabinet d'architectes qui occupe aujourd'hui les locaux de l'agence Pouillon-Egger, le projet a évolué pour finalement se retrouver copropriété de logements. Le plan libre, cette technique née avec le 25bis rue Franklin des frères Perret, où les murs porteurs ont disparu au profit d'un empilage de poteaux et de planchers qui apporte une grande liberté dans l'aménagement de l'espace, la structure de l'immeuble, qui se compose en fait de deux barres face à face, séparées par des cours et reliées par un élément central où l'on trouvera escaliers et ascenseurs, évitant ainsi l'écueil d'une trop forte épaisseur, laquelle caractérise les ordinaires immeubles de bureaux, ont permis une telle mutation.
Organisée par les créateurs d'un studio de design installé dans l'immeuble, la visite du Building, des parties communes et de trois appartements, à côté de son intérêt architectural, débouche sur une perspective un brin sociologique lorsque l'on découvre, dans ce quartier central, donc, conformément à l'exception marseillaise, populaire, une petite bande d'esthètes amateurs de modernité, et suffisamment courageux pour ouvrir leurs portes à un flot d'inconnus. L'absence de murs porteurs leur a procuré de larges possibilités d'aménager leur espace. Le modèle qui semble s'être imposé, sans doute à cause de surfaces relativement modestes, a consisté à abattre le plus de cloisons possible, à ouvrir chambres et cuisines, et à exposer à la lumière tout la surface d'appartements qui, dans les étages élevés, disposent, par l'absence de vis-à-vis, de vues spectaculaires. Avec, nécessairement, comme ameublement un choix de chaises Verner Panton ou Jean Prouvé, grâce auxquelles l'amateur de modernité se retrouve en territoire connu, dans un univers dont il comprend et partage les codes. Comme avec les palais du pouvoir central, mais plus modestement, plus authentiquement, et grâce à l'initiative de bénévoles, le visiteur aura ainsi bénéficié de la fugitive impression d'accéder à un cercle de happy few.