Frédéric portera donc toute sa vie le fardeau de ne même pas être le fils de qui-vous-savez. Si l'on pouvait compter sur un Noël Mamère, avec sa pensée toujours à hauteur de moustache, pour fustiger l'association du patronyme prestigieux et du président honni et, par là-même, inventer le délit d'infidélité au clan, les commentaires, une fois acquise la nomination du nouveau ministre de la Culture, partagés entre la pertinence du choix, et la tentation du bon coup, succombèrent au superficiel, et louèrent l'habileté tactique de celui qui n'en était pourtant pas à son coup d'essai. Pourtant, si coup il y avait, il ne se limitait en rien à compléter un déjà copieux tableau de chasse.

La seule définition pertinente de la culture est sans doute de nature anthropologique ; pour l'appliquer, il faudrait étendre les frontières du ministère jusqu'à englober à peu près tout ce qui est vivant, et même plus. La culture dont on parle et qu'on administre n'est donc qu'une convention, dont le périmètre varie d'un pays à l'autre au point que, parfois, on juge superflu d'y consacrer un ministère et que, souvent, celui-ci n'a d'autre attribution que la gestion du patrimoine, c'est à dire la conservation de ce que les générations précédentes ont créé. Tel n'est pas le cas dans la patrie de Malraux où le poste, toujours pourvu même s'il l'est parfois d'un simple secrétaire d'État, a connu des fortunes si variées qu'il semble constamment à réinventer, et qu'il paraisse tout devoir aux qualités spécifiques de son titulaire. Gibier de passage pour politicien en intérim, fin de mission pour ceux qu'il fallait bien caser quelque part, vieux fidèles ou élus fatigués, il deviendra, on le sait, en mai 1981, la chose de Jacques Lang, sans doute seul à avoir réalisé ainsi son ambition première, et cumulard en chef puisqu'il occupera le poste la durée d'une législature, et par deux fois. Mais en 1997, en élargissant le périmètre à la communication, on faisait entre les marchands dans le temple. Comme on le sait, ceux-ci réussirent, à la croisée de la diffusion et de l'expression, à imposer une définition dans laquelle la culture devenait ce que les grands diffuseurs de biens symboliques décidaient être leur intérêt commercial, définition qui réduisait donc le champ d'action du ministère aux seuls arts industrialisables, à l'exclusion de tout le reste, des arts plastiques au cinéma indépendant, de l'architecture contemporaine à la littérature, tout ce qui, en somme, intéresse les esthètes, ne rapporte guère, et, parfois, impose au public une certaine exigence. C'était le temps aujourd'hui oublié de l'exception culturelle, justifiant, contre ce si encombrant ami américain, un protectionnisme qui, du jour au lendemain, a succombé à l'union sacrée transatlantique des victimes de pirates numériques. On sait à quel désastre mena la servilité du ministère Albanel, et on comprend que, pour reprendre la contrôle du navire, il faille absolument nommer à la barre un capitaine indemne de tout soupçon, même de celui du copinage politique, pourvu d'une authentique compétence esthétique et, si possible, suffisamment imprévu pour que sa désignation fasse sensation. Alors, quand on a d'excellentes raisons de faire ce que l'on fait, on n'est pas dans le coup, fut-il de maître : on est dans la stratégie.

Ainsi, ce jeune homme longiligne, ce dandy au superbe costume de soie qui, naguère, me vendit un billet pour une séance à l'Entrepôt, point focal de la cinéphilie radicale des années 70 et 80 et qui, du cinéma à l'écriture, de la villa Médicis au carnet d'adresses, possède tout ce que l'on peut imaginer en fait de capital adapté au poste, rejoint la rue de Valois. Plus que le théatral Jacques Lang, on lui souhaite de suivre les traces d'un Michel Guy avec lequel il a tant en commun, le libéralisme, l'ouverture d'esprit, le désintéressement, la curiosité, le goût de l'expérimentation, tout ce qui fait qu'au fond il n'y ait jamais meilleur ministre de la Culture qu'un authentique mécène. Et puisque l'Industrie, c'est pour Estro qui rate l'Intérieur une fois de plus, qu'on lui laisse donc le soin d'essuyer les larmes amères des marchands de disques. Fredo, on compte sur toi : ne nous déçois pas !