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avionneur

, 19:23

Le décès de Serge Dassault, mort à la tâche à l'âge respectable de quatre-vingt treize ans, s'accompagne de commentaires souvent peu amènes, pointant pour l'essentiel les petits soucis judiciaires qui ont perturbé sa tardive et modeste carrière politique, réduisant son rôle à celui d'un héritier de la fortune paternelle et, accessoirement, stigmatisant par principe son activité à la tête de Dassault Aviation. Car quand bien même elle tirerait aujourd'hui l'essentiel de ses revenus de la production d'avions d'affaires, l'entreprise conserve une activité plus ancienne, et plus cyclique, qui la voit poursuivre le développement cette longue lignée d'avions de chasse qui a fait sa célébrité : pour certains, cela suffit à ranger son président dans la détestable catégorie de ces gens promis à un cercle particulier de l'enfer, et qu'ils qualifient sans détours de marchands de canons.

Incontestablement, Serge Dassault n'était pas un homme du XXIème siècle. De fait, sa carrière professionnelle, entamée en 1951 après avoir fait l'X et Sup'Aéro, se confond avec l'histoire de cette industrie de l'air et de l'espace qui reste l'un des rares avantages compétitifs dont ce pays dispose encore aujourd'hui. Pourtant, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, après cinq ans d'occupation, il ne restait rien d'un secteur qui n'avait jamais brillé par son inventivité, et ne disposait alors que de maigres atouts, la disparition de ses concurrents italien et germanique, les quelques ingénieurs allemands laissés de côté par les soviétiques et les américains. En d'autres termes, sa fortune actuelle doit tout aux choix fait dans ces années 1950 et 1960, fruits à la fois d'expérimentations invraisemblablement risquées, et de décisions politiques et techniques qui se sont, souvent bien plus tard, révélées, dans tous les sens du terme, payantes. Ces choix, par ailleurs, avaient comme point commun de constituer autant de paris, allant souvent contre les doctrines en vigueur, ce qui, au fond, dans un environnement compétitif qui se passe très bien de lui, représente pour un outsider sa seule chance de succès.
Pour Dassault, dont les affaires avaient modestement repris après guerre grâce à un petit avion de transport, l'instant décisif viendra avec la conception d'un chasseur bi-sonique bien plus polyvalent que ses adversaires britanniques ou américains, à l'époque où l'on attendait simplement d'un intercepteur qu'il lance à haute altitude un unique missile chargé d'abattre un seul bombardier stratégique soviétique, cahier des charges fort peu réaliste et pour le moins restreint. La diffusion intercontinentale du Mirage III générera un capital technique et symbolique dont, aujourd'hui encore, l’entreprise, en partie, vit. Pourtant, la diversification viendra assez vite, avec d'abord le développement de l'aviation d'affaires, puis la création de filiales répondant à des besoins annexes.
Ainsi, le département électronique interne, concevant d'abord des radars embarqués, puis ensuite un tas d'autres choses, deviendra en 1962 une société distincte dont Serge Dassault prendra ensuite la tête. Et en 1981, autour de CATIA, le logiciel de CAO maison, Dassault Systèmes verra le jour avec, précisent Les Échos, un effectif de cinq ingénieurs. Aujourd'hui, l'entreprise n'est pas seulement le premier acteur mondial du secteur : dans un domaine qui a si souvent bénéficié de l'attention étouffante et inconstante de l’État, qui a vu tant de projets grandioses s'effondrer sans qu'aucune leçon ne soit tirée de leur échec, elle reste le seul éditeur français de logiciels de dimension internationale.

Ne rien retenir de cette aventure revient à considérer le monde d'aujourd'hui comme donné, existant tel qu'il est par la volonté d'on ne veut savoir quel bon ou mauvais génie, alors qu'il est le fruit d'une histoire complexe et de contingences variées. Telle est, sans doute, la propriété de la jeunesse, et de l'ignorance. Un peu comme avec le plan que suivent toutes les bibliographies de personnages politiques dans Wikipédia, lesquelles détaillent successivement la formation de l'individu en question, sa carrière d'élu, et ses ennuis judiciaires réels ou supposés, tout se passe comme si seule comptait désormais une sentence morale décidée par des gens qui n'ont aucune autorité pour la rendre, ce dont ils se passent fort bien, tout en produisant des jugements privés de pertinence, ce qui ne doit guère les gêner. Ainsi, mettre en œuvre l'automatisme qui propulse Serge Dassault dans le clan des marchands d'armes ne présente aucune difficulté. S'interroger sur le destin des chars Leclerc, produits dans les arsenaux d’État, vendus aux Émirats arabes unis et engagés par ceux-ci dans les combats urbains de la guerre civile au Yémen serait sans doute, moralement, plus utile mais, techniquement, plus complexe et, narcissiquement, moins rémunérateur.
L'époque n'est certes plus à l'homo faber. Mais l'héritier sera bien plus le donneur de leçons qui vit dans ce monde efficace et confortable, mais pas indestructible, auquel il n'a nullement contribué, conçu et reconstruit après la Seconde guerre mondiale par les ingénieurs des grands corps techniques et qui, au nom de sa vaniteuse morale d'instituteur, s'emploie quotidiennement à le démolir sans rien avoir à mettre à sa place.

rageux

, 19:24

Parmi tant d'autres points significatifs, le récent jugement dans lequel le Tribunal administratif de Paris annule la décision du Conseil de Paris fermant à la circulation des véhicules motorisés la section centrale de la voie Georges Pompidou, sur les quais de la rive droite de la Seine, offre à l'observateur averti l'occasion d'une petite spéculation. On peut en effet lire ce jugement à l'envers, en ce qu'il retrace le cheminement d'une décision politique vers sa traduction réglementaire, et la commande faite à l'administration municipale de trouver de quoi fonder en droit une décision déjà prise. Ce n'est pas faire injure à cette administration que de constater qu’elle a échoué, d'autant que l'on ne prend guère de risque à parier qu’elle avait prévenu sa hiérarchie de la légèreté de ses motifs, et du risque encouru si, d'aventure, un grincheux venait à contester cette fermeture devant la justice administrative.

Aussi la réaction virulente de la municipalité parisienne recèle-t-elle un véritable potentiel comique, avec ce long cri d'indignation dans lequel elle mobilise toutes les ressources de son arsenal rhétorique, tout en démontrant une fois de plus son incomparable dextérité dans l'art raffiné du bonneteau statistique. Faute de place, on se contentera de commenter deux points de cet argumentaire, avec d'abord ce qui a trait à la pollution atmosphérique. Au passage, on remarquera que la Mairie fait ici preuve d'une rare sollicitude à l'égard de sa banlieue, puisqu'elle ne fait aucune distinction entre Parisiens et Franciliens, les données d'Airparif auxquelles elle se réfère couvrant toute l’Île-de-France. Il faudra un esprit singulièrement mesquin pour faire remarquer que le seul territoire municipal jouit d'une qualité de l'air systématiquement meilleure que celle de la région dans son ensemble.

Cette réponse à une décision de justice détaillée sur dix-sept pages pourrait difficilement adopter un format plus opposé. On se retrouve face à une série de vignettes exposant un court slogan et un chiffre choc, renvoyant en annexe à une page complémentaire qui fonctionne exactement de la même manière. Il s'agit moins, en somme, d'argumenter, que de fournir à ses troupes de quoi nourrir leur activité sur un célèbre réseau social. Malgré tout, on relève un lien qui pointe vers le site d'Airparif, la seule autorité en la matière, et en l'espèce vers le bilan 2015 de l’association.
Trois millions de Franciliens, nous dit la Mairie, respirent un air pollué : on se demande donc d'où sort ce chiffre puisque, en première analyse, Airparif n'en compte que la moitié. Il se trouve, de plus, que ce rapport, on l'a analysé lors de sa publication, voilà bientôt deux ans. Dans l'éventail des polluants contrôlés, le chiffre choisi pour faire peur fait référence au dioxyde d'azote, une substance qui n'a plus déclenché d'alerte à la pollution à Paris depuis vingt-et-un ans, et plus précisément au dépassement de la valeur limite annuelle, qu'aucune métropole européenne ne respecte. Il aurait été plus pertinent, et plus honnête sans doute, de s'en tenir aux particules fines, dernier polluant vraiment problématique. Hélas, nous dit Airparif, elles n'affectent plus aujourd'hui que 300 000 Franciliens, ce qui, immédiatement, devient bien moins spectaculaire.
Étrangement, la Mairie a par ailleurs choisi d'ignorer l'édition 2016 du même rapport, pourtant publiée en juin dernier. Il est vrai que, dans celle-ci, la quantité de Franciliens soumis à ces excès particulaires est tombée à 200 000.

Mais si la Mairie réagit avec une vigueur un peu inquiétante à, il semble utile de le rappeler, une décision de justice, c'est sans doute à cause des considérants 14 à 17 du Tribunal administratif, lesquels mettent en pièces la notion supposée justifier scientifiquement son action, l'évaporation. Entre autres méchancetés, le tribunal fait un peu d’épistémologie, rappelant qu'une collection de cas particuliers ne saurait suffire à fonder un concept scientifique, un peu de statistique, jugeant qu'un écart de un à quatre entre trafic estimé et comptabilisé était quand même un poil excessif, et un peu de géographie, considérant que limiter l'étude d'impact à une zone centrée sur la voie en question et large de 200 mètres ne permettait pas de pleinement apprécier les effets d'une mesure qui s'exercent jusqu'à l'échelon régional.

Et c'est bien là que se situe l'enjeu fondamental de l'affaire, dont l'importance déborde largement du territoire concerné, et ne saurait être réduite au combat entre une capitale de gauche et une région de droite. Installée sur une emprise qui, comme le rappelle le Tribunal, reste toujours la propriété du port autonome de Paris même s'il n'en a plus l'usage, la voie Georges Pompidou assurait une liaison directe entre banlieues ouest et est, et réduisait la capitale à un simple rôle de transit. En d'autres termes, elle lui imposait une servitude dont bénéficiaient essentiellement des banlieusards. D'une manière qui vient d'être déclarée illégale, la Mairie a donc décidé de couper cette liaison. L'évaporation du trafic, cette notion quasi-magique, moralisatrice, puisqu'elle dénie aux usagers motorisés de la voirie leur droit légitime à l'employer, et autoritaire, puisqu'elle leur laisse la charge de se débrouiller autrement et d'aller n'importe où, mais pas ici, se présente ainsi telle qu'elle est, un abus de pouvoir. Qui se soucie, après tout, de la manière dont vont se comporter ces banlieusards, qui trouveront sûrement un moyen de passer. Par les égouts, au besoin.
Plus aristocratique que jamais, la municipalité parisienne livre ainsi sa conception du rôle d'une ville située au centre d'une métropole mais bien décidée à s'affranchir de toutes les contraintes qui accompagnent nécessairement sa position géographique, aussi bien que son insertion dans un espace politique et économique plus vaste. Illustré de magnifiques clichés opposant, littéralement, le jour à la nuit, l'argumentaire municipal confirme si besoin était le destin qui attend, sinon toute la capitale, du moins ses arrondissements centraux, celui d'être le réceptacle à touristes d'une ville-musée, construite et gérée dans le mépris le plus complet de tout le reste, y compris le simple respect de l’État de droit.

80

, 19:33

À un léger détail près, on pourrait s'épargner la peine de commenter ce récent Comité interministériel de sécurité routière, et se contenter de recycler le billet écrit voilà plus de deux ans, lorsque cette cérémonie s'était tenue pour la dernière fois. Car, du Premier ministre au ton sévère dénonçant une situation inacceptable au menu détaillant l'habituel catalogue de vingt mesures, des appels à une mobilisation citoyenne déjà cent fois lancés et effectifs dès 1984 avec l'initiative REAGIR de Pierre Mayet au serpent de mer ici incarné par l'éthylotest anti-démarrage, on cherchera en vain dans ce programme la trace d'un semblant d'originalité. Franchement, ça lasse. Le cumul d'inepties dépassant significativement celui de la session précédente, on en vient à plaindre sincèrement les fonctionnaires de la DSCR, qui ont sûrement payé de longues nuits sans sommeil leur chasse aussi désespérée qu'infructueuse aux idées neuves. Par simple charité, on retiendra malgré tout l'attention accordée aux piétons, et en particulier la verbalisation des refus de priorité dont ils sont victimes, et on se réjouira, en tant que motard, d'être enfin autorisé à allumer ses feux antibrouillard quand la visibilité est mauvaise, un équipement dont, malgré des décennies de pratique, on ignorait totalement l'existence.

Mais il y a un symbole, et d'importance. Pour la première fois en quarante ans, puisque la limitation des vitesses aujourd'hui en vigueur sur le réseau secondaire hors agglomérations date de 1974, l’État s'attaque à l'immuable, et réduit de 10 km/h la vitesse autorisée. Tout, dans cette décision, mérite analyse, tant elle est caractéristique de la façon dont la puissance publique décide et agit, de la manière dont elle se justifie et, même, de ce à quoi elle croit.

Depuis peu, la mécanique simpliste de la sécurité routière affronte un obstacle : la courbe de la mortalité, son but, sa fierté, son unique preuve d'efficacité, ne baisse plus. Pour les automobilistes en particulier, elle aurait même retrouvé une légère hausse. Un simple coup d’œil sur les données publiées par les principaux pays européens montre pourtant une tendance partout à peu près identique  : une baisse de moins en moins marquée de la mortalité routière au fil du temps, qui débouche sur un plateau à partir de 2010, avec parfois de légères hausses comme pour ce pays qui vaut comme un modèle de vertu, la Suède. En d'autres termes et en première analyse, si on atteint, ici et ailleurs, une limite, c'est celle d'une politique conduite à l'identique depuis quarante ans. Alors, il ne serait pas superflu, en particulier pour un pouvoir tout neuf, de prendre le temps de la réflexion.
Mais en ce début d'année, sans même attendre les quelques semaines nécessaires à la consolidation du bilan 2017, on agit. On le fait en prenant comme justification une expérience menée sur quelques tronçons de route, dont la validité semble douteuse, et dont les conclusions restent secrètes. On le fait en s'aidant de cet univers para-scientifique aussi rassurant que fictif qu'on appelle l'accidentologie, avec ses lois éternelles puisque mathématiques, lesquelles s'appuient sur de courtes expériences naturelles conduites à la fin des années 1970 dans un seul pays, et sur les véhicules d'alors. On le fait, enfin, en allant au plus court et au plus conforme, et en évitant surtout de s’intéresser au détail. En refusant de voir le conducteur tel qu'il est, un individu par définition adulte, formé plus ou moins bien, plus ou moins expérimenté et apte à réfléchir avant d'agir, en ayant choisi de le surveiller grâce à des automates, on a fermé toutes les pistes, sauf celle que l'on emprunte en resserrant la ceinture d'un cran.

Pourtant, la sécurité routière, avec son appareil statistique qui n'est jamais qu'une grosse machine à réduire drastiquement la complexité infinie d'un réel, par définition, accidentel, et à homogénéiser ce qui n'est qu'exception, offre malgré tout, dans ses bilans annuels, matière à réflexion. Ceux-ci montrent, par exemple, que la mortalité des automobilistes découle pour moitié d'accidents impliquant des véhicules seuls. C'est le cas de la surmortalité des jeunes adultes les samedi et dimanche, tôt le matin, ce phénomène que l'on appelait autrefois à Bruxelles la saturday night fever, qui conjugue alcoolisation prononcée et vitesse très supérieure aux limites. Dans des situations de cet ordre, on a du mal à se représenter l'efficacité de la nouvelle règle.
Mais, plus encore, il se pourrait qu'elle se montre contre-productive. Car elle va avoir un effet inédit et négligé, celui d'annuler la différence de vitesse dont bénéficiaient les usagers par rapport aux conducteurs d'un véhicule auquel la politique de sécurité routière ne s'est jamais intéressée, le poids-lourd. En 2016 nous dit le bilan de l'ONISR, 1 760 automobilistes sont décédés dans un peu plus de 46 000 accidents. Moins de 3 000 accidents ont impliqué des poids-lourds  ; pourtant, 493 personnes ont été tuées dans de telles circonstances, dont 438 n'étaient pas dans la cabine du camion. L'énergie cinétique ne met pas seulement en jeu la vitesse, mais aussi la masse ; et le véhicule le plus massif se montre bien plus dangereux que tous les autres. Dans la nouvelle configuration mise en place sur les routes secondaires, il ne sera même plus possible de s'éloigner légalement de ce danger. Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?

Cette première incursion du nouveau gouvernement sur un terrain neuf vaut comme une forme de renoncement : face à un problème à la fois complexe et secondaire, on choisit la solution simple, celle du conservatisme. Et l'affaire présente surtout un intérêt politique, avec la vigueur étonnante de l'engagement du Premier ministre. On avait pris l'habitude de voir la sécurité routière comme une sorte de cause occasionnelle, mise en avant au début des années 2000 lorsque la forte baisse de la mortalité valait comme preuve d'efficacité de l'action publique, et apportait une rémunération politique. Lisible dans la périodicité de plus en plus lacunaire des CISR, la stabilisation des années 2010 avait ensuite incité les politiques à se montrer bien plus discrets. Il y a sans doute, dans cet engagement, un peu d'imprudence. Et, si jamais le bilan 2018 ne montre pas ces 150 vies d’automobilistes sauvées sur les routes secondaires, il y aura des comptes à rendre. En attendant, on se permettra de conclure en apportant sa contribution à l'édifice commun par une modeste question. On dénombre en France environ 2,8 millions de motocyclistes, dont un peu plus de 600 sont tués chaque année sur les routes. En Espagne, on recense de l'ordre de 2,8 millions de motocyclistes. Chaque année, un peu plus de 300 sont tués sur les routes. Pourquoi ?

lehman moment

, 19:35

Anticipons un brin. La semaine prochaine, tenant compte de la position unanime des organismes chargés de veiller sur la santé publique, la Commission européenne refusera de prendre la décision qui, pourtant, s'impose, prolonger pour dix ans l'autorisation donnée aux agriculteurs d'utiliser l'herbicide le plus répandu sur la planète, le glyphosate. L'organe de décision de l'Union choisira sans doute, comme souvent, d'en faire le moins possible. Et l'on ne saurait lui donner tort tant, dans cette énième réinterprétation du mélodrame de l'Union divisée, la Commission joue encore une fois le rôle ingrat du brave type, volontariste, sincère, mais un peu simplet, qui veut à tout prix réconcilier les familles divisées. La dernière ayant impérativement lieu le 15 décembre, il ne lui reste plus beaucoup de temps pour mettre en place l'un de ces fameux compromis qui ont fait sa réputation, lequel se traduira sans doute par une reconduction a minima, pour une période de trois à cinq ans.
Donnée pour la première fois en 2002, traitant d'un sujet accessible à un nombre limité de spécialistes, la pièce a pourtant connu un énorme succès public. Une pétition réclamant l'interdiction du glyphosate a ainsi obtenu le soutien de plus d'un million de citoyens européens. On espère que, en accord avec leurs nobles principes, les signataires auront la décence de se procurer une binette, et de mettre leur force de travail à la disposition de ces agriculteurs qu'ils souhaitent priver de leur herbicide préféré. N'ayant qu'une appétence limitée pour le ridicule, et face à un domaine dont on ignore tout, on se gardera bien de prendre un quelconque parti. On se contentera d'analyser brièvement la mécanique qui a produit pareil résultat, en s'appuyant sur des éléments facilement accessibles.

Et son fonctionnement peut se résumer de la façon la plus simple, puisqu'il tient en une unique phrase, reprise à l'envie par la presse grand public, y compris dans un pays peu concerné par les décisions de l'Union européenne : " l'Organisation Mondiale de la Santé a classé le glyphosate comme cancérogène, il faut donc l'interdire." Or, il se trouve que cette assertion, dans sa prémisse, est fausse, et, dans sa conclusion, dépourvue de sens. Et pour s'en convaincre, il n'est nul besoin de chercher des preuves au-delà de celles que fournit l'OMS elle-même.

Dans un court document destiné au grand public, l’organisation explique sa méthode, distinguant deux notions souvent confondues, danger, et risque. Avant qu'une substance ne soit mise sur le marché, l'OMS, ou l'une des agences spécialisées qui lui sont associées comme le CIRC, procède à une classification préalable qui tente, sur la base de la littérature disponible, d'estimer s'il y a des raisons de penser que le produit en question présente un danger pour les êtres humains. En ce qui concerne plus particulièrement le cancer, on voit que l'agence ne chôme pas et que, sur les 1003 suspects examinés à ce jour, un seul a, sous réserves, été mis hors de cause.
On conçoit qu'une procédure qui ne trouve que des coupables ne soit pas d'une grande effectivité ce pourquoi, dans un second temps, un groupe d'experts se réunit pour évaluer le risque que représente la molécule en question. Pour celle qui nous intéresse, il a été jugé que, dans son utilisation normale, elle ne posait pas de problème particulier. S'agissant d'un produit employé depuis quarante ans, une telle conclusion n'étonnera que les hypocrites, auxquels on rappellera que la population exposée se compose quasi-exclusivement d'agriculteurs.
La très longue liste des cancérogènes avérés et probables qui, outre les coupables habituels en libre circulation pour la population adulte, l'alcool et le tabac, comprend le café, la viande rouge, les poussières de bois ou de cuir, voire des sources vraiment très difficiles à contrôler telles le soleil ou les champs magnétiques ou, pire encore, le "métier de peintre", cause de "leucémie de l’enfant du fait d’une exposition maternelle" montre par ailleurs combien l'association pesticide-cancer-interdiction relève d'un comportement pavlovien. Tout cela, au fond, n'est peut-être qu'un complot de la presse généraliste, qui viserait à réhabiliter les vieilles théories behaviouristes du stimulus-réponse autrefois attachées à la psychologie sociale, et pour lesquelles l'être humain possède plus ou moins l'intelligence d'une souris.

Que la grande presse s'adresse à son auditoire comme si son niveau d'éducation n'avait pas dépassé le stade de l'école primaire n'a aujourd'hui plus rien de surprenant. Que les marchands de peur tirent profit de l'ignorance généralisée non plus. Mais que, en dépit de l'évidence que la Commission rappelle, les États membres, occupés, pour l'essentiel et comme toujours, par de vulgaires petits calculs politiciens nationaux, refusent de prendre la décision qui s'impose entraîne une conséquence redoutable. Car, alors, l'édifice de l'expertise scientifique s'effondre. Les avis argumentés des agences nationales comme internationales qui analysent soigneusement chaque nouvelle molécule avant qu'elle ne soit employée dans l'espace public, et quand bien même leurs conclusions restent, en bonne logique scientifique, soumises à ré-appréciation, n'ont plus aucune importance, puisqu’une coalition d'activistes suffit à les invalider.
On assiste bien à un moment Lehman, cet instant où, parce que les autorités en ont décidé ainsi, le terrain se dérobe, les certitudes disparaissent, et la construction la plus sûre, celle que l'on croyait à l'abri de n'importe quel aléa, ne vaut plus rien. Dans une autre partie du monde organisé, régulé par des institutions rationnelles et publiques qui disposent seules d'un pouvoir de décision, on revit ce moment d'effondrement où, dans la panique, les propriétaires d'actifs financiers ont décidé de vendre, tout, et à n'importe quel prix, et que l'on appelle une capitulation.

ennemi

, 19:28

Les hostilités ont démarré avant même l'élection présidentielle, avec ce billet d'un journaliste et documentaliste, devenu depuis lors député sur la liste de la France Insoumise. Le quotidien du soir n'ayant pas pour habitude de laisser un accès en ligne gratuit aux textes qui ne lui ont rien coûté, impossible de recenser avec exactitude les occurrences, sous des formes variées, de ce terme qu'il scande dans son libelle, haine. Ensuite, la vague a enflé, produisant par exemple cet entretien déconcertant d'une sociologue émérite, ancienne élue au Comité d'hygiène et de sécurité de feu l'IRESCO. Apparaissent alors des termes inédits au contour vague, tel cette Macronie qui visiblement désigne, à droite aussi bien qu'à gauche, un objet d'exécration. Les positions se solidifient, les certitudes s'ancrent, tout un processus de production du réel se met en place, et il ne peut qu'interloquer un esprit rationnel puisqu'il reste, pour l'heure, par définition, totalement fictif.

Qu'ont donc fait de si grave un Président tout juste élu et une majorité parlementaire essentiellement composée d’inconnus sans doute avant tout préoccupés de l'apprentissage de leur nouveau métier ? Qu'y a-t-il de tellement révoltant dans la personne même d'Emmanuel Macron ? Du portrait un poil allusif qu'il donne de lui-même, on retient des traits finalement assez courants aux sommets de l’État. Fils de notables provinciaux, énarque, inspecteur des Finances, passé chez Rotschild & Cie où il s'occupait du quotidien des banques d'affaires, les fusions-acquisitions, il rejoindra ensuite le secrétariat général de l’Élysée avant d'être nommé ministre de l’Économie. En somme, le parcours d'un jeune homme brillant, semblable à d'autres, rare par définition mais, dans sa singularité, à l'intérieur de la haute fonction publique, assez habituel.
En fait, ce qui le distingue des autres, de ses concurrents à la présidentielle, c'est sa jeunesse, sa conversion à une carrière politique, et les implications de ces deux propriétés. François Fillon, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, dignes représentants de la manière traditionnelle de faire de la politique, ont depuis toujours été des professionnels. Comparativement peu voire très peu diplômés puisque le premier a abandonné une thèse en cours là où les deux autres n'ont obtenu qu'une simple licence, ils s'opposent ainsi au premier de classe qui, entre Henri IV, Sciences Po et l'ENA a trouvé le temps, en échouant à l'ENS, de poursuivre des études de philosophie jusqu'au DEA. Là où Benoît Hamon a suivi la filière de formation propre au Parti Socialiste, l'UNEF, puis le Mouvement des Jeunes Socialistes qu'il a présidé, les deux autres ont été choisis par leurs patrons respectifs, Joël Le Theule, mort prématurément alors qu'il était ministre de la Défense, Claude Germon, député de l'Essonne. On comprend toute la frustration qu'entraîne, après une vie entière de dur labeur militant, le fait de se retrouver doublé dans l'ultime ligne droite par un nouveau venu, fondateur de son propre mouvement et porté là par un concours de circonstances qui lui dégage un vaste espace dans un territoire délaissé, le centre, espace qu'il se trouve seul en mesure d'occuper.
Facile, dès lors, de stigmatiser celui qui justement ne respecte pas la procédure usuelle, d'en faire, pour reprendre les assommants parallèles de ces éditorialistes qui veulent tout faire rentrer de force dans une matrice d'ancien régime, un usurpateur. Rarement aura-t-on connu une telle détestation, un semblable procès en légitimité instruit contre un président, où l'on additionne les pourcentages au dixième près, où l'on recompte méticuleusement les voix qui se sont portées sur Emmanuel Macron tout en ne devant pas être considérées comme lui étant acquises. En 1981, la première élection de François Mitterrand a certes déclenché des réactions similaires, mais les attaques venaient alors d'un seul côté. Sans doute est-ce le propre d'un président centriste que de devoir subir des assauts sur ses deux flancs.

Mais la clé de l'histoire tient peut être dans la jeunesse, qui porte au pouvoir un quadragénaire. Un jour, des historiens s'intéresseront sûrement à ce processus d'aggiornamento qui, chaque fois en fonction de calendriers, de modalités, d'équilibres particuliers et sous la pression de circonstances par définition spécifiques, a vu une large fraction des pays européens s'adapter à la situation nouvelle née des divers chocs subis depuis le début des années 1980, et qui leur ont permis de trouver une trajectoire soutenable en matière de déficits publics, de chômage, de croissance, voire même de sécurité de leur système bancaire. Qu'il se soit déroulé sans grand drame dans l'Allemagne de Gerhard Schröder, ou de façon catastrophique dans l'Espagne d'après 2008, presque partout, cet aggiornamento a eu lieu. Et le dernier carré des résistants ne comprend plus guère que deux membres, l'Italie et la France.
L'accueil enthousiaste que les instances internationales, dirigeants, hauts fonctionnaires, presse ont réservé à Emmanuel Macron, sur l'air sans doute très prématuré du enfin la France se décide à bouger montre à quel point les premiers arrivés sont fatigués d'attendre les retardataires. Pour l'heure, on ignore toujours s'il se passera quelque chose, quoi, ou comment. Mais on ne peut nier qu'avec ce président et sa majorité parlementaire, la probabilité d'un changement significatif soit élevée. On comprend que, pour ceux qui, sans doute à raison, pensent avoir plus à y perdre qu'à y gagner un tel risque doive être combattu avec la plus grande fermeté.

ladri

, 19:23

Le 23 février dernier Rodrigo Rato, figure du Parti Populaire de Mariano Rajoy, mondialement connu pour avoir présidé le FMI entre 2004 et 2007, était condamné à quatre ans et demi de prison. Il payait ainsi les coupables largesses dont il avait bénéficié lorsqu'il était, de 2010 à 2012, à la tête de Bankia, une entité financière un peu spéciale à laquelle on a déjà eu l'occasion de s'intéresser. En ces temps particulièrement troublés, cette information n'a guère suscité d'intérêt de ce côté des Pyrénées. Elle aurait même pu passer totalement inaperçue si la comparaison obligée avec les ennuis judiciaires qui affectent d'autres personnalités bien connues du même FMI n'avait déclenché une vague de schadenfreude qui a éclaboussé jusqu'à la BBC. Le procès dont il est question, et qui met en cause pas moins de soixante-cinq prévenus, va pourtant bien au delà de l'anecdote croustillante. Hélas, malgré de longues recherches, la pêche aux informations exploitables se révèle bien maigre. On aura rarement autant regretté de ne pas être hispanophone. Mais c'est comme ça.

Au cœur de l'affaire, un système de cartes de paiement clandestines attribuées aux administrateurs de Bankia. Celles-ci leur permettaient, de façon semble-t-il totalement discrétionnaire et, il est à peine nécessaire de le préciser, sans rien déclarer au fisc, de financer sans retenue leurs menus plaisirs. Le Guardian livre ainsi une courte liste et des montants en cause, dont le total atteint la somme respectable de 12 millions d'euros, soit de quoi faire passer n'importe quel parlementaire français pour un tout petit joueur, et des motifs de dépenses, des dîners, du vin, des voyages, tout ce qui permet en somme à des décisionnaires surchargés de s'accorder de bien légitimes moments de détente. Et pourtant, il manque l'essentiel.
Car, loin d'être réservées au seuls cadres du Parti Populaire au pouvoir, ces libéralités profitaient à l'ensemble des administrateurs de la caisse d'épargne. Et ceux-ci représentaient tout le spectre des partis traditionnels, mais également les confédérations syndicales. Là, hélas, les données manquent, mais on peut au moins citer le cas de José Moral Santín, co-fondateur en 1986 d'Izquerdia Unida, parti issu, comme son nom l'indique, d'une scission fondamentaliste du Parti Communiste de Santiago Carillo, président entre 1991 et 1995 de Telemadrid, la chaîne de télévision de la communauté autonome madrilène, puis vice-président de Caja Madrid, la caisse d’épargne qui donnera naissance en 2010 à Bankia et qui aurait déboursé sur le compte de Bankia un total de 365 000 €.

Toujours accessible sur le site des Échos, un article de Jessica Berthereau daté de juin 2012 exposait les spécificités de ces structures, et en particulier leur grande dépendance au personnel politique. Avec l'autonomie régionale consolidée durant les années 1980, un vaste champ d'action s'est ouvert aux élus, leur permettant de contrôler les organismes de crédit, mais aussi ces chaînes de télévision dont certaines ressemblent plus à un groupe audiovisuel qu'à la station régionale de France 3, et d'en tirer tous les avantages matériels et symboliques que l'on peut imaginer.
Il reste un dernier chapitre à écrire, celui de l'euphorie immobilière des années 2000, cette époque prodigieuse où l'Espagne coulait plus de béton qu'aucun autre pays européen, et dont rend compte un article de Julie Pollard publié fin 2007, soit juste avant le grand saut. C'est que, comme on le sait, les histoires d'argent facile finissent toujours mal.

Mais on connaît la suite : les procès, les commissions d'enquête, et la disqualification de structures politiques qui affrontent aujourd'hui de nouveaux concurrents, les gauchistes de Podemos, le centristes de Ciudadanos. La révolte populaire, le discrédit qui frappe la classe politique traditionnelle et l'apparition chaotique d'une offre nouvelle rappellent nécessairement un précédent, lorsque, voilà déjà un quart de siècle, des citoyens italiens en colère accueillaient aux cris de ladri ! les caciques des partis d'alors, Démocratie chrétienne ou Parti socialiste, leur jetant de la menue monnaie à la figure. Vingt cinq-ans et un Silvio Berlusconi plus tard, on peut raisonnablement douter que l'Italie s'en porte beaucoup mieux. L'Espagne, elle, parvenue à la fin de son aggiornamento économique sans qu'il ait été nécessaire de bouleverser ses institutions, pourra sans doute plus facilement oublier ce moment d'égarement, ce mirage de la richesse infinie qui aveugle les pays qui, comme elle, l'entrevoient pour la première fois.

insiders

, 19:34

Si le récent épisode de pollution aux particules fines qui a touché certaines des grandes agglomérations du pays, et la capitale en particulier, a quelque chose d'exceptionnel, c'est la date à laquelle il s'est produit. D’habitude, en effet, ce genre de désagrément survient plutôt à la fin de l'hiver, en février-mars. Tel était le cas en 2015, année qui, comme le montrent les implacables statistiques d'Airparif, a connu entre le premier janvier et le 9 avril quatre dépassements du seuil d'alerte aux particules PM10, et huit du seuil d'information. Jusqu'à ce décembre tragique, le bilan 2016 était bien meilleur ; depuis, à un seuil d'information près, il est identique. Les faits en eux-mêmes n'ont donc rien d'exceptionnel. La concentration en particules l'a été un peu plus, puisqu'elle a atteint le 1er décembre un pic à 144 µg/m³, alors que, l'année précédente, on s'était contenté de 101. Par la suite, cette valeur a régulièrement décru, jusqu'à revenir, le jeudi 8 décembre, dernier jour de l'épisode, à 64 µg/m³, soit bien en dessous du seuil d'alerte réglementairement fixé à 80 µg/m³.
Les données ne présentent donc guère d'originalité. Les réactions politiques non plus, tant on a pris l'habitude de voir les pouvoirs publics profiter de l'effet d'aubaine que ces épisodes leur procurent pour légitimer, et renforcer, leur lutte contre les envahisseurs motorisés. Quelque chose d'intéressant, pourtant, a vu le jour à cette occasion : les stigmatisés ne sont pas restés inactifs. Et l'intéressant se trouve moins dans la polémique née pour l'occasion, qu'il serait d'ailleurs instructif d'analyser en détail, que dans les réactions de cette foule d'anonymes qui a voté avec son volant.

À Paris et en proche banlieue, la préfecture a donc imposé, sur un total de quatre jours entre le mardi 6 et le vendredi 9, une circulation alternée, laquelle aurait donc dû, arithmétiquement, entraîner une baisse de moitié du trafic. Les effets en seront pourtant fort modestes, en partie parce que, comme le montre Airparif, l'obligation intervient après le moment le plus intense de l'épisode, et en partie parce que le refus de se conformer aux consignes a été massif.
Cette attitude indocile renvoie à un autre refus, celui de coller sur son pare-brise cette vignette qui témoignera des qualités environnementales de son véhicule, laquelle vignette, disponible depuis l'été, sera en principe obligatoire dans exactement un mois. Or, pour l'heure, les observations d'automobiles en stationnement faites lors de promenades parisiennes répétées révèlent surtout les traces de l'internationale des contrôles policiers, qu'il s'agisse des low emission zones allemandes, ou de la taxe autoroutière suisse. On a aussi relevé une quantité surprenante, puisqu'on les rencontre très grossièrement sur un véhicule sur trente, de pastilles vertes, cette forme rudimentaire de marquage datant de l'époque Jospin et qui a pris fin en 2002. Par un amusant détour de l'histoire, ces preuves de vertu stigmatisent aujourd'hui le véhicule hors d'âge. Quant à la vignette nouvelle formule, on n'en a recensé qu'une seule, posée sur un véhicule électrique. Petit joueur. En somme, on assiste à une sorte de boycott informel mais sans doute d'autant plus massif que, tant que la police municipale du stationnement n'est pas encore entrée en service, le risque de sanction reste faible.

Ces comportements rebelles, ces incivilités diraient sûrement certains, signalent une opposition sourde mais devenue bien plus virulente depuis qu'un élément déclencheur a provoqué sa cristallisation. En interdisant la circulation sur les quais bas de la rive droite, Anne Hidalgo n'a pas rendu aux parisiennes et parisiens des emprises qui ne leur ont jamais appartenu, puisqu'elles ont depuis toujours servi à diverses activités commerciales aujourd'hui presque disparues. Mais elle a coupé un axe majeur, qui permettait de circuler de banlieue à banlieue plus directement qu'en faisant un détour par le périphérique. Et elle a ainsi mis en lumière un conflit désormais ouvert sur de multiples fronts et, si l'on en croit des milieux bien informés, qui transcende les appartenances politiques, conflit qui oppose économiquement, géographiquement, socialement, les insiders aux outsiders.

Voilà bien longtemps qu'on observe la manière dont, progressivement, sur le long terme, l'exécutif parisien modèle son interprétation de la ville idéale, cette nouvelle Metropolis où les banlieusards circulent sous terre tandis que l'usage de la surface est réservé à la seule aristocratie indigène, et aux touristes. La configuration administrative particulière de la plus petite des grandes capitales européennes permet la mise en œuvre d'une telle conception. Mais elle se heurte à des réalités contre lesquelles elle ne peut rien, en particulier cette compétition mondiale entre grandes métropoles qui l'oblige à croître, donc à regarder au-delà de son territoire, vers des espaces qu'elle ne peut plus se permettre de mépriser.
Or, ces lieux sont occupés. Ils le sont par ces gens qui dépendent de la ville centrale, et dont la ville centrale dépend, pour y exercer leur métier et lui fournir les services dont elle a besoin. Et, pour des raisons extrêmement variées, une part minoritaire mais significative d'entre eux ne peut accomplir sa fonction sans un véhicule individuel. Bien souvent, par contrainte plus que par civisme, ils ont d'ailleurs opté pour l'un de ces deux-roues motorisés qui, propulsés par un moteur à essence, ne produisent pas de particules tout en étant sanctionnés presque au même titre que les automobiles diesel. Ces espaces sont occupés, aussi, par des élus de l'autre bord politique, sans doute assaillis des réclamations de leur administrés et auxquels, par bêtise, la mairie de Paris offre ainsi une magnifique occasion de se ranger aux côtés du peuple, de la pauvre scooteriste et de l'humble automobiliste. La configuration politique actuelle, avec une région acquise à la droite, celle qui s'annonce si François petrolhead Fillon accède à la présidence, les conséquences locales du changement de pouvoir avec un préfet de police qui, comme en 2012, sera le premier à céder sa place, compléteront l'encerclement de cette nouvelle Bastille, qui deviendra dés lors bien plus difficile a défendre.

USA

, 19:31

À l'évidence, la configuration du jour d'après n'avait pas du tout été prévue, et fort mal préparée. Désemparée, démunie, dépitée, la presse sérieuse, par un étrange paradoxe, semble brutalement privée de sa faculté d'analyse et réduite à des réactions purement émotionnelles, se contentant d'étaler son aigreur et sa frustration, résonnant d'appels à prendre le maquis et à financer l'insurrection. Sûrement, il doit avoir des choses plus intelligentes à raconter sur les conditions qui ont amené un candidat parfaitement exotique, une sorte d'hybride entre Boris Johnson et Silvio Berlusconi, à poser pour quatre ans son rond de serviette dans le bureau ovale. On aborde cette question en toute innocence, puisqu'en agissant ainsi on sort largement de son domaine de compétence. Hélas, il se trouve qu’une des raisons d'être de ce blog consiste à produire un contenu qu'on aurait souhaité lire ailleurs sans, par paresse sans doute, avoir réussi à le trouver. Les lignes qui suivent risquent donc d'être sévèrement jugées par les experts. Mais, après tout, yolo.

Car la question n'est pas tant de savoir pourquoi ce Républicain-là, puisqu'elle aurait due être épuisée dès lors qu'il a été choisi comme candidat du parti, mais bien pourquoi un Républicain. En 2016 comme en 2000, donc pour la deuxième fois en cinq scrutins, le candidat élu a obtenu moins de suffrages que son adversaire, situation qui, au siècle dernier, ne s'était jamais produite. Appeler comme explication la spécificité d'un vote indirect, qui se déroule État par État et selon des modalités qui, de plus, ne sont pas homogènes, ne saurait suffire.

Une des particularités du système politique américain tient en la création, fort peu de temps après l'indépendance, d'un bureau du recensement dont la fonction première n'était pas fiscale ou démographique, mais politique. Suivant au plus près l'évolution de la population et sa répartition géographique, il devait assurer au Congrès une représentation équitable, modifiant selon les besoins les circonscriptions électorales. Il avait aussi la fonction accessoire d'établir une stratification de la population selon des critères ethniques. Renouvelée tous les dix ans, cette procédure permettait donc de suivre l'évolution explosive d'une démographie alimentée par une immigration constante ; mais elle permettait aussi de mettre constamment à jour l'état des rapports de force entre la catégorie dominante, et les autres.
On a déjà eu souvent l'occasion de recourir aux travaux d'un grand sociologue méconnu, Joseph Gusfield. Dans un livre tiré de sa thèse consacrée aux croisades anti-alcooliques, il montre ce que ces mouvements pour la tempérance doivent à la volonté de ceux qui les animent de conserver et d'imposer, contre des vagues successives de migrants dotés d'habitudes déplorables, un mode de vie qui caractérise leur statut social et justifie leur domination. Sociologue, Joseph Gusfield ne traite que de l'aspect symbolique de tentatives qui s'expriment nécessairement par d'autres canaux, institutionnels en particulier.
Ainsi en est-il du gerrymandering, cet art subtil du déchiquetage de circonscriptions électorales qui permet au gouverneur d'un État d'assembler des pièces éparses où, à l'inverse, d'éclater un regroupement homogène, une ville en particulier, de manière à favoriser un camp dont il semble bien qu'il soit, le plus souvent, Républicain. Mais bien d'autres techniques existent, et qui visent le même but. Lors de ces élections, des observateurs ont pu remarquer une bien curieuse pénurie, celle des bureaux de vote dans des quartiers plutôt populaires, laquelle se manifeste par des queues interminables, propres à décourager les moins convaincus, ou les plus occupés. D'autres ont relevé des exigences particulières, et nouvelles, en matière de pièces d'identités, qui ont permis d'éliminer un certain nombre de votants, lesquels se trouvaient précisément appartenir aux catégories sociales les plus favorables aux Démocrates. Et si le système électoral ne permet à ces derniers d'être élus qu'en gagnant significativement plus de voix que celles dont leurs adversaires ont besoin pour aboutir à un dénouement identique, on comprend tout le bénéfice que les Républicains peuvent retirer du jeu de ces tactiques, et de leur accumulation.

Aussi n'est-il même pas besoin d'invoquer le spectre du racisme, cette explication commode grâce à laquelle on peut éviter de penser ce qui fait peur, le fait que le fonctionnement ordinaire d'institutions réputées sans doute à tort comme exemplairement démocratiques puissent produire un tel résultat, pour comprendre le succès d'un Donald Trump. Le recensement décennal avec sa classification ethnique montre l'affaiblissement progressif de la catégorie politiquement dominante, ces blancs majoritairement électeurs du parti républicain. Leur mobilisation vise, comme toujours, à maintenir un statu-quo face à une évolution démographique qui leur est de moins en moins favorable. On a donc affaire à une tendance lourde et de très long terme, pas à un caprice volatil pour une caricature d'homme nouveau. Et le pouvoir dont celui-ci dispose désormais, en particulier au travers de la Cour suprême, lui permettra de conforter son camp, et pour longtemps. Ça risque de mal se passer, et de finir encore plus mal.

géopolitique

, 19:15

C'est sans doute chez France Info que l'on trouvera les cartographies les plus utiles, et les plus spectaculaires, des résultats du premier tour des élections régionales. En effet, on a affaire ici non pas à ces illustrations imbéciles qui, super-région par super-région, fournissent des informations qu'un simple tableau résumerait aussi bien, mais à des représentations aussi fines que possible, puisqu'elle descendent au niveau de la circonscription. Avec un tel matériau, il serait inhumain de résister au plaisir d'une petite analyse.

Avant tout, on se doit de déconseiller la première carte aux personnes sensibles puisque, par comparaison avec les régionales de 2010, celles qui ont partout, sauf en Alsace, porté le Parti Socialiste au pouvoir, elle permet de jauger l'impressionnant envahissement du bleu sombre. Manque juste la légende, que l'on trouvera sur la seconde carte. Sur la façade méditerranéenne, le long du Rhône et de la Garonne, dans le grand quart nord-est, la logique qui fait voter contre les sortants, et pour le Front National, apparaît clairement. Plus difficilement, on devine aussi la caractéristique essentielle d'un vote ni urbain ni campagnard, caractéristique qui ne devrait pas étonner puisque les géographes explorateurs du périurbain ont longuement, et depuis longtemps, analysé ce facteur. Mais en grossissant la focale, et en se limitant, une fois de plus, à la seule zone urbaine de Paris, on découvre des paysages bien moins fréquentés.

Focalisée sur la région capitale, la seconde carte révèle deux traits saillants, qui ne sont pas sans relation l'un avec l'autre. Dans le sud-est de la région, le bleu moyen montre l'implantation locale, et le succès, d'un parti dont personne ne parle, Debout La République. Entreprise d'un seul homme, construit autour de lui à partir du club formé lors de son départ du RPR, Debout La République recueille dans la région autant de suffrages que l'ancienne gloire des banlieues ouvrières, le Parti Communiste Français et ses alliés, et guère moins qu'Europe Écologie/Les Verts. Une telle performance devrait susciter l'intérêt de politistes qui, pourtant, ne traitent de l'objet que de manière extrêmement fugace, ne s'intéressant qu'à une dimension en l'espèce inappropriée, son souverainisme.
Ce parti, dont certains ont moqué sa façon de se poser en défenseur des automobilistes, s'est assuré le soutien d'une importante association d’usagers des transports en commun laquelle, plutôt que faire liste a part, lui a fourni nombre de candidats. Dans cette lointaine Essonne où l'on dépend aussi d'un emploi tertiaire qui se trouve au plus près à Orly, et pour l'essentiel dans ce centre si difficile d'accès, les déplacements, leur durée, leur accessibilité, leur disponibilité, représentent un enjeu autrement plus crucial que pour les privilégiés auquel un vélo suffit à satisfaire tous leurs besoins.
Or, il ne s'agit là pas seulement d'une des rares prérogatives de la région. Il s'agit aussi, à l'inverse, par exemple, de l'emploi ou de la délinquance, d'un domaine que la puissance publique, elle qui choisit de construire des routes ou des voies ferrées, mais aussi de restreindre, et parfois d'interdire, la circulation de tel ou tel véhicule individuel, contrôle totalement, et qui dépend donc uniquement des décisions que prendront les politiques. En d'autres termes, impossible de s'en remettre ici à la mauvaise volonté de dieux bien sévères, et d'invoquer telle ou telle contrainte externe qui priverait le politique de tout pouvoir. L'échec, et plus encore la volonté délibérée de mettre une partie de la population à l'écart, trouve alors une logique sanction dans les urnes.

Comprendre ce désintérêt pour la périphérie s'explique d'abord par les propriétés intrinsèques de ces territoires vastes mais peu peuplés, donc sans grande importance économique ou électorale. Mais il faut aussi retourner consulter les cartes, et, cette fois-ci, s'intéresser à ce qui n'a pas changé. Désormais enfermées dans un corset bleu nuit, Paris et les communes qui l'entourent se distinguent encore plus clairement, avec cette partition ancienne et en apparence immuable qui donne l'ouest à la droite traditionnelle, et l'est au Parti Socialiste et à ses alliés. Ce territoire qui recouvre presque l'ancien département de la Seine, les avant-postes du Front National, à Tremblay-en-France, Livry-Gargan, Montfermeil, apparaissant juste sur la limite est, concentre à peu près toute la valeur économique et symbolique disponible dans la région, donc, dans une stratégie d'endiguement des avancées de l'ennemi et de bétonnage de l'acquis, tout ce qui procure de confortables avantages en échange d'un minimum d'efforts. Gardant Paris, et sauvant peut-être bientôt sa majorité au conseil régional, le Parti Socialiste conserve là, et pour longtemps, de quoi satisfaire quelques ambitions, pourvu qu’elles ajustent leurs attentes à la réalité et se contentent de gérer comme un musée la plus belle capitale du monde ce qui, après tout, n'est pas rien. Il existe des manières moins confortables de traverser un désert.

triche

, 19:16

Objectivement, la petite tricherie qui plonge le tout récent premier producteur mondial d'automobiles dans la tourmente n'a rien de tragique, et il s'est immédiatement trouvé de mauvais esprits pour faire remarquer que, contrairement à certains de ses concurrents ou fournisseurs, Volkswagen n'a tué personne, ce qui rend les pénalités qui lui sont promises singulièrement disproportionnées. Les conséquences financières, celles du moins qui relèvent de la justice américaine, resteront donc sans doute mesurées, puisque personne ne recherche un nouveau moment Lehman, si tant est que, sur ce point, il ne soit pas déjà trop tard. Mais ce coup de tonnerre dans le ciel pur de l'insoupçonnable technologie germanique se révèle riche en effets collatéraux, lesquels méritent que l'on s'y arrête tout en étant, comme toujours, fort peu informé, et parfaitement dépourvu des connaissances techniques indispensables.

Le premier effet du scandale met en lumière ce qui se cache dans l'embarqué. Au début des années 2000, BMW a équipé sa série K d'un nouveau quatre-cylindres de 1200 cm³ dont la puissance dans le monde libre dépasse très largement ces 74 kW qui restent en France, en France seulement et pour quelques mois encore, la limite légale. L'adaptation nécessaire à cette spécificité indigène se faisait de la façon la plus simple, par un bout de code. Il était donc facile de rétablir la machine dans sa configuration d'origine, le concessionnaire disposant, lui et lui seul, de tout l'équipement nécessaire. Sauf que son système informatique gardait la trace de cette manipulation interdite. Quand, en 2003, la loi a très fortement pénalisé ce genre de pratique, elle est devenue impossible, contraignant les propriétaires de ce modèle à élaborer des stratégies inédites, impliquant un déplacement chez tel concessionnaire belge, pour retrouver le plein usage de leur achat.
Ce vilain particularisme ayant vu le jour en 1984, il fut un temps où ce bridage passait par des astuces mécaniques dont la plus simple consistait à placer une cale dans la poignée de gaz, dispositif élémentaire à circonvenir. Le numérique qui, désormais, gère tout et en permanence, et l'injection en particulier, a éradiqué ce monde accessible. Avec la numérisation, on cesse d'être totalement propriétaire de son bien puisqu'une fraction de celui-ci relève d'un régime différent, qui concède un simple droit d'usage. Or cette partie dont on ignore tout recèle un pouvoir d'autant plus considérable qu'elle interdit d'en avoir une idée exacte. Cette obscurité facilite la triche ; elle cache aussi la nature des données générées et conservées, et l'usage qui en est fait, données dont on imagine facilement que, dans certains cas, les pouvoirs publics, avec la capacité de persuasion qui n’appartient qu'à eux, n'éprouveront aucune difficulté à prendre connaissance. Il n'existe en la matière pas d'autre garantie de transparence que le logiciel libre ; et, compte tenu de l'ampleur des enjeux, ce n'est pas un petit scandale comme celui-là qui fera avancer sa cause.

Mais la spéculation la plus réjouissante consiste à ce demander ce qui a bien pu pousser une entreprise de cette dimension à une telle manipulation, qu'une procédure pas bien complexe a permis de dévoiler. Bien sûr, on peut évoquer l'hypothèse rassurante du cas d'espèce, du fabricant dont un modèle particulier de moteur diesel, largement répandu et plutôt destiné aux véhicules pas trop onéreux, se montre incapable de répondre aux normes. Le trucage devient alors la solution la plus immédiate et, dans un premier temps, la moins coûteuse. Pourtant, cette fraude masque un bien plus vaste paysage, celui de cette multitude de petits arrangements qui, dans une commune hypocrisie, permettent de continuer à satisfaire à des normes dont la rigueur ne cesse de croître. Depuis l'Euro 1 entrée en vigueur en 1992, et pour s'en tenir au cœur du délit, les émissions d'oxydes d'azote par les moteurs diesel des véhicules légers, la réglementation a imposé une diminution d'un facteur proche de 10. La réduction, de plus, qui s'effectue à un rythme intense, est quasi-linéaire : 500 mg/km en 2000, 250 mg/km en 2006, 180 mg/km en 2009, 80 mg/km en 2014.
Or, ici comme dans quantité d'autres situations, on se trouve nécessairement dans un univers de rendements décroissants. Les constructeurs n'ont sans doute éprouvé aucune difficulté à respecter la norme Euro 1 ; mais ensuite, progressivement, les choses se gâtent. Et plus les exigences se feront lourdes, plus il sera techniquement difficile de s'y conformer, plus ça coûtera cher, et moins ça sera efficace. Quand bien même on ne dispose pas de connaissances techniques en la matière, on a bien l'impression que les solutions retenues sont de plus en plus acrobatiques, et que leur efficacité évolue en fonction inverse de leur complexité. Plusieurs pistes s'ouvrent alors. On peut penser que l’élaboration de ces normes se fait dans un certain consensus, et que le régulateur n'exige pas l'impossible. Pourtant, une assez bonne connaissance d'un secteur de voyous motorisés certes bien moins puissant que celui de la construction automobile montre que ses lobbyistes, malgré leurs valeureux efforts, éprouvent les plus grandes difficultés à se faire entendre. Aussi peut-on avancer une autre hypothèse.

Avec ses objectifs affirmés et claironnés, moitié moins de tués sur les routes d'ici 2020, et une diminution de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, la haute administration bruxelloise, et pas seulement elle, a remis à l'honneur le modèle du plan. Peut-être en va-t-il de même dans un domaine où l'on ne se contente pas d'évoquer de lointaines bonnes résolutions que l'on aura toujours d'excellentes raisons de ne pas respecter, mais des paramètres mesurables qui s'imposent aux industriels. Et à négliger ainsi les contraintes physiques et économiques au nom d'un objectif qui, à mesure que les étapes intermédiaires sont, avec de plus en plus de difficultés, franchies, ressemble de plus en plus à un absolu, un absolu de vertu et de pureté, on ne laisse plus qu'un unique degré de liberté. Car en face, pour s'adapter, les acteurs n'ont d'autre choix que de tricher tout en montrant, à l'aide de ces publicités triomphales qui ne trompent que ceux qui veulent bien l'être, combien ils ont une fois encore pulvérisé les objectifs du plan. Or, un jour, il faudra bien arrêter de prendre exemple sur l'URSS.

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