Chaque université se devant de justifier de la pertinence de ses recherches par la spécialisation, il était assez normal que l'étude de l'échinococcose alvéolaire revint à l'Université de Franche-Comté, la région concentrant la majorité des occurrences françaises, de l'ordre d'une quinzaine par an, de cette maladie parasitaire, rare mais excessivement dangereuse. L'échinocoque, le ver à l'origine de l'affection, niche dans l'intestin des petits carnivores, chat et chien parfois, mais renard pour l'essentiel, d'où le nom courant de la maladie. Porteurs sains, ces animaux vont disséminer les oeufs du parasite dans leur excréments, contaminant, par exemple, les champignons ou les fruits des bois, nourriture des hôtes intermédiaires de l'échinocoque, les rongeurs, et l'homme. Une fois dans la place, le ver s'attaque au foie de sa victime, dans lequel ses larves vont se multiplier, au point de finir par bloquer le fonctionnement normal de cet organe.
Or, nous dit-on, le foie, extrêmement résistant et capable de se regénérer, va poursuivre sa tâche jusqu'au moment où, parfois dix ans après l'infection, la maladie entre dans une phase aiguë, qui seule permet de la détecter : alors, il est souvent trop tard, la greffe, seule solution possible, risquant, avec le traitement anti-rejet qui lui est associé, de favoriser la prolifération d'un parasite qui a fort bien pu migrer ailleurs dans l'organisme, par exemple dans le tube digestif. Si l'échinococcose est diagnostiquée assez tôt, le malade sera astreint à un traitement médicamenteux à vie, puisqu'on peut arrêter le développement du parasite, mais pas l'éliminer.

Pour la France seule, entre 1982 et 2000, on a recensé 235 cas de cette maladie. Comment expliquer, alors que, à l'exception des habitants des zones contaminées, pour l'essentiel l'Est et l'Auvergne, ruraux en particulier, personne ne connaisse une affection qui a fait, et continue à faire, quinze fois plus de victimes que cette variante de la maladie de Creutzfeld-Jakob que l'on a bien connue sous son nom de syndrome de la vache folle ? Pourquoi l'échinococcose, en plus du handicap de ce nom à faire pleurer un journaliste de télévision, n'a-t-elle aucune chance de connaître le succès quasi planétaire de l'ESB ?

A cause de l'imaginaire, sans doute, puisque tout mangeur de viande pouvait se rêver contaminé par le prion, alors que seuls les consommateurs de fruits sauvages dans les seules régions infestées seront victimes de l'échinococcose. Mais, précisément, l'homme des bois, chasseur, cueilleur, prendra la précaution d'éliminer le parasite en lavant ces fruits que le citadin, tout à sa vision d'une nature innocente, avalera sur place, ver compris. Il aurait, bien sûr, suffit de prendre la peine de l'avertir mais, s'agissant d'une affection indépendante de l'action humaine, et impossible à éradiquer, l'intérêt politique, journalistique et judiciaire qui préside à la capitalisation des affaires - du nuage de Tchernobyl, du sang empoisonné, de la vache folle, avec tout leur fatras de symboles parfois séculaires - et se résoud dans la désignation d'un coupable parfois unique, fait défaut.
Le symbole, de plus, le nuage atomique, la chair morte contaminée par la rapacité contre-nature d'une humanité qui nourrit un herbivore de résidus animaux, le sang vecteur de mort, tout cela génère nécessairement un imaginaire autrement plus saisissant, et plus diabolique, que la fraise des bois meurtrière.