CRS bikers' blues
Soit Google fait bien mal son travail, soit le Nouvel Observateur, sur son site web, reste le seul à en avoir parlé. En décembre dernier, la branche CRS de l'UNSA-Police, syndicat traditionnellement décrit comme proche du Parti Socialiste et qui ne perd plus une occasion, depuis les élections professionnelles de novembre 2006, de rappeler, notamment contre les sarkozystes d'Alliance, qu'il est de nouveau majoritaire, lance une action contestant la modification du mode de remboursement des frais de déplacement des motards. Comme le précise le Nouvel Observateur, ceux-ci seront désormais remboursés sur justificatifs, et non plus au forfait. Le lecteur complètera facilement l'information manquante : si le forfait se révèle plus avantageux que les frais réels, c'est qu'il est suffisamment généreux pour constituer un bonus occulte, aux dépens de la collectivité. Avec leur "Opération Prévention" dans laquelle ils refusent de verbaliser les infractions bénignes, les motards CRS disposent, en prouvant qu'ils peuvent coûter plus cher que les quelques économies à cause desquelles ce nouveau mode de remboursement a vu le jour, d'un efficace moyen de pression sur leur employeur, en l'occurrence, le Ministère de l'Intérieur. En somme, un mouvement catégoriel de plus, une mauvaise habitude de ces fonctionnaires trop payés, le cul bien visé sur la selle de leur BM ou de leur FJ.
Pourtant, un peu comme un objet noyé dans la brume et dont les détails se révèlent à mesure que l'on s'en rapproche, les causes, les modalités et les conséquences de cette action, qui échappent totalement à la presse grand public, ne se révèlent qu'au yeux du connaisseur, et par l'intermédiaire du principal organe de la presse motarde, Moto Magazine. L'on apprend ainsi que ce remboursement des frais de mission, sur frais réels et avec trois mois de délai, est plafonné : désormais, impossible d'espérer équilibrer un dépassement éventuel avec la mission suivante, où les dépenses auraient été inférieures au forfait. Donc, on calcule, et on se restreint. Mais surtout, on comprend à quel point ce mouvement, dans son développement, dans les réactions de la hiérachie comme dans le fait que les notes comminatoires que celle-ci émet soient arrivées précisément sur les bureaux de Moto Magazine, dépasse largement, comme souvent, la revendication qui, au départ, le justifiait.
Il n'y a pas plus de hasard dans l'utilisation de ce mensuel comme relais de l'action des CRS de l'UNSA que dans leur choix de se présenter comme "motards en colère" ; ils font ainsi consciemment echo à la désignation de la principale organisation revendicative du monde motard, la FFMC, dont Moto Magazine est l'organe de presse, et affirment de la sorte, ce qui n'a rien de nouveau, leur pleine appartenance, en dépit de leur rôle répressif, à cet univers motard si spécifique, appartenance qui a permis à plus d'un
motard pris en faute de négocier avec succès une remise de peine au bord de la route.
Cette sorte de sentiment de faire partie de la famille, que l'on retrouve ailleurs, avec par exemple les fréquentes interventions sur un forum motard de big83, gendarme motocycliste varois, qui y joue un rôle parfois répressif, parfois éducatif, et parfois complice, explique pourquoi les CRS écrivent à Moto Magazine, et pas au Nouvel Obs. Et ce qu'ils disent, comme cette contribution reprise dans la dernière édition du mensuel : "La répression à outrance n’a jamais été la tasse de thé de la plupart de mes collègues. C’est notre taf mais nous sommes assez intelligents et honnêtes pour juger que choper un mec à 3 grammes est plus important que de mettre 20 excès de vitesse compris entre 10 et 20 km/h. Contrairement à notre gouvernement qui lui compte en euros et qui s’est vite rendu compte que les excès de vitesse rapportaient beaucoup plus que les alcoolémies" peut s'exprimer assez simplement : les CRS de l'UNSA, contre leur hiérachie et au mépris de ses menaces, loin de se contenter de réclamer quelques sous, contestent fondamentalement la pertinence d'une politique de sécurité routière strictement répressive et uniquement comptable, soit, donc, tout simplement, les modalités de la mission qui leur est confiée et qu'ils sont contraints de remplir.
Puisque l'on à affaire là à deux articles de presse en ligne ouverts aux commentaires, on ne manquera pas de comparer l'intérêt, certes fortement variable mais souvent significatif, des contributions publiées sur le site de Moto Magazine, au néant qui se dégage des rares poncifs abandonnés sur le site du Nouvel Obs. La force de la presse spécialisée, au fond, se trouve d'abord dans son lectorat lequel, dans un processus typiquement interactionniste, à la fois possède toutes les clés pour comprendre ce qu'on lui dit, et peut apporter témoignages complémentaires et expertises pertinentes. On se confie, en somme, à ceux que l'on sait être ses semblables, mais pas à ce journaliste de la grande presse nationale plus suspect que jamais, à tort ou à raison, de cette connivence avec ces pouvoirs auxquels on s'affronte. D'une certaine façon, ça se passe un peu comme sur les blogs.
Commentaires
Un CRS qui s'exprime dans un canard de moto sait aussi que la probabilité qu'un nauséabond putois d'insider pro-UMP dans la rédaction n'aille récupérer l'adresse IP de la machine qu'il emploie pour poster son commentaire pour la balancer discrètement aux flics juste pour avoir dit du mal de Nicolas Sarkozy.
Si vous avez bonne mémoire, vous devez vous souvenir de la célérité avec laquelle les forces de l'ordre ont identifié, trouvé, et amené le dénommé "radiateur" qui parlait en termes certes peu élogieux du travail de son officine publique. Sans même parler des diverses affaires de blogs de fonctionnaires qui alimentent régulièrement l'actualité du net pour remémorer à tout un chacun qu'à l'exception notable des enseignants, le service public est gentiment prié de ne pas défendre son travail et de limiter son discours à la stricte défense des intérêts catégoriels (ainsi que vanter l'excellence de la politique du gouvernement, mais bon..)
Et puisque alternance après alternance, notre classe politique préfère laisser les fonctionnaires et notamment les fonctionnaires de police dans l'incertitude de constructions jurisprudentielles réduisant à priori à rien le droit à l'expression individuelle du fonctionnaire sur le travail de son institution, on ne s'étonnera pas que la tendance naturelle de tout un chacun à défendre l'image des groupes auxquels on appartient trouve son échappatoire de préférence à mille lieues de l'institution et de tous ceux qui revendiquent la servir, fût-ce par une simple contribution à la "mission de service public d'information".
Enfin, sur le fond, une dernière remarque : la nette tendance à la stigmatisation des minorités désignées comme causes de grands maux sociaux (motards, capitalistes, enseignants ou nord-africains) dans les débats publics à gauche comme à droite réhabilte chez chacun les réflexes communautaires. Amable et Palombarini en parlent à mon avis assez bien dans :
www.amazon.fr/L%C3%A9cono...
en évoquant la notion d'intérêts dominés/intérêts soumis.
Joli papier. La presse spécialisée a en effet ce mérite d'avoir un interlocuteur (le lecteur-type), de ne pas parler dans le vide.
La presse spécialisée diffuse des informations.
La presse généraliste fabrique des analyses.
Chacun choisira alors de s'abreuver de ce dont il manque.
Franchement, Moto Magazine... la sociologie a quand même des limites, non?... Franchement... entre nous?... mmmmm?....