S'il ne s'agissait pas là, et l'on s'excuse du pléonasme, de l'argent du diable, on imagine que les écologistes auraient été ravis de lire l'information parue en page 23 des Echos de vendredi dernier. Areva, le spécialiste mondialement réputé de l'énergie nucléaire, en pleine bataille boursière pour le contrôle total de l'allemand REpower dont il possède déjà 30 % du capital, vient de relever son offre à 140 € par action, ce qui, si l'on prend en compte le cours moyen du titre durant la période précédant l'offre, représente une prime déjà largement déraisonnable de 96 %. Quant aux heureux actionnaires qui avaient investi fin 2005, avec un cours de l'ordre de 30 €, leur capital se trouve ainsi apprécié, en à peine plus d'un an, de plus de 350 %. De quels attraits irrésistibles dispose donc REpower, pour susciter chez Atomic Anne un engouement qui, nous disent Les Echos, n'est guère partagé par Bercy ? Une technologie unique de retraitement des actinides ? Un procédé exclusif d'exploitation de l'oxyde d'uranium ? A tout le moins, un câble supraconducteur révolutionnaire ? En fait, non. L'intérêt de REpower, avec son flottant de 45 % en plus des 30 % appartenant à Areva, avec sa taille raisonnable qui permet malgré tout, même si c'est cher, de se l'offrir, se limite pour l'essentiel à ces propriétés financières, puisqu'il s'agit d'un acteur de second plan du marché déjà bien encombré des turbines éoliennes.

Dans cet hommage du vice le plus profond à l'immaculée vertu de ces gracieux aérogénérateurs, une lecture superficielle verrait inévitablement la confirmation éclatante de la viabilité économique de l'énergie du vent, laquelle fait donc des entreprises du secteur des cibles de choix pour cette opération capitalistique des plus vulgaires, où, en concurrence avec l'indien Suzlon, Areva accepte de payer REpower 34 fois son bénéfice estimé pour 2008. Mais les fidèles lecteurs de ce carnet sont suffisamment avertis des tropismes de son auteur pour s'attendre à une réalité bien différente. C'est que, économiquement, les énergies renouvelables forment un organisme hybride inédit, avec un noyau d'économie administrée niché au coeur d'une pulpe libérale. Et l'on s'arrache le Kw/h éolien parce que la rentabilité d'un parc d'aérogénérateurs ne dépend que marginalement de la quantité d'électricité produite. Cette rentabilité découle d'une double contrainte, l'obligation d'achat de la production par l'électricien national, et le prix règlementé auquel ce rachat s'effectue. Rendant un simple avis, la Commission de Régulation de l'Energie s'est ainsi livrée à une impitoyable analyse comparative des divers modes de production d'électricité et, comme toutes les études économiques qui partagent cette détestable tendance à la rationalité, ses conclusions sont sanglantes : au tarif en vigueur, un Kw/h éolien généré dans la métropole représente un surcoût de 520 % sur son équivalent nucléaire.
Puisque les coûts d'implantation sont fixes et la consommation de combustible nul, la profitabilité des parcs éoliens sera d'autant meilleure que les emplacements seront bien ventés, ce qui explique pourquoi on se les arrache. Et, dans le meilleur des cas, la CRE calcule que cette rentabilité après impôts, que la loi garantit pour quinze ans, peut atteindre 40 %. En somme, investir dans un acteur de la filière éolienne revient, en fait d'action, et d'action d'autant plus risquée que la technologie est neuve et que l'on attend toujours qu'elle fasse la preuve de sa viabilité, à acheter une obligation d'Etat à maturité de quinze ans et avec un rendement potentiellement dix fois supérieur à celui que l'on trouve aujourd'hui dans cette classe d'actifs. Une aubaine pareille, ce serait vraiment bête de s'en priver. Ainsi, depuis son introduction en bourse le 26 novembre dernier, l'action EDF Energies Nouvelles s'est-elle appréciée de 52 %.

Depuis que le système est libéralisé, la construction de centrales électriques n'est plus régulée que par les mécanismes du marché, donc par l'évolution de la demande et les perspectives de rentabilité des investissements, et non plus par la planification d'un monopole d'Etat. Mais en créant un régime de prix garantis et une obligation d'achat de la production, on a mis ce secteur des énergies nouvelles à l'abri de la contrainte de ces mêmes mécanismes. Les éléphants blancs peuvent désormais proliférer en toute liberté, entravés seulement par quelques villageois hostiles et une administration toujours procédurière, et en toute quiétude, puisqu'ils pourront compter sur les bataillons Verts pour venir à la rescousse si jamais leur rente venait à être menacée. Ce transfert de fonds publics vers des actionnaires privés a un coût que la CRE estime entre 800 millions et un milliard d'euros par an : le coût, non pas d'une réduction des émissions de dioxyde de carbone avec une solution qui n'en apporte pas et dans un pays qui n'en a pas besoin pour sa production d'électricité, mais d'un alignement sur une bienséance européenne qui génère, à coup de règlements, d'engagements et de subventions, une réalité parfaitement fictive, une réinterprétation idéologique qui contourne aux frais du contribuable les insurmontables contraintes de l'économie banale, et de l'ordinaire physique.