la peur des ondes
Dans les créneaux dépeuplés des journaux télévisés de la mi-journée, ceux qui s'adressent aux agriculteurs, aux inactifs et au troisième âge, on peut parfois trouver des perles. France 2, en ce lundi 26 mai, parlant à cette population sans doute bien plus facile à convaincre des méfaits du sans-fil que le jeune
urbain branché en permanence, nous mettait ainsi en garde contre les dangers méconnus du Wi-Fi, avec un geste fort à l'appui : à la suite des plaintes de l'un des ses employés, le directeur de l'impériale bibliothèque Sainte Geneviève, cette atroce
réserve à binoclards où ceux-ci s'entassent comme un élevage de poulets industriels dans une sorte d'énorme hangar à la hauteur de plafond vertigineuse, rejoue pour la caméra de la chaîne le moment où il a débranché cet
innocent routeur domestique Linksys que le reportage qualifie
de "borne Wi-Fi", et qui donne une bonne idée du haut degré de professionnalisme de l'installation. Car, dans ce monde depuis toujours baigné de ces obscures ondes électromagnétiques qui tombent des étoiles, dans cet univers qui profite depuis un
siècle des bienfaits de la radioélectricité utilisée comme vecteur de communication, certains en sont persuadés : le
Wi-Fi, c'est dangereux, et c'est mieux quand c'est éteint. Telle est, en tout cas, la profession de foi des activistes spécialistes du secteur, dont l'association passe au domicile des particuliers, mesureurs de champ au poing, pour les avertir des dangers qui les guettent au coin de leur salon.
L'avertissement, au demeurant, est vraisemblablement superflu, puisque ces mesures ne prêcheront que des convaincus, le simple fait
de recourir aux services de cette association manifestant un soupçon qu'elle ne pourra que confirmer, et d'autant plus simplement que les ondes électromagnétiques, on baigne dedans en permanence. On retrouve ici le principe de cette campagne Greenpeace, où l'on identifiait la
présence de toxiques dans le sang de volontaires, en l'occurrence des députés écologistes au Parlement européen, le sang Vert étant, par définition, bien plus sensible aux polluants de toutes sortes que celui du vulgaire ouvrier qui passe sa vie au milieu d'eux.
C'est donc muni de son mesureur de champ que l'on fait la connaissance d'André ; André, précise le reportage, est "électro-hypersensible". Pour se protéger des ondes, et des malaises qu'elles lui causent, il porte une tenue d'apparence banale, et qu'il déboucle pour l'occasion. On découvre alors que ses vêtements, et sa casquette même, sont entièrement doublés d'un tissu constitué d'une feuille d'argent, et qui sert de blindage. On se dit que, en matière de blindage, le simple aluminium ferait aussi bien l'affaire ; mais, à n'en pas douter, l'alu, ce serait beaucoup moins noble. On se prend aussi à douter de l'efficacité d'une protection qui ne recouvre pas totalement son corps ; mais le fait de se promener dans la rue vêtu d'un scaphandre argenté présenterait vraisemblablement des inconvénients d'un autre ordre, et non moins redoutables. Car on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement entre André et ces personnages de séries B, ces lunatiques, ces savants fous portant un casque pour se protéger des ondes cosmiques.
Puisque l'on est sur France 2, on respecte l'équilibre des forces en présence : la défense, fort mal assurée par un représentant de l'AFSSET, est donc encadrée de deux accusateurs. Le premier, le créateur de l'association d'André, s'appelle
Étienne Cendrier ; la seconde, Janine Le Calvez, à l'origine d'une association similaire, PRIARTéM, est interrogée dans son salon. Pour soutenir son propos, le caméraman a astucieusement disposé en amorce une innocente Freebox, dont les trois antennes pointent vers le ciel, doigts menaçants d'une main noire assassine. C'est
là le premier conseil à donner aux fabricants d'équipements : remplacer les antennes par n'importe quoi de gentil et d'inoffensif. Un lapin, par exemple.
On a beau se trouver à une heure de faible écoute, la diffusion d'un sujet qui n'est justifié par aucune actualité,
l'opération Sainte Geneviève ayant eut lieu dix jours plus tôt, intrigue. Dans la soirée, le soupçon se confirme : sur TF1, pas question de Wi-Fi, et sur France 2, le sujet n'est pas repris. Arte-Pravda sera donc la seule à revenir sur la question, l'AFSSET y étant
qualifiée, ou, plus exactement, disqualifiée, "d'agence scientifique gouvernementale" par une rédaction qui attend sans doute avec la plus grande impatience l'inévitable création d'un CRII-ondes aux avis duquel elle pourra s'abandonner sans réserve, et Étienne
Cendrier, simple créateur de Robin des Toits sur France 2, devenant un "expert en Wi-Fi", une qualification qu'il serait sans doute le dernier à revendiquer. Car, comme le précise un article de Libération, Étienne Cendrier est artiste-peintre ; le technicien, dans la famille, c'est son père : il est architecte. On comprend par ailleurs ce, qui, dans le sujet, est d'actualité : Étienne Cendrier vient juste de publier un livre.
Les sujets de cet ordre se révèlent toujours riches des informations qu'ils recèlent sans vouloir les donner. Ainsi, il suffit donc d'un seul hypocondriaque pour priver des centaines d'étudiants d'un service aujourd'hui essentiel. Mais, surtout, on s'aperçoit, en relevant les profession des plaignants comme des militants, bibliothécaires, documentalistes, sociologue, artiste-peintre, architecte, que l'éventail des humanités figure presque au complet. L'intérêt ne réside pas tant dans le fait qu'aucun d'entre eux ne dispose de la moindre qualification technique pour appuyer ce qui ne relève que de la conviction. L'intérêt, c'est que cette opération vaniteuse et symbolique, dans laquelle une catégorie sociale pourvue d'un fort capital culturel de nature traditionnelle, qui lui permet donc de récuser une technologie dont elle se passe d'autant plus volontiers qu'elle remet en cause sa position sociale, justifie, comme toujours, son action par le précédent de l'amiante, et n'éprouve donc aucun scrupule à abriter grâce à la souffrance des autres son égoïste confort bourgeois.
Commentaires
Je te trouve un tantinet malhonnête à douter de la nocivité du Wifi.
La méfiance est des plus légitimes. Après tout, les satellites, les vaccins et les fours micro-ondes, pour ne citer qu’eux, ont déjà largement décimé les populations occidentales ; la technologie est mauvaise en soi on vous dit.
Absolument mort de rire. Le pire c'est quand E=M6, autrefois très bonne émission scientifique, s'y met aussi. On nage dans le grand n'importe quoi. Et le must : ceux qui considèrent que le courant porteur est beaucoup moins nocif (alors qu'en réalité, il semble bien établi que cela produit encore plus d'ondes électromagnétiques, et venant de tous les fils électriques, tandis qu'avant l'émetteur était localisé).
Z'ont qu'à tous vivre dans des cages de Faraday, les malades imaginaires (c'est étrange que tu n'avais pas encore traité ce sujet, qui revient régulièrement ; tu as déjà traité des GSM ? Me souviens plus. On y rencontre à peu près les mêmes allumés, avec les antennes de-la-mort-qui-tue -- même que la dernière fois, une paire de vieux de 90 balais annonçait à la télé qu'ils avaient eu quelques cancers à cause de l'antenne en face, à 200 mètres).
Mais tu lis en diagonale, comme tout le monde : d'où tiens-tu que j'ai exprimé le moindre jugement au sujet de la nocivité de quoi que ce soit ? Je me contente simplement, d'une part de noter les incohérences de ces démarches prohibitionnistes (d'ailleurs, j'aimerais bien savoir dans quelles proportions les émissions radioélectriques dans la bibliothèque Sainte Geneviève ont baissé depuis l'extinction des routeurs. Car tous les portables de ces braves étudiants sont munis de bidules qui tentent automatiquement de se connecter à une borne sans fil, et qui ne renoncent pas facilement. On imagine avec effroi cet éther parcouru d'ondes en peine, en quête d'un asile désormais hors d'atteinte. Du coup, ils se pourrait même qu'elles établissent des relations contre-nature, directement d'un client à l'autre. Ah, la misère relationnelle entre Macs, c'est terrible.) et d'autre part de remarquer l'étonnante proximité sociométrique qui unit ces gens qui prétendent souffrir des mêmes maux. Mais après tout, il est on ne peut plus normal que des intellectuels soient sensibles à des choses qui échappent totalement à la perception ordinaire des vulgaires techniciens de TDF et autres opérateurs radar.
J'espère que tu as visionné le sujet de France 2, et que tu n'as pas raté André ; un personnage, cet André. Je ne serais pas surpris qu'il soit intermittent du spectacle. Et accessoirement, je m 'étonnes que tu perdes ton temps à lire mes billets alors qu'on t'attend à la République des Blogs ; j'espère que tu ne rateras pas la prochaine, déjà que t'as loupé Raffarin.
Bon, clarifions : le tu, donc, c'est Aymeric ; et je n'ai pas traité des antennes GSM, pas plus que je ne parle de Wi-Fi ici : dans ce billet, il est question de l'information télévisée. Et ça, en effet, je connais, et j'en parle souvent.
Ouh la mauvaise foi !
En qualifiant le plaignant d’hypocondriaque tu ne remets pas en question la réalité du mal dont il prétend souffrir ?
Ceci-dit, non, je n’ai pas vu André n’étant, pour l’instant, ni agriculteur, ni inactif ni même un senior (on ne dit plus troisième âge depuis longtemps enfin).
(La république des blogs ? Oui, je serai a priori de la prochaine. Ah, et je ne perds pas tant de temps que ça à te lire puisque je ne lis qu’en diagonale.)
Cette histoire de routeurs wifi relève de l'hystérie collective et aurait parfaitement pu se traiter, en d'autres temps, par un ou deux sacrifices voir un bûcher.
Nous sommes dans la modernité et donc nous écoutons tout huluberlu qui juge sage de se protéger d'ondes maléfiques à l'aide de feuilles d'argent au lieu de traiter ses troubles de la personnalité.
C'est surtout un aveu d'impuissance de la pensée rationnelle de ne pas pouvoir démontrer qu'un délire est dénué de fondement...et si la pensée rationnelle est impuissante c'est bien la preuve que quelque chose nous échappe.
A cet égard j'ai beaucoup aimé l'analyse suggérée en fin d'article qui décrivait la réaction des bibliothécaires traditionnels comme une hostilité à l'encontre d'une technologie qui menacerait leur statut social.
Ouais enfin, la pensée rationelle a bon dos. Disqualifier le plaignant au motif qu'il serait, par exemple, hypocondriaque (ah? vous êrtes médecin?) ou de non qualifié n'en relève pas. Lui répondre avec des bases scientifiques nettes seraient plus à propos (ça compenserait justement ce manquement).
Si j'étais mauvaise langue, je rétorquerais que les techniciens en réseau sans fil ne sont pas qualifiés pour participer au débat vu qu'ils en vivent: on pourrait légitimement douter de leur objectivité à critiquer des technologies qui les font vivre.
Le raisonnement erroné ne donne pas raison à l'autre camp, il vous donne simplement tort.
<i>Le raisonnement erroné ne donne pas raison à l'autre camp, il vous donne simplement tort.</i>
Puisque nous en sommes à la logique, il est impossible démontrer que les ondes wifi ne sont pas dangereuses car ce serait apporter la démonstration d'un fait négatif.
Simplement il appartient à celui qui soutien l'existence de ce danger de le prouver et l'on peut se demander, le cas échéant avec le sourire, si porter une cage de Faradet, même discrète, est un argument valable.
Le commentaire de EGM est assez extraordinaire (encore qu'il traduise une "pensée" qui devient malheureusement ordinaire)
Si je comprends bien
N'importe quel individu est légitime et crédible à proclamer partout que les ondes sont dangereuses sans fournir la moindre preuve à ses affirmations
C'est au contraire aux autres de fournir la preuve scientifique de la non nocivité
Mais attention, cette preuve scientifique ne peut être apportée par les spécialistes du sujet puisqu'ils en vivent
il faut donc qu'elle soit apportée scientifiquement par des gens qui ne connaissent pas le sujet
Avec de tels raisonnements, le principe de précaution est vraiment superflu!
Meuh non, tu as mal lu (et donc mal compris). Je dis que leur argumentation a beau être foireuse (le costume en argent me semble être une vaste fumisterie, pour donner un exemple), on n'a pas le droit d'écarter leurs craintes d'un simple revers de la main: divers scandales sanitaires auraient pourtant du nous alerter sur les conduites à tenir. La méthode coué "tout va bien" est à mon sens aussi peu pertinente.
Quant à ma partie sur "ceux qui en vivent", c'était simplement pour répondre à l'article et la posture partisane des bibliothécaires. Oh, les gens ont des opinions orientées selon leur profession. Quelle découverte!
Quant aux processus scientifiques, j'ai au contraire pleinement confiance: il ne s'agit pas de prouver qu'un truc n'est pas là. Les ondes sont là, aucun problème: il faut étudier leur éventuel impact. D'ici quelques années, j'espère qu'on aura les grandes lignes.
Enfin, sur une note personnelle, je suis pour le développement des réseaux sans fil et j'aime les changements d'habitude qu'ils engendrent (l'internet portable c'est mon dada). Si l'attitude des anti prête à sourire (je rigole encore de la combinaison en argent), les pros ont parfois un comportement tout aussi étrange et inadéquat.
EGM > "divers scandales sanitaires auraient pourtant du nous alerter sur les conduites à tenir"
Vous qui parlez de bases scientifiques, on vous attend sur le rapprochement entre ondes wifi et le sang contaminé, l'ESB ou l'amiante.
Plus sérieusement donc :
EGM > "Les ondes sont là, aucun problème: il faut étudier leur éventuel impact. D'ici quelques années, j'espère qu'on aura les grandes lignes."
Les émissions des téléphones portables ont été testées sur un échantillon de la population norvégienne (ou danoise, je ne sais plus). Aucune incidence.
Une étude récente a déclaré l'inverse. L'étude a été retirée, la technicienne a avoué avoir fabriqué des données. Mais les médias avaient déjà sauté dessus.
Renseignez-vous.