Il en rêvait, affirment aujourd'hui des Echos, depuis son premier mandat. Par une décision votée hier, Bertrand Delanoë et le Conseil de Paris viennent de mettre fin à trente ans d'attentisme pudibond, et d'autoriser le retour dans la capitale des immeubles qui se voient de loin. Et ce n'est pas tous les jours qu'un politique ose prendre une décision qui, certes, ne modifie rien de fondamental, mais va à l'encontre de la dévotion ambiante pour le discret, l'humble, le petit, risque de fâcher des électeurs très contents de rester entre eux et, à coup sûr, contrarie un ancien allié qui, il est vrai, depuis les dernières élections, ne pèse plus très lourd. La tâche n'était pas facile ; observer la manière dont elle a été menée à bien sera donc riche d'enseignements

Bien en deçà des mouvements décisifs, une bonne campagne commence par la préparation du terrain : le 30 octobre 2007, titrant "Bertrand Delanoë et ses totems urbains", Le Monde présentait quelques projets d'immeubles de grande hauteur, et illustrait l'article avec quelques réflexions issues de l'atelier Brénac & Gonzalez, pour le quartier de la porte de la Chapelle. Le décor était planté : un quartier neuf dans l'une des rares réserves foncières qui subsistent dans la capitale, beaucoup de verdure, et des constructions originales, sympathiques et accueillantes dont quelques-unes poussent un peu plus haut que les autres, soit l'exact opposé de l'urbanisme des dalles du XIIIème arrondissement, du Front de Seine, ou de la tour Montparnasse. Les opérations se poursuivront par un déminage soigné, dans lequel on veillera scrupuleusement à ne jamais employer le mot qui fâche : alors, à l'exclusion de tout autre, on désignera donc ces constructions du vocable de "hauteurs", terme neutre sans être pour autant ni inapproprié, ni vide de sens. Reste à affronter l'ennemi, que ses résultats désatreux aux élections municipales ont considérablement affaibli, au point qu'on ne le garde plus dans l'équipe que par pure bonté d'âme. La manoeuvre se déroule en trois temps : en première ligne, on envoie sa fidèle adjointe en charge de l'urbanisme, Anne Hidalgo. Pour désamorcer les critiques, on va limiter l'ampleur des changements : seuls six secteurs périphériques, à peine parisiens, banlieusards presque, accueilleront les nouveaux immeubles ; leur hauteur dépassera de peu les 37 mètres réglementaires, pour les immeubles d'habitation, et se permettra parfois un peu plus d'audace, quand il faudra construire hôtels ou bureaux. Enfin, on n'oubliera pas la diversion participative à la Ségo, avec une "conférence citoyenne" à laquelle le peuple sera convié, et cordialement invité à donner son avis, étant entendu que, de toute façon, les décisions sont déjà prises.

En fait, le vote du Conseil porte sur deux catégories distinctes de constructions, et répond à deux problématiques différentes. En faisant sauter la limite des 37 mètres, on ajoutera quelques étages aux logements collectifs, sans dépasser la limite des 50 mètres, hauteur à laquelle commence le royaume des IGH, avec leurs contraintes réglementaires propres. Là, on est dans le pragmatique : il suffit de regarder la ZAC des Hauts de Malesherbes, qui, malgré la maîtrise d'oeuvre de Christian de Portzemparc, la qualité des intervenants et la pittoresque Flower Tower d'Édouard François, un amateur de web qui crache, donne, avec ses immeubles de hauteur et de volume identiques, une assez écrasante impression d'uniformité, pour comprendre qu'un peu plus de variété dans les dimensions, un peu plus d'espace libre au sol n'auraient pas été superflus.
Avec la vraie hauteur, on entre dans le symbolique. Les quelques immeubles qui seront construits ne transformeront pas Paris en La Défense, ne rattraperont pas le retard accumulé face à la concurrence, pas plus qu'il ne permettront d'entrer dans la course à celui qui aura la plus haute, un jeu auquel l'Europe, et le monde anciennement développé, ne participent de toute façon plus depuis longtemps. Mais ils donneront à cette ville sinistre, avec ses enfilades de casernes haussmaniennes, un peu plus de variété, de liberté, et de modernité.

C'est bien l'irruption de ce terme haïssable qui irrite l'ancien allié. Le blog de l'ex-numéro 1 des Verts parisiens résonne de l'indignation du délaissé, et ses déclarations disent tout de son intention de tuer le monde moderne, intention typique de la volonté des Verts de ne voir dans cette capitale de 10 millions d'habitants  que le village qu'elle n'est plus depuis l'an mille. Au passage, on notera que l'image qui illustre l'effroi, l'horreur de ce que l'on ne veut plus voir n'est pas, comme d'habitude, la tour Montparnasse, mais le bien plus modeste et bien plus inventif hôtel Sheraton de Pierre Dufau. Voilà qui permet de compléter la revue des tactiques Delanoë d'un dernier élément décisif : savoir attendre que son allié soit suffisamment faible pour ne plus entraver ses plans.