Sans que l'on puisse y trouver de justification particulière, puisque l'accès à ce que l'administration qualifie de motocyclette légère, alias MTL, et le sens commun de 125 cm³ en général, et de scooter en particulier, a été rendu aux titulaires du seul permis B dès 1996, la règlementation impose depuis le premier janvier 2007 aux automobilistes désireux de s'affranchir des contraintes des quatre roues sans vouloir pour autant passer le permis moto de satisfaire à une obligation de formation complémentaire. Dans un premier temps, seule a été définie la durée de ce stage, laquelle a été fixée à trois heures. La disposition ne pouvant s'exercer à titre rétroactif, elle ne concernait donc que les titulaires d'un permis obtenu à partir de ce premier janvier-là ; mais comme ce nouveau titulaire restait soumis à l'obligation de disposer de deux ans d'expérience de la conduite, c'est à dire, dans les faits, d'un permis vieux de deux ans, avant d'être admis à se risquer au guidon d'une MTL, ce complément de formation n'avait pas à être dispensé avant le premier janvier 2009. Un esprit raisonnable aurait sans doute estimé qu'un tel délai permettait largement, en concertation avec les instances représentant les usagers comme les organismes de formation, de doter ce stage d'un contenu aussi utile et cohérent que pouvait le permettre sa durée ridiculement courte. Mais, plus que jamais, la seule raison se révèle impuissante à expliquer le fonctionnement de l'appareil d'État.
Car le contenu de cette formation qui sera obligatoire dès vendredi prochain a été publié dans le Journal Officiel du quatre décembre dernier, soit, puisqu'on peut demander à la suivre un mois avant cette date anniversaire des deux ans de permis, quelques jours après l'ultime limite. Pour avoir réclamé un aussi long délai de rédaction, son contenu doit être exceptionnellement complexe. L'arrêté du 27 novembre 2008, rendu donc public le 4 décembre, comprend en fait trois pages, la première établissant la marche à suivre et les contraintes légales, et la dernière présentant le modèle de l'attestation à remplir en fin de formation ; quant au contenu de celle-ci, il est exposé en douze points et deux paragraphes. Pourtant, il est redoutable. Il exige, en effet, que le stage se déroule à la fois sur piste, où l'on apprendra, puisqu'il aura lieu au guidon d'une 125 cm³ classique à boîte manuelle, à passer ses vitesses, à rouler à diverses allures sans, et avec, passager, à effectuer divers types de freinages, y compris en urgence, et sur route, à la fois en ville et hors agglomération. Hormis l'épreuve du code, par définition superflue puisque cette formation ne concerne que les titulaires d'un permis récent, ce programme ressemble de si près à celui du permis A1, qui donne accès dès 16 ans à la 125 cm³, que l'on peut parier que ses rédacteurs s'en sont fortement inspirés, économisant là toute nécessité d'une réflexion spécifique : il suffit, pour s'en convaincre, de jouer au jeu des différences sur le site du Service-Public. On ne relève, en fait, qu'une distinction, de taille : une moto-école agréée AFDM dispensera pour le permis A1 une formation pratique de 20 heures ; ici, on dispose de sept fois moins. Ce qui conduit à développer toute une série de remarques.

On doit, d'abord, envisager la question d'un point de vue économique : quelles incitations conduiront les moto-écoles à proposer cette formation, et comment procèderont-elles ? A priori, parce qu'elles l'utilisent pour le permis A1 et les premiers tours de roues du permis A, nombre d'écoles possèdent normalement une 125 cm³. Mais on recense en 2007 à peine plus de 4 000 permis A1 délivrés, contre 102 565 permis A : on peut parier que l'on rencontrera donc des situations très diverses, de l'absence d'équipement à l'utilisation à plein temps, pour les grosses structures, de la seule 125 du parc. L'obligation d'effectuer en trois heures trois parcours différents dans des lieux distincts produira une seconde contrainte, géographique : pour les moto-écoles situées au centre d'agglomérations importantes, il sera physiquement impossible de satisfaire à cette exigence. Or, c'est précisément dans ces grandes agglomérations que résident les automobilistes candidats au scooter. Alors, on rencontrera deux situations : celle où les écoles, remplissant tous les critères pratiques permettant d'assurer la formation, la dispenseront, sans doute pour un coût relativement prohibitif, ce qui la rendra d'autant plus rentable que la concurrence sera faible et qu'elles pourront assurer deux stages par jour, et celle, très probablement majoritaire, où les petits arrangements l'emporteront : pas d'examen, pas d'inspecteur, pas de contrôle, on va pas s'emmerder à cause de ces technocrates qui connaissent rien à la bécane, trois tours de piste et tu l'as, ton papier, mon gars.
Ce qui, inévitablement, mène à une autre interrogation. Rien, dans l'accidentalité des 125 cm³, ne semble justifier d'imposer à leurs conducteurs une formation spécifique ; en postulant l'utilité d'une telle mesure, on aurait, en établissant sa durée à six heures, au moins trouvé un compromis acceptable qui aurait permis une initiation efficace sans mobiliser plus d'une journée. La durée ridicule de la formation retenue, son contenu publié hors délai, conçu en quelques secondes en recopiant une formule existante sans se soucier un seul instant de sa validité pratique, ne démontrent pas seulement, une fois de plus, la négligence complète dont l'appareil d'État fait preuve dans les situations de ce genre, où ses agents disposent via la réglementation d'un pouvoir d'imposition qui ne sera contesté ni par une action collective, ni par le politique. Ces lacunes permettent surtout de se rendre compte qu'il n'est, ici, absolument pas question d'acquisition de compétences, ni de sécurité : il s'agit juste, en plus de l'effet d'annonce, d'imposer une contrainte, de poser une barrière à l'entrée vers un mode de transport dont on n'avait pas prévu qu'il connaisse un tel succès, puisque le plan prévoyait comme remplaçants de l'automobile le vélo ou l'autobus, mais absolument pas ce scooter qui symbolise la pragmatique revanche du réel. La solution, alors, sera peut-être dans le contournement, et l'efficacité de cette nouvelle mesure se jugera non pas lors de son évaluation, qui doit intervenir au bout des trois mois d'hiver, mais lorsque Piaggio sortira une version 125 cm³ de son MP3 LT, ce tricycle qui, en tant que tel, est accessible sans restriction et dès 18 ans aux titulaires du permis B.