Saisissant l'occasion, CNBC avait agrémenté son journal boursier du matin, qui présente rapidement la tendance à l'ouverture dans quelques-unes des places européennes, d'une infographie un brin sarcastique. Au même titre que le plus ordinaire des téléphones mobiles parvenu à la fin de son processus d'assemblage chez un quelconque sous-traitant chinois, les banques européennes qui venaient de réussir les tests de résistance aux crises financières organisés par le Comité européen de régulation bancaire se voyaient, l'une après l'autre, marquées d'une coche verte dans la case appropriée. Car voilà bien la première particularité, un peu surprenante, de cette procédure engagée depuis des mois et dont on attendait un verdict clair sur la solidité du système bancaire européen et, par extension, un apaisement définitif des angoisses : les résultats en sont strictement binaires et, donc, ça passe, ou ça casse. Si le verdict a le mérite de la simplicité, s'il conduit à un bilan très globalement positif puisque, des 91 établissements auscultés, sept seulement échouent, il soulève une certaine quantité de questions auxquelles, inévitablement, les analystes cherchent à apporter des réponses.

Et ils s'intéressent d'abord aux perdants : cinq caisses d'épargne espagnoles dont la désormais célèbre CajaSur, caisse andalouse propriété voici peu de l'église catholique mais qui, ayant échoué dans sa recherche d'un bon samaritain suffisamment généreux pour la sauver de la faillite, avait été mise sous tutelle par la Banque d'Espagne avant que ses actifs soient repris par le basque BBK, l'allemande Hypo Real Estate qui traîne depuis des années le boulet de ses créances immobilières, et une seule banque grecque. Face à un tel succès, la déception est grande. Nombreux, en effet, sont ceux qui trouvent la liste bien trop courte, ce qui les conduit à adopter deux stratégies distinctes, mais pas nécessairement incompatibles : critiquer la procédure de tests, et chercher à rallonger la liste des échecs.
En s'intéressant à ceux qui sauvent leur tête de justesse et échappent de peu à la recapitalisation obligatoire, on trouve ainsi, à côté de quelques espagnols de plus, des poids lourds comme la Deutsche Postbank, l'irlandais Allied Irish mais aussi, dans ce monde où la corruption des valeurs morales atteint un si haut degré qu'il n'est même plus question de respecter la noblesse des ans, la plus vieille banque du monde, ce Monte dei Paschi di Sienna fier de sa date de naissance, dans la seconde moitié du XVème siècle. Quant à critiquer les tests de manière plus directe, on retiendra essentiellement les zones d'ombre d'une procédure qui laisse de côté des questions gênantes, comme un défaut éventuel sur une dette souveraine, se construit à partir d'hypothèses qui semblent manquer de pessimisme, et aboutit parfois à des résultats à la fois triviaux et incohérents, puisque des établissements hier en difficulté et qui ont bénéficié d'aides publiques se retrouvent aujourd'hui en meilleure position que ceux qui n'ont eu besoin de personne pour traverser la crise. On peut, de plus, échafauder une critique plus globale des défauts inhérents aux comparaisons internationales de cet ordre, et qui en limitent fatalement la validité.
Le Comité avait comme objectif de vérifier, dans chacun des pays concernés, les capacités de résistance d'une quantité indéfinie de banques représentant au minimum la moitié du marché national : il s'est donc préoccupé de dix-neuf établissements espagnols, et de quatre français. Au-delà d'une absence étonnante, celle du Crédit Mutuel, propriétaire du CIC, une telle disproportion dit bien à quel point le fait d'appliquer, à Chypre comme en Allemagne, et dans des systèmes bancaires au degré de concentration extrêmement variable, des critères uniformes sans la moindre pondération produit des résultats absurdes : une bien improbable faillite de la petite Sydbank, auditée avec succès par le Comité, aurait de toute façon bien moins de conséquences pour la stabilité globale du système que celle d'une caisse d'épargne allemande, dont il ne se soucie pas. À vouloir construire un modèle simple, binaire, uniforme, avec comme objectif de fournir des résultats incontestables et transparents, on tombe inévitablement dans l'excès inverse, celui de produire une analyse sommaire et incomplète que chacun, dans son coin, va chercher à bonifier à l'aide de ses propres critères.

L'exercice visait, au fond, à évaluer dans quelle mesure le système bancaire serait en mesure de résister à une crise qui, en réalité, vient juste d'avoir lieu, et à laquelle il a effectivement résisté puisque les prévisions d'apocalypse n'auront pas suffit à l'abattre et que, avec des exceptions que l'on a déjà évoquées et dont la situation ne relève pas du hasard, il fonctionne toujours avec les mêmes banques dont le statut comme la composition du capital n'ont pas sensiblement varié. En d'autres termes, le modèle vérifiait que, au cas où se produirait ce qui s'est déjà produit, les choses se passeraient bien comme elle se sont déjà passées. Venant suffisamment longtemps après la bataille pour se retrouver, non pas face à un champ de ruines, mais devant un système qui, pour l'essentiel, fonctionne de nouveau, le Comité d'évaluation ne pouvait que constater à quel point les défaillances éventuelles ne pourraient être que marginales. Les tests, en d'autres termes, arrivent trop tard pour se révéler véritablement fructueux ; mais le fait que Dr. Doom les trouve insuffisants démontre sans doute possible qu'ils n'ont pas été inutiles.