L'instituteur raté qui sommeille dans l'imaginaire de tout journaliste de télévision se réveille parfois, lorsque l'occasion se présente. Et quand il s'agit de tourner un sujet qui décrit une nouvelle méthode de police scientifique, son regard s'illumine, et sa parole s'anime. Car il y a là matière à capitaliser sur un thème qui, à la fois, connaît, à travers une longue suite de séries télévisées, les faveurs du public, et tombe en pleine actualité, à l'heure des mouvements sociaux lancés par ces policiers particuliers, dénonçant leurs conditions de travail, aux antipodes de ce que montrent les fictions. L'édition du mercredi 29 septembre du journal de 13 heures de France 2 dont la consultation, service public oblige, est réservée aux clients de Microsoft, comportait ainsi, vers sa quinzième minute, un reportage sur une technique de police scientifique "venue des pays de l'Est" et encore fort peu développée, l'odorologie. Des experts, il en était pourtant à peine question, et de leurs difficultés professionnelles, pas du tout.

Dans les locaux de la police lyonnaise, deux techniciens, qui n'avaient pas cédé au conformisme de la blouse blanche, présentaient leur méthode. Elle consiste à recueillir, sur les lieux du crime, une odeur, en passant un chiffon sur un objet approprié, un siège par exemple. Mise en bocal, l'odeur se conserve une dizaine d'années. Ensuite, après l'interpellation d'un suspect, on prélève son odeur. On la fait ensuite sentir par un chien à l'attention duquel on a aligné, dans une pièce, cinq bocaux, dont l'un contient les indices précédemment recueillis. Si le chien s'arrête au bon bocal, si un second nez confirme son choix, on considère le test comme positif.
Un tel sujet, si simple, si court, suscite pourtant quelques interrogations. Le journaliste, qui ne pose pas une question, qui agit comme simple enregistreur de la démonstration policière, semblait ainsi étrangement passif. On peut comprendre que le dispositif paraisse convaincant ; mais si la rigueur méthodologique impressionne toujours le profane, elle ne saurait à elle seule définir la science, faute de quoi on ne pourrait rien reprocher aux alchimistes. Un élément, de plus, dérange. Car sur France 2, on a la mémoire courte. L'observateur attentif, ou la journaliste de l'AFP, conviée, sans doute séparément, au même spectacle, se souviennent, eux, d'une récente affaire, et tout s'éclaire.

L'odorologie reste en effet le principal élément à charge contre ce participant présumé à l'attaque du casino d'Uriage, en juillet dernier, seul survivant du duo de malfaiteurs impliqués. Alors, on laissera au juriste le soin de qualifier la pertinence d'une preuve apportée par un agent avec lequel on ne peut communiquer autrement qu'en lui distribuant des caresses, et des saucisses, même s'il semble que, en la matière, la religion de la Cour soit faite. Mais sachant à quel point la remise en liberté de l'éventuel complice a mis en émoi l'ensemble de l'institution policière, et jusqu'à son ministre même, on trouvera là l'occasion de construire, une fois de plus, l'un des ces échafaudages branlants d'hypothèses invérifiables sans lesquels ce blog ne pourrait être ce qu'il est.
Assurer la publicité d'une cause ou d'une institution au travers de la presse, et avec sa complicité, n'est pas chose nouvelle. Howard Becker, dans un ouvrage classique, décrivait ainsi comment les fonctionnaires de l'Office fédéral des stupéfiants américain, créé en 1930 pour lutter contre l'usage des drogues opiacées, avait cherché à étendre leur champ de compétences à l'usage alors très marginal et non règlementé du haschich. Pour cela, ils mirent à contribution la presse, lui fournissant statistiques et histoires édifiantes. Recensant les articles consacrés à la marijuana dans les magazines grand public, Howard Becker n'en trouve, entre 1925 et 1935, aucun ; mais il en comptera quatre dans les deux ans qui suivent, et dix-sept de juillet 1937 à juin 1939, dont cinq reprenaient la même histoire diffusée par l'Office des stupéfiants, celle d'un jeune homme qui, sous l'emprise de la drogue, avait massacré sa famille. En 1937, l'interdiction de la marijuana fut votée et, rapidement, la presse s'occupa d'autre chose.
Avec la promotion de l'odorologie, on retrouve une stratégie similaire qui vise, dans le contexte particulier d'une lutte d'influence contre la magistrature, à faire, grâce à la presse, connaître, et connaître comme scientifique, donc valide, une technique encore marginale. Pour cela, on s'appuiera d'une part sur une mise en scène convaincante de la méthode, et l'on cherchera d'autre part à susciter une adhésion grâce à l'analogie avec une technique employée dans la même situation, et fort bien connue du public, celle de cette signature ADN qui s'appuie pourtant sur des justifications scientifiques autrement plus solides que le bon dressage d'un canidé. Si, avant Uriage, la technique avait été connue, et légitime aux yeux de l'opinion, la justice n'aurait sûrement pas varié. Mais la position policière s'en serait trouvée sensiblement renforcée, et la justice, encore un peu plus, discréditée. La piste que laisse la dépêche de l'AFP, abondamment reprise dans les quotidiens régionaux et les hebdomadaires d'actualité, et dont on peut suivre la trace jusqu'au Canada, démontre le succès de cette stratégie, au moins en termes de diffusion. Mais ce que fait France 2 dans le cadre de cette campagne n'est pas de l'information  : camoufler le service rendu à des intérêts particuliers sous l'apparence du compte-rendu neutre et avec la caution du journalisme, c'est juste de la publicité clandestine.