Même si elle figure en bonne place dans les pages actualités du dernier Moto Magazine, l'histoire est presque aussi ancienne que l'enrobé dont il est recouvert, et circule donc depuis près de trente ans. Carole, rare exemple de circuit de vitesse exclusivement consacré à la moto, propriété publique dotée d'une dimension sociale puisque son utilisation, les fins de semaine ordinaire, est gratuite, ne passera pas l'année. La faute n'en incombe pas à la situation précaire qui est la sienne depuis sa naissance, ni aux appétits de son encombrant voisin à la recherche d'un peu plus d'espace vital, le parc des expositions de Villepinte, mais bien à son principal bailleur de fonds, le Conseil général de Seine Saint-Denis. Celui qui supporte la charge du fonctionnement du circuit au travers de sa société d'économie mixte, la SEMIPFA, plutôt spécialiste du logement social, vient en effet de diviser par dix les subsides qui lui sont dévolus, et cela pour l'année 2010, celle qui prend fin dans un peu plus de deux mois. Le coup est original, et il pourrait bien se révéler mortel.
Pour se justifier, le Conseil général invoque, dans Moto Magazine et par la voix de son directeur de cabinet, un argument de crise. Cet équipement à vocation régionale, il le finance seul, sans aucune participation d'un État dont, avance-t-il, les dettes à son égard se montent à 640 millions d'euros. Se refusant à "prendre de l'argent sur la gestion des logements sociaux pour financer un circuit moto", le Conseil applique une politique d'auto-réduction et adapte sa subvention à Carole à la hauteur de ses maigres moyens, subvention qui, au lieu des 375 000 euros prévus, s'élèvera donc à 37 500 euros. En émoi, le monde motard trouve là le moyen de mettre à l'épreuve la récente union sacrée entre FFM et FFMC, et, dans les couloirs, prépare sa réponse. Pourtant, dans le jeu qui se noue, les raisons du Conseil général ne sont pas forcément aussi pures qu'il le prétend.

Rançon de ce caractère non commercial qui le rend unique, Carole, certes, coûte un peu d'argent. Accueillant des participants qui débordent largement des frontières de la Seine Saint-Denis dont les ressortissants, précise le Conseil, ne représentent que 11 % des effectifs des enragés de la poignée, il devrait à l'évidence bénéficier d'une contribution régionale. Alors, on se demande bien pourquoi Claude Bartolone, Président socialiste du Conseil général de Seine Saint-Denis, n'a jamais trouvé le temps d'en parler avec Jean-Paul Huchon, Président socialiste du Conseil régional d'Île de France. Ce dernier, qui met en ligne quelques bribes de son budget, et une toujours aussi pittoresque liste des associations profitant de ses largesses, prévoit de consacrer en 2010 246 millions d'euros à l'enveloppe culture-sport-tourisme : il pourrait, pour seulement 0,15 % de ce montant, se payer un équipement unique, actuellement en déshérence. On comprend mal, par ailleurs, l'urgence qui vient frapper "l’équipement sportif le plus visité de Seine-Saint-Denis" là où d'autres, le centre équestre de La Courneuve, le golf départemental de La Poudrerie, semblent épargnés alors même que leur utilité sociale paraît bien plus difficile à démontrer. Carole, enfin, n'est qu'un petit soldat recruté de force dans une guerre qui, opposant l'État et le Conseil général, dure déjà depuis quelques années.
À la pointe du combat pour la préservation de ses ressources, le département a en effet voté en 2010 ce qu'il qualifie de "budget de révolte" en ne couvrant pas, contrairement à ses obligations légales, l'ensemble de ses dépenses. Le Monde explique assez longuement pourquoi, et relaye, comme bien d'autres, les indignations d'un Claude Bartolone qui, de Libération au Point, de L'Express au Figaro, a bien réussi son coup. On pourrait, certes, regretter de voir les motards se retrouver, comme toujours, à porter le costume de la victime collatérale dans un conflit qui les dépasse. Mais on peut aussi tenter une explication en sens opposé, et plus audacieuse. Car, bien que relativement peu nombreux, les motards peuvent s'appuyer sur une organisation revendicative aguerrie, disposent d'une tradition activiste et d'une capacité à s'exprimer dans l'espace public moins attendrissante mais bien plus efficace qu'un défilé de jeunes cavalières chevauchant de gentils poneys, et seront donc largement à même de se mobiliser pour défendre Carole puisque, après tout, ce circuit ne doit son existence qu'à leur mobilisation. Et, à cause de cette proximité historique encore récemment illustrée par l'ancien vice-président régional en charge des transports, aucun politique n'est mieux placé qu'un élu de gauche pour connaître cette capacité d'action et, au besoin, en jouer. La détermination d'un mouvement motard qui n'a peur de rien, et pas même de mettre ses troupes dans la rue à la mauvaise saison et au cœur d'une crise sociale, pourrait bien, en l'espèce, être instrumentée à ses dépens. "Si Carole ferme, on bloque Paris", disait Henri le navigateur. Mais, dans la foulée, il ne faudrait pas oublier de faire un détour par Bobigny.