Rendant hommage à un journalisme qui, dès lors qu'il est question de bonnes causes en général et de sécurité routière en particulier, remplit avec un zèle digne d'un officier de gendarmerie sa fonction de transmission fidèle des discours officiels, on se doit de saluer la performance de ceux qui, à l'instar de France 2, ont réussi, en dépit des circonstances, à insérer entre Japon et Libye un couplet déplorant une dégradation comme de coutume sans précédent, depuis le début de l'année, du comportement des automobilistes. Un communiqué de presse d'origine indéterminée nous apprend ainsi que, en cumulant les deux premiers mois de l'année et en comparant les chiffres obtenus à ceux de la même période en 2010, la conduite sans permis a augmenté de 19 %, l'état alcoolique de 16 %, et le grand excès de vitesse de 56 %. La source, par contre, est connue : le dernier bulletin mensuel de l'Observatoire national de la délinquance, section de l'INHESJ. Dès lors, avec l'aide de quelques hypothèses à peine plus hasardeuses que d'habitude, tout s'éclaire.
Ce bulletin mensuel, en plus d'être une plaquette publicitaire pour l'action du ministère de l'Intérieur, présente à partir de sa page 17 une série bien particulière de données, l'état des délits constatés par les services de police et de gendarmerie, lequel fournit entre autres une liste des plus graves infractions routières. L'Observatoire se garde bien d'en tirer des conclusions : seulement collectées depuis janvier 2009, ces statistiques, nous dit-il, sont pour l'heure trop fragmentaires pour constituer des indicateurs fiables. Voilà bien le genre de scrupules dont politiques comme journalistes n'ont absolument que faire. Rien ne dit, de plus, que la flambée des délits routiers que voit le journaliste ne provienne pas, tout simplement, de l'amélioration du recueil de données produites par un dispositif en cours de constitution. Rien ne dit non plus, comme le savent les lecteurs de Philippe Robert, que, dans ce type d'infraction qui n'existe que parce qu'elle est constatée, on mesure autre chose que cet accroissement du contrôle policier que l'on nous promet depuis que l'Intérieur a mis la main sur la sécurité routière.

Aussi le vrai intérêt se trouve-t-il ailleurs : pour la première fois, on voit la presse reprendre des chiffres relatifs à la sécurité routière qui proviennent d'un organisme intimement, et depuis toujours, lié au ministère de l'Intérieur, au lieu d'être fournis par l'ONISR, observatoire toujours physiquement hébergé par le ministère des Transports, encore nominalement chargé des études et statistiques de sécurité routière, et qui avait jusqu'à présent le monopole des données de ce type. Au delà du contenu exclusivement répressif de ces statistiques, on s'avance sans doute à peine en imaginant, derrière ce changement, un premier pas vers la disparition de l'ONISR, et vers la subordination du recueil et du traitement des statistiques de sécurité routières aux injonctions de l'Intérieur ce qui, après tout, ne serait qu'un petit pas dans cette vaste remise en cause de la statistique publique et de son indépendance auquel procède le pouvoir actuel.

Ce renforcement de la composante pénale de la sécurité routière, cette façon qui n'appartient qu'à la police de montrer qui est vraiment le chef se lit, sur le terrain, dans une nouvelle tactique récemment inaugurée et qui vise à réprimer une infraction floue, puisqu'elle n'existe pas dans le code de la route, la circulation des deux-roues motorisés entre deux files de véhicules à quatre roues. Ce n'est pas la première fois que la police tente quelque chose ; mais, délaissant sa technique précédente, ce contrôle à la volée sévèrement contrarié par la justice, elle innove. Elle procède désormais à l'interpellation physique du contrevenant, à l'aide d'un dispositif qui voit deux fourgons, arrêtés sur le boulevard périphérique parisien, à la fois servir de point d'appui, et générer un ralentissement qui, à son tour, incitera les deux-roues motorisés à circuler en interfiles. À l'évidence aussi dangereuse que déloyale, puisqu'elle favorise la commission de ce qui est considéré comme infraction, la manipulation se trouve pourtant pleinement revendiquée, dans un entretien de toute beauté, par son inventeur : on le constate, ce n'est vraiment pas dans la police qu'on trouve les meilleurs diplomates. Pour un peu, on croirait revivre ces beaux jours de 1979, lorsque les déclarations d'un Christian Gérondeau enflammèrent le monde motard, et donnèrent naissance à un mouvement qui, depuis, ne cesse d'importuner les pouvoirs publics. Il existe pourtant une différence de taille : en 1979, la moto, sortie du néant, renaissait à peine ; aujourd'hui, à Paris, pour quatre automobiles, on compte un deux-roues motorisé et sans eux, dans cette ville, rien ne bouge.
Alors, on attend avec impatience de voir pris dans le filet du chef de la brigade les motards qui participent actuellement, pour le compte de l'INRETS, à une étude en conditions réelles de la circulation entre les files, ou, en d'autres termes, de vivre ce moment délicieux où des agents de l’État arrêteront et verbaliseront des motocyclistes qui, pour le compte du même État, étudient la pratique même qui sera cause de leur interpellation. Mais, sur un point au moins, ce commandant si autoritaire a raison : la solution passe par une modification du code de la route, laquelle, pour les motards, ne viendra pas sans mobilisation. Il semble en effet que, alors que les citoyens-cyclistes obtiennent sans difficulté des aménagements qu'ils réclament à peine, contresens cyclable, autorisation de franchissement de feu rouge, aménagements que leurs vrais promoteurs tentent de naturaliser sous la désignation de "code de la rue" les citoyens-motocyclistes, eux, ne possèdent d'autre ressource, pour tenter de parvenir à une égalité de traitement, que la manifestation : samedi prochain, on y sera.