Même si la guerre fut précédée de longues manœuvres d'intimidation, dont témoigne la baisse continue de l'action Repsol, l'assaut final lancé par Cristina Kirchner contre la filiale argentine du pétrolier espagnol a été bref, et sanglant. Voilà seulement quarante-huit heures, la présidente annonçait sa volonté de prendre le contrôle de YPF, la compagnie pétrolière locale, en expropriant sa grande sœur espagnole, propriétaire de 57,4 % du capital. Et aujourd'hui même, si l'on en croit Les Echos, l'administration argentine, emmenée par son ministre de la Planification, s'est installée dans les fauteuils des dirigeants de l'entreprise, expulsés avant même que le parlement n'ait pour la forme entériné le fait accompli. C'est que l'Argentine, comme le rappelle rfi, n'en est pas, en l'espèce, à son coup d'essai. Le pays, encore interdit d'accès au marché international de la dette depuis son défaut de 2001, semble toujours fort peu soucieux de restaurer sa réputation ternie, et ne craint, à l'inverse, ni de mécontenter une quantité considérable de puissances étrangères, l'Europe faisant front commun derrière l'Espagne, ni même de faire preuve de la plus confondante mesquinerie, se contentant de prélever sur la chair de Repsol ces 51 % du capital qui lui donneront les pleins pouvoirs sur ce qui fut sa filiale.
Mais voir ici, à l'instar des Echos, les effets de ce nationalisme pétrolier dont le quotidien rappelle les précédentes éruptions, celle de 2003 en particulier lorsque Hugo Chavez nationalisa les pétroles vénézuéliens, licenciant au passage quelques milliers de salariés opposés à sa décision, revient sans doute à commettre une erreur d'analyse. Le Venezuela, qui possède peut-être aujourd'hui les réserves les plus prometteuses de la planète, agissait alors en tant qu'exportateur, désireux, comme bien d'autres, de capter la plus grande partie de la plus-value tirée de son sol. L'Argentine, dont, selon la bible du secteur, les réserves sont cent fois plus maigres, n'a d'autre objectif qu'intérieur, et politique. Ce qui incite à s'interroger un peu sur le destin de cette matière première dont on ne cesse de proclamer la fin prochaine mais qui, en attendant, joue un peu, pour les populistes, le rôle qui était autrefois celui du pain dans l'empire romain.

En Argentine, le reproche fait à Repsol tient dans l'insuffisance de ses investissements, qui, malgré les promesses toujours enfouies dans la roche-mère, ne lui ont pas permis d'accroître une production qui, globalement, ne cesse de baisser, passant de 819 000 barils journaliers en 2000 à 651 000 dix ans plus tard. Impossible, dans ces conditions, d'amortir la hausse des carburants, ni de réfréner le mécontentement populaire qui l'accompagne : le coup d'éclat de la nationalisation offre alors une victoire symbolique, laquelle sera d'autant plus éclatante que la rémunération du propriétaire exproprié le sera, elle aussi. Mais d'autres stratégies populistes sont possibles. Ainsi, au Brésil, géant en devenir dont, à l'inverse de son voisin du sud, les ressources ne cessent de croître, et sont majoritairement exploitées par le champion local, national, et de plus en plus mondial, Petrobras, on agit différemment, en livrant à la vindicte populaire l'agneau sacrificiel qu'elle préfère, une multinationale pétrolière américaine, En l'espèce, le couteau est tombé sur Chevron, condamné à de vertigineuses amendes pour deux fuites de brut, la seconde représentant un volume total de deux barils, soit ce que le pays extrait de son sous-sol en huit centièmes de secondes. Greenpeace ayant, à l'occasion d'une de ces saynètes qui ont assuré sa réputation, répandu sur le sol brésilien une quantité identique d'hydrocarbures, on attend que, par pur souci d'équité, la multinationale écologiste soit condamnée à la même peine.
Et comme le pétrole, le chavisme s'exporte fort bien hors de son continent d'origine. Vivre sur un sous-sol dépourvu d'hydrocarbures, ou faire comme si, n'interdit pas de faire appel aux mêmes mécanismes. Rien de très banal que de voir le correspondant local du chavisme essayer d'adapter la recette, en appelant à nationaliser le YPF d'ici, Total. Mais que le représentant de la gauche sérieuse réclame une intervention autoritaire sur le coût des carburants surprend plus, et nourrit quelques réflexions.

Il est caractéristique du clientélisme de proposer, non pas un programme, mais un catalogue, et un catalogue qui s'efforce de satisfaire tous les consommateurs potentiels en donnant un peu à chacun, mais qui, contraint par la pénurie de ressources, doit se contenter aujourd'hui de mesures étroites, en petit nombre, de faible durée, et dont l'objectif principal se limite à démontrer sa bonne volonté. On tenait pourtant là une excellente occasion de faire autre chose. La forte hausse de la demande mondiale pour une matière première dont les réserves n'augmentent pas au même rythme et dont la commercialisation, à l'inverse du gaz, ne connaît pas d'obstacle particulier, ne peut se résoudre autrement que par une hausse de son prix, laquelle constitue à son tour la meilleure des incitations à consommer moins. La force de cette réalité s'impose même aux producteurs, l'Indonésie, le Nigeria, contraints, comme d'autres, à abandonner leurs politiques clientélistes de subvention. Quelle meilleur occasion de promouvoir une politique de sobriété réaliste et responsable qui passe, par exemple, par une préférence pour les véhicules économes, les deux-roues motorisés légers en particulier ?
À la place, l'homme politique, ce provincial délaissé au bal des célibataires de la mondialisation, accroché au terroir de ses électeurs, laisse éclater sa rancœur contre ces chefs d'entreprise, camarades de promotion qui ont longtemps partagé avec lui un horizon national et souvent public, et que le basculement du monde a conduit à s'émanciper et de sa tutelle, et du territoire sur lequel s'exerce seul son pouvoir. Puisqu'on refuse d'avouer qu'on ne peut rien, pas même agir politiquement sur un produit dérivé assis sur la dette française, ne reste que la menace, la mise en demeure et, bientôt, la réprimande contre ceux qui n'ont rien fait, le soupçon, la dénonciation du complot étranger, attitudes qui ne montrent rien d'autre que de l'infantilisme. Pourtant, l'arme absolue contre la spéculation existe, et n'a rien de réglementaire : il suffit de maîtriser sa dette, faisant ainsi en sorte que ceux qui parient sur une hausse des taux en soient pour leurs frais. Même si certains espoirs, trop vifs, risquent d'être déçus, la difficile mise en œuvre d'une politique que gesticulation et effets de manche n'appuient en rien se traduira aussi dans les prix, et dans les taux. Le spectacle du 7 mai dans les couloirs, et sur les écrans, de France Trésor risque d'être intéressant.