L'objet ressemble à s'y méprendre au billet d'un blog politique. Commentant l'actualité gouvernementale, en l'espèce les modifications marginales qui affectent le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, il adopte la concision, le parti-pris et la superficialité dans l'analyse qui signent la prose de l'amateur. Pourtant, on le trouve en première page d'un journal payant, en l'espèce l'édition de fin de semaine de ce quotidien du soir dont on se demande chaque jour un peu plus à quel titre il peut bien continuer à faire référence. Car l'éditorial en question offre une merveilleuse synthèse de la manière dont celui-ci, plutôt que de servir informations et analyses, aime à raconter des histoires qu'il destine, on l'imagine, à un public tout acquis aux causes qu'il promeut ainsi. Son titre, La défaite de l'écologie face au lobby industriel, résume son propos en lui donnant une portée universelle, et habille ainsi une thèse que l'on peut facilement exprimer de façon claire : si Nicole Bricq a, pour reprendre l'expression du journaliste, été exfiltrée de son poste de ministre de l’Écologie vers le Commerce Extérieur, c'est parce que Shell, et, très accessoirement, les élus de la Guyane, ont eu sa peau. On peut difficilement choisir plus clairement son camp, et appuyer plus ouvertement la manière dont celui-ci, sans même cacher ses arrières pensées, interprète des faits dans le sens qui lui convient, en écartant soigneusement tout doute, toute ambiguïté, et toute prudence.
Un élève de première année en sciences politiques sait bien, pourtant, que le pouvoir est affaire complexe, et que les faits y sont produits par le jeu de contraintes multiples auxquelles il convient d'accorder un petit peu d'attention. L'affaire commence donc lorsque Nicole Bricq, juriste, spécialiste de l'environnement, "engagée de longue date dans la défense de l’environnement et partie prenante de la transition écologique" décide d'inaugurer sa charge par un coup d'éclat, en suspendant les permis d'exploration accordés à Shell au large de la Guyane par le précédent pouvoir, ce qui, évidemment, pose des problèmes de divers ordres, et juridique en premier lieu. Car, en fait, la campagne de recherches a déjà débuté : et on imagine que la compagnie qui, par l'effet d'une prudence sans doute un peu excessive, a pris la peine de louer un navire conçu, comme son nom l'indique, pour travailler dans la banquise, et déjà arrivé sur place, ne se lance pas dans l'aventure sans disposer des autorisations nécessaires. Le revirement du nouveau pouvoir eut-il été confirmé, nul doute qu'il ne se soit soldé devant les tribunaux, lesquels auraient confirmé la validité du permis tout en l'assortissant de quelques millions d'euros de pénalités, ce qui rend le bizutage de ministre novice absolument hors de prix.

En prenant, seule, sa décision, Nicole Bricq fâche beaucoup de monde, et les élus guyanais en premier lieu lesquels, inspirés par le voisin brésilien, se rêvent sans doute un peu vite à la tête d'une puissance pétrolière. Certes l'affaire, démarrée par un de ces pétroliers que l'on qualifie de juniors parce qu'ils prennent des risques dont les grandes compagnies, et leurs actionnaires, ont perdu l'habitude, semble suffisamment prometteuse pour attirer désormais les majors. Mais rien ne dit que les recherches seront fructueuses, et qu'elles permettront de découvrir des hydrocarbures de qualité suffisante en quantité suffisante et disponibles dans des conditions d'exploitation techniquement et économiquement réalistes. S'inquiéter, en d'autres termes, de la marée noire qui ne manquera pas de ravager la mangrove guyanaise paraît lourdement prématuré. Et pour l'instant la Guyane, à l'inverse du Brésil, ne semble pas passionner les spécialistes.
Ressortir de sa boîte un diable pourtant bien fatigué d'être dérangé sans cesse, le complot des multinationales, répond à l'objectif de tirer un petit profit d'une défaite que le remplacement de Nicole Bricq, vieille habituée de l'écologie, par une jeune permanente socialiste inexpérimentée et dépourvue des connaissances techniques propres au domaine en question illustre bel et bien. À l'évidence, si le pouvoir a pris la peine de ne pas confier ce poste à l'un de ces imprévisibles écologistes, ce n'était pas pour y placer une socialiste qui, dès son entrée en fonction, se comporte exactement de le même manière : son remplacement s'entoure de toutes les garanties nécessaires, et permet de sécuriser le mieux possible la position dominée du ministère. Au demeurant, les analyses sur cette éviction surgissent assez rapidement, et, tout en adoptant, selon la position du journal qui les présente, des lectures radicalement opposées, convergent au moins pour reconnaître à l'affaire une certaine complexité, et à la Shell un rôle, et un pouvoir, qui ne dépasse pas celui du lobbyiste défendant fermement ses intérêts.

Finalement, le point le plus intéressant de l'affaire se profile dans ce qu'on nous présente comme une réforme possible du code minier, lequel rendrait la prospection indépendante de l'exploitation. Or, remettre les acteurs en concurrence selon la richesse des découvertes que certains ont fait ne peut s'interpréter que dans un seul sens, celui d'une hausse des redevances de l'exploitation pétrolière en fonction de la profitabilité du site. Le principe consiste, en somme, à laisser, en cas d'échec, ce qui représente le cas le plus fréquent, les prospecteurs prendre seuls leur perte, tout en grattant, dans le cas inverse, tous les surplus possibles. On cherchera en vain ici ce respect de l'environnement que l'édito du week-end présentait pourtant comme cause première de la refonte de la règlementation des mines. Loin de céder à quelque lobby que ce soit, le gouvernement montre une fois de plus qu'il a tout compris du risque, de l’entreprise, et du capitalisme, et que sa position consiste simplement, en bon rentier public, à user de son autorité pour tirer un profit maximum des investissements consentis par d'autres.