Si l'on en croit Les Échos du jour, le dénouement tant attendu de l'interminable mélodrame qui met en scène les prêts toxiques contractés par les collectivités locales approche. Prenant, comme souvent, la forme d'un compromis discret, la conclusion de ces années de disputes, contrastant avec les admirables envolées lyriques de ces maires et présidents de conseils généraux qui, plus champignaciens que jamais, se représentaient en malheureuses victimes de la perversité sans fin de la finance honteuse et défendaient en conséquence leur droit inaliénable à ne rien comprendre aux contrats qu'ils signent, déçoit un peu. Heureusement, l'Assemblée Nationale est là  ; et bien que son débat du 5 juin dernier n'offrira guère de quoi satisfaire l'amateur d'éloquence parlementaire, il permettra au moins, en quelques lignes, de voir s'affronter deux versions de l'affaire, chacune expliquant à sa façon les causes du problème, et la manière de le résoudre. Mais, bien évidemment, on dispose de suffisamment d'éléments pour tenter d'en imaginer une troisième.

Gilles Carrez, président de la commission des finances et député UMP, présentait donc en ce 5 juin, au nom du droit à être responsable de ses actes et à en assumer les conséquences, un amendement s'opposant à l'article 11 ter de la loi sur la régulation des activités bancaires, article quil interdit certaines formes d'emprunt aux collectivités locales. Gilles Carrez ne manque pas de panache : car son amendement s'en prend ainsi directement à celui qui, par exception, ne préside pas la séance, le grand pourfendeur de la rapacité bancaire, le chevalier blanc combattant la finance obscure, Claude Bartolone.
Celui qui était alors président du Conseil général de Seine Saint-Denis, ce département qui encaisse encore plus de malheurs qu'une héroïne de Charles Perrault, est entré en campagne en 2008 contre ces prêts structurés souscris auprès de l'établissement de référence des collectivités locales, le Crédit local de France, connu depuis 1996 sous le nom de Dexia. Un esprit rationnel se demandera sûrement pourquoi diable avoir choisi ce mode de financement, alors que son taux, variable et dépendant d'un calcul complexe appuyé sur le cours du Franc suisse, va nécessairement évoluer alors même que l'on ignore tout et du sens de cette évolution, et plus encore de son ampleur. La réponse, fort simple, réside dans une autre caractéristique de ces contrats puisque, au départ, leur taux est fixe, et inférieur à celui du marché. Personne n'ignore, depuis La Fontaine, qu'une si singulière générosité cache souvent d'inavouables dessins, et que ces prêts que tant de collectivités locales ont souscrit avec enthousiasme tiennent, fort probablement, de ce que le sens commun qualifie d’attrape-nigaud. Mais malheureusement pour le prêteur, son piège a trop bien fonctionné.
Car si Dexia avait pu prévoir que l'application de la formule permettant de calculer ces taux lui serait aussi favorable, elle en aurait sûrement employé une autre : hélas, la montée inexorable du franc suisse a mécaniquement entraîné les taux dans des zones qui conduisent l'emprunteur à la ruine donc, compte tenu de la nature de celui-ci, à des réactions à la fois brutales, et complaisamment exposées en public. L'indignation, quand bien même elle trouverait en ces établissements bancaires déjà chargés de tous les péchés imaginables une cible d'autant plus facile que le tribunal de l'opinion les a déjà condamnés aux enfers, ne constituant pas un argument juridique d'une solidité suffisante, le recours présenté par la Seine Saint-Denis devant le tribunal de Nanterre sera, en février dernier et malgré les triomphales affirmations du contraire, rejeté. Malgré tout, une erreur vénielle, l'oubli d'une mention obligatoire dans les fax échangés pour confirmer les contrats, permettra à Claude Bartolone de parvenir à ses fins, puisque son département pourra désormais rembourser ses prêts à un taux plus conforme au droit commun. Ce succès en appelant d'autres, il devenait urgent pour l’État et de légiférer, et de trouver un compromis global. Ce qui, évidemment, soulève une question.

Car comme le remarque perfidement Gilles Carrez la Seine Saint-Denis, ce département si pauvre, concentre malgré tout les effectifs de fonctionnaires les plus fournis d’Île de France, après Paris. Et son Conseil général dispose, au sein de sa Direction du budget, de trois services dotés, on le suppose, de fonctionnaires compétents, à même de lire un contrat, voire, hypothèse audacieuse, de comprendre ce qu'il signifie. Si l'on veut bien admettre l'argument complaisant que Karine Berger avance à l'Assemblée, avec sa pauvre petite commune de 10 000 habitants accédant en dépit du bon sens à des produits financiers incompréhensibles, cette histoire de victime innocente ne marche plus pour la Seine Saint-Denis ; il faut donc en inventer une autre. Si la gauche avance la thèse de la finance prédatrice, que la loi seule a le pouvoir de contenir, et la droite celle de l'irresponsabilité doublée d'un aléa moral, on se doit d'en avancer une troisième, la roublardise de l'homme d'appareil qui engrange à court terme les bénéfices d'un contrat qui lui est favorable tout en comptant bien, à moyen terme, sur son art de la procédure pour le dénoncer, au cas où l'affaire tournerait mal.
En Seine Saint Denis, Claude Bartolone et son successeur, Stéphane Troussel, ont joué, et remporté le tapis. D'un seul coup judicieusement placé, les élus font tomber toutes les quilles puisqu'ils gardent les gains des années de faible taux, mutualisent les pertes subies par la suite du fait de ces emprunts, et, ne retenant que ce qui les arrange du jugement du tribunal de Nanterre, se posent en combattants victorieux, braves petits soldats venant, à force d'obstination, à bout de la finance anonyme, pour le plus grand profit de leur capital électoral. Ainsi fonctionne l'aléa moral propre aux élus : leur irresponsabilité trouve sa source dans cette conviction selon laquelle ils trouveront toujours, au nom du peuple et de la démocratie, en tirant parti de la complexité toujours croissante du droit, une astuce pour s'en sortir, et qu'il s'en sortiront d'autant mieux que leur situation sera grave, et qu'elle commandera donc l'intervention d'un État dont les poches profondes n'en sont plus à quelques milliards près.