C'est sans doute chez France Info que l'on trouvera les cartographies les plus utiles, et les plus spectaculaires, des résultats du premier tour des élections régionales. En effet, on a affaire ici non pas à ces illustrations imbéciles qui, super-région par super-région, fournissent des informations qu'un simple tableau résumerait aussi bien, mais à des représentations aussi fines que possible, puisqu'elle descendent au niveau de la circonscription. Avec un tel matériau, il serait inhumain de résister au plaisir d'une petite analyse.

Avant tout, on se doit de déconseiller la première carte aux personnes sensibles puisque, par comparaison avec les régionales de 2010, celles qui ont partout, sauf en Alsace, porté le Parti Socialiste au pouvoir, elle permet de jauger l'impressionnant envahissement du bleu sombre. Manque juste la légende, que l'on trouvera sur la seconde carte. Sur la façade méditerranéenne, le long du Rhône et de la Garonne, dans le grand quart nord-est, la logique qui fait voter contre les sortants, et pour le Front National, apparaît clairement. Plus difficilement, on devine aussi la caractéristique essentielle d'un vote ni urbain ni campagnard, caractéristique qui ne devrait pas étonner puisque les géographes explorateurs du périurbain ont longuement, et depuis longtemps, analysé ce facteur. Mais en grossissant la focale, et en se limitant, une fois de plus, à la seule zone urbaine de Paris, on découvre des paysages bien moins fréquentés.

Focalisée sur la région capitale, la seconde carte révèle deux traits saillants, qui ne sont pas sans relation l'un avec l'autre. Dans le sud-est de la région, le bleu moyen montre l'implantation locale, et le succès, d'un parti dont personne ne parle, Debout La République. Entreprise d'un seul homme, construit autour de lui à partir du club formé lors de son départ du RPR, Debout La République recueille dans la région autant de suffrages que l'ancienne gloire des banlieues ouvrières, le Parti Communiste Français et ses alliés, et guère moins qu'Europe Écologie/Les Verts. Une telle performance devrait susciter l'intérêt de politistes qui, pourtant, ne traitent de l'objet que de manière extrêmement fugace, ne s'intéressant qu'à une dimension en l'espèce inappropriée, son souverainisme.
Ce parti, dont certains ont moqué sa façon de se poser en défenseur des automobilistes, s'est assuré le soutien d'une importante association d’usagers des transports en commun laquelle, plutôt que faire liste a part, lui a fourni nombre de candidats. Dans cette lointaine Essonne où l'on dépend aussi d'un emploi tertiaire qui se trouve au plus près à Orly, et pour l'essentiel dans ce centre si difficile d'accès, les déplacements, leur durée, leur accessibilité, leur disponibilité, représentent un enjeu autrement plus crucial que pour les privilégiés auquel un vélo suffit à satisfaire tous leurs besoins.
Or, il ne s'agit là pas seulement d'une des rares prérogatives de la région. Il s'agit aussi, à l'inverse, par exemple, de l'emploi ou de la délinquance, d'un domaine que la puissance publique, elle qui choisit de construire des routes ou des voies ferrées, mais aussi de restreindre, et parfois d'interdire, la circulation de tel ou tel véhicule individuel, contrôle totalement, et qui dépend donc uniquement des décisions que prendront les politiques. En d'autres termes, impossible de s'en remettre ici à la mauvaise volonté de dieux bien sévères, et d'invoquer telle ou telle contrainte externe qui priverait le politique de tout pouvoir. L'échec, et plus encore la volonté délibérée de mettre une partie de la population à l'écart, trouve alors une logique sanction dans les urnes.

Comprendre ce désintérêt pour la périphérie s'explique d'abord par les propriétés intrinsèques de ces territoires vastes mais peu peuplés, donc sans grande importance économique ou électorale. Mais il faut aussi retourner consulter les cartes, et, cette fois-ci, s'intéresser à ce qui n'a pas changé. Désormais enfermées dans un corset bleu nuit, Paris et les communes qui l'entourent se distinguent encore plus clairement, avec cette partition ancienne et en apparence immuable qui donne l'ouest à la droite traditionnelle, et l'est au Parti Socialiste et à ses alliés. Ce territoire qui recouvre presque l'ancien département de la Seine, les avant-postes du Front National, à Tremblay-en-France, Livry-Gargan, Montfermeil, apparaissant juste sur la limite est, concentre à peu près toute la valeur économique et symbolique disponible dans la région, donc, dans une stratégie d'endiguement des avancées de l'ennemi et de bétonnage de l'acquis, tout ce qui procure de confortables avantages en échange d'un minimum d'efforts. Gardant Paris, et sauvant peut-être bientôt sa majorité au conseil régional, le Parti Socialiste conserve là, et pour longtemps, de quoi satisfaire quelques ambitions, pourvu qu’elles ajustent leurs attentes à la réalité et se contentent de gérer comme un musée la plus belle capitale du monde ce qui, après tout, n'est pas rien. Il existe des manières moins confortables de traverser un désert.