Le combat des cheffes qui oppose Anne Hidalgo à Ségolène Royal prend une sale tournure. On avait évoqué voici quelque mois le plan de nettoyage élaboré par la mairie de Paris, lequel prévoit d'éradiquer sur le territoire qu'elle contrôle, à compter de juillet prochain, les motocycles construits au siècle dernier. Agissant ainsi, Anne Hidalgo se rendait coupable d'un crime qui ne saurait être toléré, puisqu'elle s'investissait d'un pouvoir réglementaire n'appartenant qu'à l’État. La sanction se devait donc d'être brutale, et exemplaire. Récemment diffusé, un projet d'arrêté du ministère de l'Environnement démolit la position antagoniste. En remontant au 31 décembre 2006 l'âge de la prohibition, il joue la surenchère tout en retardant la mise en œuvre d'un dispositif dont on ne sait ni quand il verra le jour, ni même s'il sera seulement appliqué.
Car la compétition, pour l'heure, se déroule dans un espace seulement symbolique. Mais l'ampleur de ses effets contraint à s'en préoccuper. S'agissant d'une politique publique, il convient donc de l'analyser à la fois en fonction de critères classiques, effectivité, efficacité, efficience, mais aussi, puisque, visiblement, dans les ministères, personne ne s'est intéressé à cette question, de prendre en compte ses impacts économiques et sociaux. En d'autres termes, au risque de la redite, on se trouve une fois de plus contraint de repartir à l'assaut des mêmes moulins à vent, essayant de comprendre quel obscur mécanisme, rebelle à toute rationalité, peut bien les faire tourner

La logique voudrait que l'on s'intéresse d'abord aux justifications d'un acte lourd de conséquences puisque, sans prévoir d'autres compensations que strictement dérisoires, il envisage de priver des centaines de milliers de citoyens d'un investissement onéreux qu'ils utilisent quotidiennement. Il s'agit, on le sait, de santé publique, et d'exigences européennes. Or, ces deux prétextes n'impliquent en rien des mesures aussi radicales. Les motocycles, minoritaires dans le trafic, ne produisent guère d'autre polluant que cet oxyde d'azote qui, n'ayant plus provoqué d'alerte en Île de France depuis 1997, ne permet pas, dans l'état actuel de la réglementation, l'édiction de restrictions de circulation.
Le seul argument juridique venant appuyer la prohibition repose sur une exigence de la directive 2008/50/CE, le respect d'un objectif de qualité imposant une moyenne annuelle de la concentration en NO2 égale à 40µg/m³. Or, comme le montre le dernier rapport annuel de l'Agence Européenne de l'Environnement, à la seule, atypique et éventuelle exception de Stockholm, rigoureusement aucune métropole ne respecte cette prescription, pas même Amsterdam, Copenhague ou Oslo, et encore moins la vertueuse Allemagne où, de Munich à Berlin en passant par Stuttgart, Francfort, la Ruhr, Hambourg et même des villes moyennes comme Kiel, les dépassements sont légion. Et Londres, malgré son péage urbain et sa vaste zone de trafic régulé instaurée en 2008, ne fait pas mieux que Paris. En fait, parmi les grands pays européens, l'Espagne et la France se distinguent comme étant précisément ceux où la situation est la meilleure. Mais, à l'inverse de Madrid ou Barcelone, villes où l'on favorise le remplacement des automobiles par les deux-roues motorisés, Paris a choisi de sanctionner plus sévèrement le véhicule le moins polluant, le moins consommateur de carburant, et le plus adapté à une circulation urbaine et suburbaine.

L'exemple de Londres le montre, l'efficacité d'une telle prohibition, en posant comme hypothèse sa peu vraisemblable entrée en vigueur, sera nulle. Son effectivité, qui supposerait la reconstruction aux portes des villes de barrières d'octroi comme celles du mur des fermiers généraux, munies de dispositifs automatiques de contrôle des immatriculations, pour le moins sujette à caution. Et son efficience, avec les coûts insurmontables qu'elle reporte sur les usagers, l'ajout d'un degré supplémentaire à la saturation des transports en commun, et l'annihilation de ce deux-roues motorisé qui seul permet aux rues parisiennes d'échapper à l'embouteillage permanent, totalement contre-productive. Aussi faut-il plonger plus profond, et s'interroger sur la logique qui non seulement gouverne une telle folie, mais permet même de lui donner une apparence de raison.

On trouve sur le site de l'APUR un document qui, profitant peut-être de sa situation en terrain bruxellois, donc neutre, sonne la charge contre la surenchère normalisatrice, et montre comment se forme le raisonnement de l'ingénieur, lui qui ne cherche pas l'idéal, mais l'optimal. Traitant de la rénovation thermique des bâtiments anciens les auteurs montrent, avec une remarquable illustration d'un rendement décroissant, à quel point le maximalisme est néfaste à l'objet même qu'il prétend protéger. Introduisant une variable habituellement négligée, le coût, ils définissent un point d'équilibre au-delà duquel poser plus d'isolant, c'est en poser trop. Mais la vision pragmatique de l'ingénieur s'attaque à un rude adversaire, la croissance continue de la sévérité de normes, et heurte frontalement le monde politique et bureaucratique lequel, pour simplement exister, a besoin d'un flux constant de réglementations nouvelles.
Or, il se trouve que la directive environnementale européenne partage en partie cette approche, puisqu'elle incite à prendre "toutes les mesures nécessaires n’entraînant pas de coûts disproportionnés" pour atteindre les objectifs fixés, donc à soumettre les restrictions décidées à une analyse dont, à l'évidence, les pouvoirs publics français se sont d'autant plus facilement dispensés qu'ils ne disposent même pas des plus élémentaires données leur permettant de la réaliser.

Ségolène Royal, ministre des démarches grotesques à la notoriété internationale, a une réputation a défendre. Elle trouve ici l'occasion d'endosser la posture qu'elle préfère, assommant à coups de code le dragon pollueur, appelant au sacrifice de tous pour le bien de quelques-uns, allant au secours d’une victoire pensée comme facile puisque remportée contre ce monde motard étranger à l'administration centrale, cette cible minoritaire, bien moins redoutable que la puissance automobile et bien mal défendue par une FFMC engluée dans son habitus cégétiste comme par des importateurs incapables d'obtenir l'application d'un règlement européen pourtant obligatoire depuis deux mois. Autant futile que cynique, cette interdiction ne manquera pas de déclencher des réactions massives, stupéfiant un pouvoir qui, intrinsèquement naïf, n'avait rien vu venir. Alors, devant l’invraisemblable, une dernière hypothèse s'impose : quelqu'un, quelque part, de guerre lasse, dans le secret d'un bureau, a trouvé là l'occasion de jouer la politique du pire.