La campagne des hauteurs tourne au blitzkrieg. Deux mois à peine après la reprise des hostilités, voilà qu'un premier projet de tour parisienne nouvelle génération sort tout armé des stations de travail du cabinet Herzog & De Meuron. Dès 2012, la pointe du Triangle devrait atteindre une hauteur toujours indéterminée, mais dont Jacques Herzog souhaite, pour la  beauté du geste, qu'elle dépasse les 210 mètres de celle qui, dans l'espace, n'en sera même pas éloignée de trois kilomètres mais, dans le temps, de presque quarante ans, la tour Montparnasse d'Eugène Beaudoin et Urbain Cassan. On abandonnera aux exégèses faciles la comparaison inévitable avec la pyramide mitterrandienne, on laissera les railleurs impénitents moquer le lyrisme du discours d'un Bertrand Delanoë dont on relèvera quand même qu'il a l'honnêteté, en fait de bâtiments à sa gloire, de faire élever des constructions utiles financées sur fonds privés, pour s'intéresser à la dimension politique, et esthétique, du projet.

Le fait que ce soit cet immeuble-là qui lance la nouvelle ère des hauteurs relève en effet d'un choix tactique parfaitement réfléchi. Un mois après le succès des jeux olympiques de Pékin, les noms des architectes du grand stade sont en effet encore dans toutes les mémoires, même celles de ceux qui voient dans le Front de Seine un bon exemple d'architecture moderne. Construite, en accord avec les intentions dévoilées en juillet dernier, aux limites municipales, avenue Ernest Renan, entre périphérique et Maréchaux, dans un emplacement où l'on n'a pas à craindre de riverains puisqu'il n'y en a pas, et sans doute à la place d'un des hangars du Parc des Expositions qu'aucun comité de préservation du patrimoine ne défendra jamais, avec une masse qui, compte tenu de sa minceur et de son alignement nord-sud, ne sera guère perceptible que des usagers du périphérique, le Triangle, projet, parmi ceux qui sont à l'étude, le moins problématique et le plus prestigieux, avait tout ce qu'il faut pour être le premier. Il est, ainsi que le précise Jacques Herzog, concu pour s'opposer terme à terme à cette tour Montparnasse abhorrée, avec sa silhouette pyramidale et pas orthogonale, sa peau transparente et pas opaque, son assise sur sol et non sur dalle, son environnement végétal et plus minéral. Avec sa forme, l'immeuble sera d'autant plus fin, donc d'autant moins visible, qu'on atteindra les hauteurs : il possède en somme l'évident objectif de jouer le rôle du démonstrateur, d'être l'échantillon qui prouvera aux parisiens, lesquels n'en ont aucune expérience concrète, qu'une tour, et, par contre-coup, l'architecture telle qu'on la pense aujourd'hui et dont, par la faute des ces années d'immobilisme, Paris ignore tout, s'oppose radicalement à ces choses que, surtout dans le sud de la ville, l'on a tant construites dans les années 70.
Tout cela, c'est le travail du politique. Les architectes eux, réussissent l'exploit de dessiner une pyramide, cette forme habituellement si lourde, d'une totale légèreté, dont la découpe en simple triangle vient compléter la boule géodésique du Palais des Sports dont elle est voisine, et de placer dans ce monolithe des unités très diverses, qui casseront l'uniformité du contour. Futile concession à l'opposition Verte, on n'échappera pourtant pas à ce crime écologique qui consiste à installer des panneaux photovoltaïques dans une zone à la fois mal pourvue en énergie solaire, et pas spécialement pauvre en infrastructures de transport d'électricité. On n'échappera même pas aux éoliennes ; au moins l'astucieux profilage de la tour, et son sommet pointu, permettent-ils à Herzog & De Meuron d'en préserver le sommet

La rapidité de l'offensive n'empêchera sûrement pas l'avalanche de recours qui ne manquera pas de pleuvoir  mais elle montre comment, en tacticien, Bertand Delanoë sait contourner les obstacles et, en politique, à quel point il ne craint pas d'imposer des décisions qui contrarient, mais qui permettent à la ville de retrouver une dynamique, une gestuelle, une sensation, que l'on n'espérait plus.