Il nous faut, plus que jamais, un coupable et, plus qu'aucun autre, le vendeur à découvert fait parfaitement l'affaire. Sa combine consiste à vendre des actions dont il dispose parce qu'il les a empruntées, mais qu'il ne possède pas, pusqu'il ne les a pas achetées. Il s'engage simplement, à terme défini, à livrer les titres en question, qu'il compte se procurer alors au prix d'un marché dont il espère que, par rapport à son engagement initial, il aura significativement baissé : plus la différence entre les deux sera importante, plus, donc, le malheureux détenteur de ces actions aura vu son capital fondre, plus il gagnera. En somme, non content de spéculer, ce qui, intrinsèquement, est mal, il spécule à la baisse, spécule avec des actions qu'il ne possède pas et, souvent, des sommes qu'il emprunte et, pire encore, profite cyniquement du malheur des autres. On notera quand même, en passant, qu'il ne peut se passer de complices : ses titres lui sont prêtés, selon l'acception capitaliste du mot, c'est à dire loués, par des investisseurs de long terme, tels Calpers, le respectable fonds d'épargne-retraite des fonctionnaires californiens, investisseurs qui trouvent là un moyen de se faire un peu d'argent de poche sans prendre le moindre risque puisque, il faut quand même lui reconnaître cette, osons le terme, vertu, celui-ci repose en totalité sur le vendeur à découvert. Il arrive, heureusement que, de temps à autre, la justice immanente s'intéresse à son cas, et referme brutalement la porte sur ses doigts. C'est ce qui vient d'arriver à la bourse de Francfort, avec Porsche dans le rôle du justicier, et ça fait vraiment très mal.

Voilà déjà quelques mois que Porsche intrigue pour racheter Volkswagen. L'affaire n'est pas simple, la proie étant bien plus grosse que son prédateur, et le land de Basse-Saxe, qui détient 20 % du capital du constructeur automobile régional en plus de quelques menus privilèges qui ont suscité l'émoi de la Commission Européenne, ne faisant pas preuve d'une particulière bonne volonté. Au gré des nouvelles et des rumeurs, l'action Volkswagen connaît donc un parcours fort agité qui, il est vrai, se remarque à peine dans la volatilité ambiante : le 16 octobre, après deux semaines de hausse, elle atteignait presque les 400 euros. Elle entamait alors une chute qui la conduisit, à la clôture du vendredi 24, à coter presque moitié moins, soit 210 euros. Puis, profitant du weekend, Porsche sort du bois, et annonce qu'il possède désormais, directement ou par le biais d'options, 74,1 % des parts de son partenaire et concurrent ; et c'est le drame. Les vendeurs à découvert dont le contrat est échu sont contraints d'acheter des actions Volkswagen pour honorer leurs engagements et, le titre étant devenu rare, ils sont obligés de le faire à n'importe quel prix : ce prix, lundi 27, est de 520 euros et, mardi 28, il dépasse les 1 000 euros, l'action clôturant à 920 euros. En deux jours, elle s'est donc appréciée de 340 %. Autant dire que, dans un marché où l'on dit d'un cours qu'il s'envole lorsqu'il prend plus de 10 %, aucun mot n'existe pour décrire ce qui s'est passé.
Alors, qui a gagné ? Sans doute, pour une fois, le bon père de famille, confiant malgré la tourmente en la fiabilité légendaire de l'automobile allemande, qui avait gardé Volkswagen dans son portefeuille et aura su sauter sur l'occasion. Et sans doute, aussi, Porsche. Qui a perdu ? Pour l'instant, on ne sait pas, les suspects habituels, la Société Générale, Morgan Stanley, ou Goldman Sachs jurant n'être pas concernés. Et combien ? Selon Les Echos, le montant total des pertes pourrait approcher les 30 milliards d'euros ; 30 milliards d'euros, soit six fois plus que Jérôme K., en à peine trois jours, et sur une seule valeur. Pour l'instant, rouges de honte, les perdants se cachent. Peut-être espèrent-ils se refaire avant d'avouer, et prendre ainsi encore plus de risques, ce qui pourrait les entraîner encore plus bas.

Car c'est cela qui, d'un point de vue très médiocrement informé et largement incompétent, surprend le plus dans l'affaire. Les intentions de Porsche à l'égard de Volkswagen sont connues depuis des mois. Une OPA classique se fait toujours à un cours bien supérieur au cours médian du titre visé, avec par exemple une prime de 40 %. Pourquoi, alors, prendre le risque de parier à la baisse sur un titre certes fort volatil mais qui, dans sa situation particulière, a bien plus de chances de monter que de baisser ? Dans quelle situation peuvent bien se trouver les acteurs qui font de tels paris, eux qui donnent un peu l'impression d'être prêts à tout tenter, même les mouvements les plus fous, pour améliorer leurs positions ? Call 911 titrait, dans un éblouissant raccourci sémantique cumulant, en quatre lettres et trois chiffres, trois niveaux de lecture différents, le rédacteur de Crible, la chronique sarcastique des Echos en ce mercredi 29. Mais, plus que de faire appel aux services d'urgence, les spéculateurs impliqués feraient mieux d'aller consulter. L'affaire, en tous cas, nous offre une morale à tiroirs : ceux qui auront débouclé leurs positions baissières le vendredi auront eu le temps d'encaisser des gains confortables ; ceux qui auront été contraints de le faire un seul jour plus tard auront perdu infiniment plus. C'est vraiment trop injuste.