Dans ce monde où les valeurs corruptrices de l'éphémère et du superficiel étendent chaque jour un peu plus leur empire sur les décisions du politique, il est rassurant d'encore en trouver qui, contre vents et marées et en dépit des défaites électorales, maintiennent le cap vers un avenir dont le même politique a décrété qu'il prendrait une configuration particulière, et s'emploie, sans doutes ni répit, à faire en sorte que cet avenir advienne. On aurait, ainsi, pu imaginer que la sévère défaite des Verts lors des dernières municipales parisiennes allait sonner le glas d'une politique publique dont les prémices sont déjà anciennes, et qui avait comme objectif avoué de bannir les véhicules individuels à moteur thermique des rues d'une capitale dont les limites administratives aberrantes autorisent, comme sous l'ancien régime, ses élus à nier les droits, voire l'existence même, de ces millions d'individus de second ordre qui font la vie de cette ville tout en ayant le malheur de ne pouvoir y résider. Mais le désaveu infligé à la politique emblématique de l'ancien adjoint Vert aux transports, Denis Baupin, créateur des tristement célèbres "espaces civilisés", n'empêche pourtant pas celle-ci d'être continuée par la nouvelle équipe, mais par d'autres moyens.

Plutôt que de remodeler des boulevards entiers, l'offensive se concentre en effet sur des lieux plus stratégiques : les places. Le garrot habituel, la suppression de voies empruntées par les véhicules individuels, permet en effet d'étrangler la circulation de manière ponctuelle, mais efficace, puisque l'on s'attaque ici, dans leur fonction de réorientation du trafic, à des points de passages obligés. Déjà objet d'un remodelage, la place de Clichy sera bientôt rejointe par un espace à la fois plus central, plus vaste, plus symbolique, et objet d'un travail, dans sa dimension spatiale comme dans ses justifications politiques, autrement plus radical. Etayé de propos qui marquent le franchissement d'un palier dans la stigmatisation des motocyclistes et automobilistes, le projet pour une nouvelle configuration de la place de la République prend la forme d'un véritable manifeste, celui d'un retour à la ville du XVIIIème siècle, avec ses places servant de lieux d'échanges commerciaux et de rassemblement de troupes. Il démontre aussi la claire affirmation d'un refus, celui d'assumer le rôle d'une capitale, point central de la région la plus peuplée du pays, avec ses avantages, et ses nuisances. En parallèle, ce refus peut se lire à l'identique dans un autre volet de cette politique publique, qui concerne le logement.

Dans une ville où les réserves foncières ne cessent de se réduire, donc leur prix d'augmenter, l'opération des Batignolles représente une des dernières occasions offertes à la municipalité de densifier l'habitat. Et de fait, même privée de ces tours toujours interdites, l'opération proposera à terme, dans des bâtiments assez imposants, un nombre significatif de logements. Les projets qui commencent à se faire jour, tels celui de Franklin Azzi Architecture, font par ailleurs la preuve d'une qualité architecturale enfin digne d'une ville moderne. Mais les contraintes du label HQE, imposant une quadruple peau et un quota incompressible de ces panneaux photovoltaïques qui, au centre du réseau de distribution électrique le plus dense du pays, produisent un courant dix fois plus onéreux que le prix du marché, contribueront à ajouter leur propre, et considérable, surcoût, au surcoût du foncier de centre ville. Ces logements, en d'autres termes, pour le commun des mortels et quand bien même ils seront, ou prétendront être, sociaux, seront de fait inabordables.
Le peuple continuera donc d'habiter là où il avait pris l'habitude de le faire, dans ces lotissements de plus en plus éloignés du centre, et utilisera comme il pourra les transports disponibles pour rejoindre son lieu de travail. En 2009, et même si l'année 2008 constitue une référence atypique, le marché de la maison individuelle, responsable de cet abominable mitage du territoire, a connu en Île de France, selon le rapport de l'Union des Maisons Françaises une croissance de 21 %. Dans un marché global toujours déprimé, cette hausse provient des seuls primo-accédents de catégories populaires, bénéficiaires d'aides publiques, ceux qui, précisément, devraient pouvoir occuper ces logements sociaux parisiens qui, quand ils existent, restent pour eux inaccessibles. Ceux qui, malgré tout, réussiront à se loger dans ces zones satellites qui possèdent la double propriété d'être suffisamment denses sans pour autant être déshéritées, rejoindront la triste cohorte des usagers des transports en commun, dont une récente et passionnante enquête détaille le sort peu enviable, avec des trajets dont la durée moyenne, pour les résidents des départements de la première couronne, atteint les deux heures, et monte jusqu'à 2h34 pour les habitants de la Seine et Marne. Les autres, comme le rappelle l'INSEE, viendront en voiture et, de plus en plus, en deux-roues motorisés. En approchant du centre, il se heurteront à la barrière de Clichy, puis à l'enclave de la République.

Tout ces éléments en apparence épars, comme par l'œuvre d'un grand architecte, convergent donc, et produisent des effets qui se concentrent en un même point. Paris qui, dans le rapport de l'ORSTIF, compte pour 53 % des emplois, et seulement 23 % des résidants, repousse de plus en plus, en partie du fait des décisions municipales, ses salariés les plus modestes vers les périphéries les plus lointaines et s'ingénie, parce qu'il est autrement plus facile, et rapide, de remodeler une place que de construire une ligne de métro, à rendre leurs déplacements de plus en plus pénibles. Cette politique au fond, qui fabrique dans l'espace public une forme discrète de communauté fermée, accessible, mais seulement à ceux qui résident à proximité, et tourne donc totalement le dos à la fonction d'une capitale, peut parfaitement se résumer d'une formule lapidaire : Paris aux Parisiens.