Revenir au pouvoir après une aussi longue absence entraîne nécessairement quelques petits problèmes d'organisation, et composer un gouvernement avec un parti réputé pour son indiscipline, puisque le vainqueur de la primaire a dû, en plus d'un radical, affronter quatre de ses membres, n'est pas une mince affaire. Le réseau des contraintes se montre ainsi aussi dense que varié : il faut autant de femmes que d'hommes et une petite quantité d'anciens, des représentants de toutes les régions y compris outre mer, et de toutes les tendances sans oublier de réserver quelques places aux alliés verts et radicaux. Il faut aussi, en raison de la gravité de l'heure et de l'urgence de l'action, nommer de bons spécialistes au bon endroit tout en évitant l'écueil des gouvernements de technocrates réputés, à l'image de celui de Mario Monti, peu sensibles aux effets de la volonté populaire. Pourtant, en très peu de temps, le contrat a été tenu, en abusant du seul de gré de liberté disponible : avec trente quatre ministres, on se bouscule sur les marches de l'Élysée pour la photo de famille. Et même si ce gouvernement ne durera pas plus d'un mois, l'attrait de la spéculation gratuite est bien trop fort pour y résister. Au moins se contentera-t-on de commenter les domaines habituels, l'économie, la recherche, les transports, l'écologie.

En charge des Transports en général et de la Mer en particulier, on trouve un boulonnais, Frédéric Cuvillier, député-maire de Boulogne sur Mer, docteur en sciences politiques et juridiques avec une thèse consacrée à la moralisation des financements politiques depuis 1988 et maître de conférences en droit public à l'université du Littoral. En haut de sa pile personnelle de dossiers urgents, la SNCM : pas de délai avant de se jeter à l'eau. Sa tutelle, le Développement Durable, échappe aux Verts pour se voir confiée à Nicole Bricq, sénatrice plutôt spécialiste de finances publiques. Cécile Duflot atterrit donc ailleurs, le Logement lui offrant un lot de consolation qu'un écologiste ne saurait refuser, l'amélioration des performances énergétiques des bâtiments publics comme des logements figurant en tête du programme de son parti. Du moins son pouvoir de nuisance sera-t-il ici réduit à consolider la fortune précaire des installateurs de panneaux photovoltaïques. Avec comme seul appui un député européen, journaliste à Alternatives Économiques et en charge du Développement, elle risque de se sentir un peu seule, et sévèrement gardée.
Un des moments remarqués de la première journée présidentielle de François Hollande a en effet été cet hommage rendue à la science dure, en la personne de Marie Curie, cette sorte d'ancêtre du lobby nucléaire. Confier l'Enseignement Supérieur et la Recherche à Geneviève Fioraso relève d'une démarche similaire. Si l'élue de la silicon valley grenobloise n'a pas de passé universitaire, elle préside Minatec Entreprises, société d'économie mixte liée à Minatec, un projet qui, comme le confirme chez Authueil un observateur averti, regorge de ces termes qui donnent des boutons aux verts, CEA, Leti, nanotechnologies. Dans la foulée, on regrettera, évidemment, le consternant manque de sportivité auquel on doit l'absence de cette figure de la technocratie de gauche, qui possédait pourtant toutes les qualités nécessaires pour entrer au gouvernement, Anne Lauvergeon. Atomic Anne, sans nul doute, aurait à elle seule permis à l'ensemble d'atteindre la masse critique ; espérons qu'elle trouvera bientôt un poste à la mesure de ses capacités comme de ses ambitions. Le fauteuil bientôt vacant d'Henri Proglio, prototype de la compromission avec l'ancien pouvoir, à la tête d'EDF lui conviendrait sûrement.

Reste a s'attaquer au plus gros morceau, la pieuvre de Bercy, plus envahissante que jamais avec ses deux têtes et ses quatre tentacules ; si vaste que soit le domaine et ses dépendances, on se demande comment il pourra commodément loger autant de ministres. Les défis à relever, il est vrai, sont aussi variés que complexes, et égayeront en priorité les nuits blanches du ministre du grand retour de l'industrie. Tout récemment, Les Echos publiaient un état des surcapacités de la production automobile européenne qui, une fois de plus, coupait le continent en deux. En Allemagne, les usines de Vokswagen et BMW tournent à 90 % de leur capacité ; ailleurs, le taux varie de 76 % pour Renault à 65 % pour Fiat. Il appartiendra donc au gouvernement de dire comment il compte assurer cette transition écologiste qu'il revendique, laquelle implique notamment de réduire la place de l'automobile dans la cité, sans mettre en danger l'emploi. On sait qu'il dispose pour cela d'une arme absolue, la stigmatisation de ces plans sociaux qu'on annonce dans la grande distribution, les banques ou l'automobile, et qui n'auraient d'autre objectif que d'assouvir la rapacité des actionnaires. Pourtant, si l'on y regarde d'un peu plus près, on constate que l'action Carrefour, depuis le début de l'année, a perdu 21,6 % de sa valeur, et 74,4 % sur cinq ans. Pour la BNP, les chiffres sont respectivement de -13,6 % et -71,6 %, pour le Crédit Agricole, de -31 % et de -90 %, et pour Peugeot, de -32,7 % et de -86,7 %. Avec +14,1 %, le titre Renault se trouve seul en territoire positif depuis le premier janvier : mais sur cinq ans, il perd quand même 70,8 %. Pour réussir à vendre l'histoire des licenciements boursiers dans de telles conditions, il va falloir énormément d'aplomb, un culot monstre, et un ego d'exception : nul doute, alors, qu'Arnaud Montebourg soit bien l'homme de la situation.
Le problème, de toute façon, n'est pas de produire, mais de vendre. Toujours sur Les Echos, un article récent dévoilait une statistique significative, l'évolution, relevée par l'INSEE, du taux de marge des entreprises depuis 1985. Celui-ci, dévasté par les mesures du premier gouvernement socialiste de 1981 avait ensuite, après les réformes de Pierre Bérégovoy et à la grande fureur des journalistes d'Alternatives Économiques, rebondi pour se stabiliser à un niveau normal, entre 30 et 32 %. Son récent effondrement traduit bien l'impossibilité que rencontrent globalement les entreprises françaises à imposer leurs prix, et donc à vendre leur production à un niveau rémunérateur, et, en conséquence, à investir, et à embaucher. Une situation critique alors même que la nouvelle législature n'a pas commencé permet au moins de nourrir l'espoir que les erreurs de 1981 ne seront pas reproduites. Avec les écolos dans des placards, l'hommage rendu à la science lors de l'investiture, Minatec à l'enseignement supérieur, l'intérêt affiché pour les PME et leur développement, on a presque l'impression d'avoir affaire à un gouvernement qui a compris où il fallait agir. Certainement, c'est une erreur.