Certainement, la perspective de vacances prochaines donne des ailes à William, et le conduit à s'affranchir de toute espèce de contraintes, celles qui, en particulier, continuent à tisser un fil ténu entre le métier de journaliste, et la simple exactitude des faits qu'il a pour fonction de relater. Le sujet qu'il présentait ce mardi soir sur Arte Info, mettant aux prises un pauvre État martyr, l'Irak, et les majors pétrolières qu'on sait depuis de nombreuses décennies être l'incarnation terrestre des forces du mal, et qui le sont d'autant plus que, depuis qu'elles ne sont plus simplement occidentales mais aussi chinoises, russes, malaisienne ou brésilienne, elles témoignent de l'absolu du mal dans son extension à la planète entière, avait il est vrai tout pour devenir un cas d'école de ce que d'autres qualifient de maljournalisme.

Enchaînant fort subtilement sur le sujet politique du jour, le repositionnement des forces américaines en dehors des villes irakiennes, ce bon William titrait sur cette "grande vente aux enchères", paradoxale en ce jour de restauration de la souveraineté nationale, puisque le gouvernement décidait "d'attribuer l'exploitation de certains de ses champs pétroliers à des compagnies étrangères". L'impartial chroniqueur dénombrait ensuite avec rigueur la meute des vautours, puisque "trente et une sociétés attirées par cet océan de pétrole se sont portées candidates", l'hyperbole étant d'ailleurs de son cru, les Irakiens, en fait d'océan, se contentant modestement d'évoquer un lac. Parlant de vente alors que les concessions, limitées en durée, ne sont que des locations, s'étonnant du recours à des sociétés étrangères, ce qui suppose que l'État irakien soit parfaitement en mesure d'exploiter ses ressources lui-même, on trouvait bien là ce genre de lancement qui vous met tout de suite dans l'ambiance.
La suite se devait donc d'être à la hauteur, et on n'a pas été déçu. Pour la journaliste en charge du reportage, le consortium composé du britannique BP et du chinois CNPC s'est "octroyé la plus belle part du gâteau", en l'occurrence le champ pétrolier de Roumaila, le lot le plus intéressant avec ses réserves estimées à plus de 17 milliards de barils, champ "bombardé par les américains en 2003", ce qui explique que "sa production ne soit que d'un million de barils par jour". L'affirmation s'appuyait sur ces images connues des puits irakiens incendiés par les troupes de Saddam Hussein lors de leur retraite. Objectivement, et faute de sources, on n'a pas pris la peine de vérifier si ce champ précis avait effectivement subit des dégâts causés par l'armée américaine. Impossible de dire donc si l'on a affaire à cette situation classique de l'illustration mensongère d'un événement réel, ou s'il s'agit d'une pure falsification. Comme il faut bien, si peu que ce soit, faire son métier, le reportage précisait que les compagnies seraient rémunérées par une redevance fixe, d'un montant "six fois inférieur à celui espéré". Mais pour les Kurdes, c'est encore trop : les autorités s'opposant à "une invasion économique étrangère", Bai Hassan n'a pas trouvé preneur, contribuant au "succès très mitigé de ces enchères".

Puisque sur Arte, on n'aime ni les chiffres, ni les riches, il faut, pour obtenir quelques précisions, se retourner vers les auxiliaires habituels, les dépêches de Reuters et de l'AFP. Et ce qu'elles nous apprennent est, franchement, stupéfiant. On se trouve dans un mécanisme d'enchères, où l'on confronte donc deux prix, celui de la demande, et celui de l'offre. Pour Missane, les chinois de CNOOC et Sinopec voulaient 25,4 dollars du baril ; les Irakiens en proposaient 2. Pour Bai Hassan, les mêmes chinois et les américains de Conocco demandaient 26,7 dollars ; le gouvernement irakien montait jusqu'à 4. Et Roumaila a trouvé preneur parce que les exploitants ont accepté de baisser à 2 dollars une offre initialement fixée au prix magique de 3,99 dollars. Avec les taxes et la part obligatoirement prélevée par la compagnie locale, il leur restera en fin de compte un dollar par baril. Même si la comparaison manque de pertinence, le baril de WTI s'échange par les temps qui courent à 70 dollars du baril.
Si, comme tout acteur rationnel, les entreprises visent à obtenir le maximum, elles peuvent fort bien, contrairement aux certitudes de William, se contenter, tant que l'affaire est rentable, d'une rémunération modeste, à une seule condition, impérative : que celle-ci, dès maintenant et sur le long terme, soit absolument garantie. Or, les certitudes n'existant que dans l'univers des enfants, des fous, et des présentateurs d'Arte Info, il leur faut quantifier le risque qu'elles prennent avant d'investir. Et on ne surprendra personne en précisant que, question risques, l'Irak et son pétrole, aujourd'hui, les cumulent tous. Inutile de revenir sur le risque physique qui ne se limite pas à celui qu'affronte quotidiennement chaque citoyen irakien, mais doit prendre en compte le fait qu'une société étrangère, serait-elle chinoise, exploitant cette ressource stratégique, présente une cible privilégiée. L'incertitude juridique, alors que, comme le précisent aujourd'hui Les Echos, on attend toujours que le parlement irakien ratifie la loi pétrolière, pèse sans doute encore plus. Enfin, même si l'on parle ici de court terme, le risque d'une baisse de la demande existe, ce qui contribue à privilégier une stratégie d'attente : puisque rien de presse, inutile, compte tenu de cette réconciliation impossible entre demande et offre, de négocier. Il sera toujours temps de revenir lorsque le gouvernement iraquien sera revenu à de meilleures dispositions.
Telle est la dure réalité : une compagnie pétrolière travaille pour de l'argent, et pas pour le simple plaisir, si grand soit-il, de confirmer les préjugés d'un journaliste de télévision. Et puisque, visiblement, l'État irakien partage avec le journalisme d'Arte un même éloignement sidéral à l'égard de la réalité, il doit, lui qui se croyait assis sur une fortune, se trouver bien surpris de cet échec, découvrant que, faute de technologie, de savoir-faire et d'exploitant, celle-ci ne vaut pour l'heure pas plus que le sable qui l'entoure. Avant de toucher les fruits de leur richesse naturelle, il se pourrait donc que les Irakiens aient encore beaucoup à apprendre, et longtemps à attendre.