L'insolent William s'est montré encore plus préremptoire qu'à son habitude, en présentant ce jeudi soir le journal télévisé d'Arte ; avec l'alerte qui venait de se produire à la centrale de Tricastin, il tenait en effet le quatrième incident survenu en moins de deux semaines dans une installation relevant du parc électronucléaire national. Et la raillerie d'usage tourna vite au sarcasme quand l'auteur du sujet se gaussa de la réaction de l'autorité de contrôle, l'ASN, qui classa provisoirement l'affaire au niveau 0 de l'échelle INES. Cette échelle qui, puisque les scientifiques sont taquins, comprend sept niveaux, plus un, permet de cataloguer, à l'intention du grand public, et en fonction de leur gravité, les divers incidents, voire les accidents, qui peuvent se produire avec les sources de radioactivité. Au niveau zéro, on n'est pas encore dans l'incident, mais simplement dans une déviation par rapport aux normes qui mérite d'être consignée et suivie, mais guère plus, et n'est généralement pas rendue publique. Hors, cette même ASN propose au dit public une petite fiche présentant cette échelle INES, fiche que le reportage montrait, en entourant la partie qui précisait que la contamination d'un travailleur devait être classée en niveau 2 : à la rédaction d'Arte, on n'était sans doute pas peu fier d'avoir ainsi pris ainsi l'ASN au piège de ses contradictions.
Dommage que l'on ait si rapidement glissé sur la formulation exacte de la fiche, "contamination importante" ; dommage aussi que personne n'ait pensé à retourner la page : tout en bas, et, certes, écrit en plus petit, l'ASN apporte des précisions sur les critères qu'elle emploie pour juger de l'importance des contaminations radioactives sur les individus. Même si les calculs, qui tiennent compte du nombre de personnes concernées, semblent un peu complexes, on peut supposer que, en fonction du nombre d'employés en cause, un classement au niveau 2 aurait impliqué qu'ils reçoivent une dose supérieure au quart de la limite réglementaire annuelle : or, à Tricastin, elle était dix fois moindre. Et puis, si la rédaction d'Arte nourrissait un doute à l'égard de la décision de l'ASN, il ne lui aurait pas été difficile de contacter l'Autorité, qui lui aurait sûrement répondu puisqu'elle est, aussi, là pour ça. Ce classement, enfin, n'est que provisoire, l'ASN pouvant parfois, après enquête, revenir sur sa décision initiale : nul doute que si cela se produisait, les couloirs d'Arte résonneraient des échos du triomphe de William.

Paradoxalement, il n'est pas si facile de faire peur avec le nucléaire. Pourtant, tout s'y prête : une charge symbolique catastrophiste considérable, une technologie totalement opaque pour un public non-spécialiste, une dangerosité qui se signale au sens commun par les précautions même avec lesquelles l'autorité traite tout élément radioactif, un activisme antinucléaire dont, malgré la maigreur de ses effectifs, la virulence ne se dément pas et auquel, pour l'essentiel, les media sont acquis, tout cela fait de l'électronucléaire un secteur où l'imaginaire, la matière première de l'information télévisée, règne, et dans lequel il suffit de puiser lorsque, comme en ce mois de Juillet où le Tour de France peine à produire son habituel quota de scandales, le besoin s'en fait sentir. D'où la figure classique mais toujours efficace de la funeste série, avec ces quatre incidents en deux semaines. L'ASN ne rendant en principe pas publiques les alertes de niveau zéro, on éprouvera quelques difficultés à établir une base de comparaison fiable, histoire de s'assurer que cette succession d'incidents soit bien exceptionnelle. Pourtant, un des documents disponibles sur le site de l'Autorité fournit un recensement complet des urgences survenues en 2003, année qui a connu un incident de niveau 2, 148 de niveau 1, ce qui est un peu supérieur à l'habitude, et 870 événements de niveau zéro. Avec quatre incidents en deux semaines, on se trouve un ton en dessous du rythme habituel : étrangement, la vigilance de la presse semble donc avoir été prise en défaut, ou alors, on est vraiment à la morte-saison.
Malheureusement pour les activistes, en alerte permanente depuis trente ans, le sens commun ne se nourrit pas que d'imaginaire. Ainsi, aux temps forts de la contestation, ceux-ci, s'appuyant sur la découverte de fissures dans la chaudronnerie de réacteurs nucléaires, pronostiquaient leur défaillance. Trente ans plus tard, on est bien obligé de le constater : pour l'instant, ça tient. De la même façon, on peut être sûr que si le suivi médical des travailleurs du nucléaire révélait un taux anormal de cancers, on en serait informé dans la seconde. Pour l'heure, le risque du nucléaire n'est pas là où l'alerte résonne depuis si longtemps en vain que l'on a fini par se lasser, mais bien dans cette figure opposée de la médecine, que des erreurs dans sa procédure de soins rendent responsable du plus grave accident survenu en France, en termes de santé publique. Et pendant ce temps-là, l'incident de la centrale de Krsko, qui avait ému l'Europe entière, rejoué le spectre de Tchernobyl avec la Slovénie en fait d'URSS et un brave réacteur Westinghouse à la place du RBMK, et provoqué la fureur du voisin autrichien, a été classé par l'autorité de sûreté slovène au niveau 0 de l'échelle INES ; ça plaira pas à tout le monde.