Dans ce monde où la corruption des idéaux sportifs se paye d'une attaque de chauvinisme pathologique aux dimensions du délire, sur ces écrans qui, en mémoire de leurs millions perdus, prennent leur part du deuil national et lui accordent une couverture excédant largement tous les précédents, de la crise financière au tsunami de décembre 2004, en ces heures d'une noirceur sans égal où même l'étrange défaite, celle qui se produisit juste soixante-dix ans plus tôt, paraît bien futile, on éprouve quelque scrupule à évoquer d'autres turpitudes, infimes, puisque municipales, triviales, parce que politiques. Mais puisque la vie garde le mauvais goût de suivre son cours, sa loi d'airain commande de passer à autre chose. Clichy-la-Garenne vit aussi, depuis un mois, un drame, mais d'une toute autre espèce puisque, au prix de troublants renversements d'alliance, le conseil municipal a le mois dernier rejeté le Plan Local d'Urbanisme.
En elle-même, la décision n'a rien d'anodin, puisque, au moins durant le temps qu'il faudra pour recoller ses morceaux, elle enterre une procédure longue, entamée au début de la décennie, lourde, ne serait-ce que par le nombre de ses pages, lesquelles se montrent par ailleurs aussi rébarbatives que chichement illustrées, et décisive, puisqu'elle construit le cadre légal dans lequel s'inscriront les projets urbanistiques nombreux et variés d'une ville certes de taille modeste avec ses 57 000 habitants, mais qui dispose à la fois d'une quantité non négligeable de réserves foncières, et d'une situation idéale, en lisière de l'opération de la décennie qui se déroule chez cet encombrant voisin parisien, Clichy-Batignolles.

Autant dire que le rejet d'un tel travail au moment où il n'attendait plus qu'un dernier vote favorable du conseil municipal surprend un peu ; la méthode, un vote à bulletins secrets demandé par les élus Verts, étonne moins. C'est celle-ci, en tout cas, qui explique ce renversement d'alliances proprement stupéfiant, qui passe par une étrange coalition de Verts, de Communistes, de Socialistes, tous de jure membres de la majorité municipale, alliés pour la circonstance avec les élus UMP fidèles à la sarkozo-balkaniste Marie-Claire Restoux, laquelle se découvre brusquement une fibre bien combative puisque que son maintien au deuxième tour des municipales de 2008 contre Rémi Muzeau, le terne M. Propre de la droite locale, avait assuré la réélection de son ennemi d'aujourd'hui. Depuis, la bataille des justifications et le combat des communiqués suit son cours, et la contribution des boîtes aux lettres des citoyens au déballage général se montre presque à la hauteur de la déjà lointaine offensive de Didier Schuller : dernier petit soldat à voir le feu, un communiqué de deux pages aux armes de la ville, mais signé des Socialistes et Radicaux de gauche légitimistes, détaille, selon le pouvoir municipal, les conséquences mortelles du rejet pour nombre de projets déjà programmés.
Mais l'anecdote apporte déjà des enseignements intéressants, tous politiques, mais dans un sens fort distinct. Sur le plan tactique, elle montre à quel point les Verts font toujours preuve de la même habileté lorsqu'il s'agit d'exploiter leur culture démocratique soixante-huitarde. Elle permet également de repérer une partition inédite entre élus de bords opposés, votant ici non pas en fonction de leur appartenance, puisque le Parti Radical et les partisans de Rémi Muzeau ont rejoint le clan légitimiste, mais selon un choix qui consiste soit à préserver l'intérêt général, soit à ne pas rater une occasion de mettre en difficulté un maire assez mal élu, quand bien même on serait nominalement du même bord, et sans aucun souci des conséquences. Mais de façon plus générale, le rejet du PLU démontre à quel point l'épouvantail des tours conserve sa redoutable efficacité.

Unanimement, les opposants de gauche au PLU justifient en effet leur renversement d'alliance par cet auxiliaire désormais indispensable à la démocratie, un sondage dans lequel des citoyens se déclarent massivement opposés à l'édification de tours sur le territoire communal. Il reste en effet dérisoirement simple de cacher sous le gros mot de tour le concept d'Immeuble de Grande Hauteur dans lequel, pourtant, la hauteur ne jour qu'un rôle assez secondaire. En effet, la norme concerne essentiellement la sécurité des occupants du bâtiment, et définit la hauteur à partir de laquelle les exigences plus strictes de l'IGH s'appliquent : 50 mètres pour les habitations, 28 pour les bureaux. La tour Bois-le-Prêtre, en cours de rénovation à la lisière sud de la ville, ressemble donc bien à un IGH, au même titre que sa voisine, la tour Borel qui, construite au bord du périphérique, sera détruite. Avec 32 et 53 mètres, les deux IGH dont l'implantation était prévue sur la limite sud de la ville n'auraient donc guère modifié ses contours ; et même si, côté Seine, au nord, on prévoit de monter jusqu'à cent mètres, on reste en fait, on s'en rend bien compte, dans le banal, et l'anecdotique
Ce rejet de la densification aura des conséquences un brin paradoxales, puisqu'il contraindra les enfants de ces mêmes citoyens opposés aux tours à aller voir s'il seront mieux accueillis ailleurs, dans des communes sans doute bien plus périphériques mais qui leur fourniront les logements qu'ils auront les moyens de s'offrir. De plus, que les opposants le veuillent ou non, IGH, et même imposante tour, il y aura, et en bordure de ville. Édifié dans la zone, au bord du périphérique, le futur Palais de Justice de Paris se dotera d'une tour qui portera bien haut le glaive de l'institution aveugle, puisqu'elle pourra atteindre les deux cent mètres. Nul doute que, où que l'on se trouve à Clichy, on ne verra qu'elle.