Sans doute ne faut-il pas l'annoncer trop fort, mais au département, à Paris 8, la grève est finie. Du moins celle des tables et des chaises qui, toujours entassées dans un coin du hall d'entrée, entourées d'un de ces filets de plastique orange qui délimitent ordinairement les secteurs dévolus aux travaux publics, n'attendent plus qu'une bonne âme, ou la réquisition du personnel technique, pour retrouver leur usage originel. Pour les cours, c'est moins clair. Il semble, en fait, que l'on précipite le sauvetage de ceux qui ne peuvent pas attendre, les étudiants en fin de cycle tels les M2 qui, de toute façon, soutiendront en septembre un mémoire qui n'a jamais été menacé. Pour les autres, l'urgence n'est pas déclarée. Et puis, on a décidé en AG de valider les unités du semestre en attribuant comme note la moyenne du semestre précédent : nul doute que la tutelle entérinera. Pour le reste, on semble compter sur le bon vouloir d'enseignants parfois invisibles, et l'on n'a vraisemblablement plus à redouter de très hypothétiques perturbateurs. Si fragmentaire soit-elle, cette impression est bien à l'image de ce conflit sans tête ni stratégie dont la principale leçon restera l'incroyable incurie dont les enseignants-chercheurs ont fait preuve dans la conduite de leur mouvement.

Il est vrai que le fait de s'être brutalement réveillé au moment de la sortie des décrets, dix-huit mois après le vote de la LRU, en ayant donc manqué sa chance d'influer sur sa rédaction, obligea à entamer la campagne avec un sérieux handicap. La loi ayant comme principal enjeu la modification des rapports de force entre les présidents d'université et les CA, CS et autre CEVU, toutes institutions parfaitement inconnues de ces rares étudiants qui ne sont pas permanents UNEF, elle aurait, de la part des enseignants, impliqué un sérieux effort pédagogique s'ils avaient eu comme objectif de faire comprendre à leurs élèves en quoi elle pouvait bien les concerner. Quant à la modification du statut des enseignants-chercheurs, si elle remplit la poudrière qui explosera après le discours présidentiel du 22 janvier, elle n'avait aucune chance de mobiliser les foules studieuses. Et pourtant, cette armée universitaire qui ne peut faire masse qu'avec ses innombrables fantassins partit en campagne en battant le pavé de toute la puissance de ses seuls labos. Elle entama, par ailleurs, une grève bien singulière, puisqu'il lui suffisait de cesser de faire cours pour interrompre l'activité des universités, tout en négligeant de se déclarer gréviste afin de continuer à percevoir son traitement. On trouvait là, en somme, des conditions idéales pour un conflit durable et, de fait, celui-ci, s'étendant sur un semestre entier, a dû battre bien des records dans l'histoire pourtant extrêmement fournie de cette conflictualité particulière. En même temps, au désespoir de certains, les manifestations de papier échouent à attirer les journalistes : ceux-ci se montreront plus attentifs lorsque, avec l'entrée en scène des étudiants, des chaises, et des blocages, ils trouveront enfin cette matière propre à inquiéter les parents avec l'avenir de leurs enfants, et des cadres d'analyses plus habituels. Mais si la presse arrive, c'est parce que l'année se termine, et qu'il en grand temps de passer aux choses sérieuses, examens et diplômes. Dès lors, le mouvement se perd, englué dans la masse, avalé par le temps. La plus ordinaire des stratégies du pouvoir, le pourrissement, suffit à assurer la victoire à la Pyrrhus de la Secrétaire d'État. Et, dans le rôle du fusillé pour l'exemple, les quelques récalcitrants qui subsistent encore feront parfaitement l'affaire.
S'ils avaient eu l'intention de démontrer à quel point le pays peut parfaitement, un semestre entier, fonctionner sans eux, au point d'à peine s'apercevoir que les universités sont vides, s'ils avaient voulu confirmer le stéréotype du chercheur enfermé dans son labo, privé de sens pratique et incapable de se débrouiller lorsqu'il est aux prises avec la réalité, si leur objectif était de démonter la stérilité et le conformisme d'organisations syndicales qui se comportent avec les mêmes méthodes, et la même subtilité, que les cheminots CGT, les enseignants-chercheurs ne s'y seraient pas pris autrement. Et pourtant, il y avait un enjeu, autrement plus important que de défendre bec et ongles la ligne Maginot de ses pauvres territoires, et sa place au comité truc. La réforme LMD, l'évaluation des chercheurs au moyen de critères bibliométriques ne sont que quelques avatars de ce vaste mouvement d'uniformisation bureaucratique qui traite à l'identique les MBA IAE et les futurs archivistes-paléographes, qui vérifie de façon tatillonne que les études des sociologues, des publicistes, et des quants sont bien organisées strictement de la même manière, et qui considère, par ailleurs, que, à Séville comme à Narvik, les conditions d'éclairement imposent à tous les véhicules la même obligation de rouler phares allumés. Il y a là des enjeux vitaux, et qui nécessitent une analyse un brin plus complexe que le recours mécanique à l'assommante vulgate anti-néo-libérale.

Au fond, que représentent l'université et les enseignants-chercheurs pour les décideurs nationaux et européens ? Comment croire qu'ils ne voient là qu'une source de dépenses et de soucis dont ils se passeraient bien ? L'utilité de l'université se limiterait-elle donc à satisfaire la vanité de ces élus locaux qui ne sont pas près de renoncer au droit d'avoir la leur ? Comment peut-on, alors que l'on est, à la fois, peu nombreux, et directement en relation avec ce pouvoir politique dont on a formé les responsables, négliger à ce point d'aller plaider sa cause et se contenter de lui rendre ce mépris dont il ne semble, en effet, guère être économe ? Par définition, on ne négocie qu'avec ses ennemis et, à ce jeu, cinq motards au fond d'une impasse à Montreuil ou dans un bureau à Bruxelles sont plus forts que l'hétéroclite communauté universitaire.