Au grand désespoir de ses parents Robin, lycéen au collège Thomas Mann, souffre de sérieux problèmes d'hygiène personnelle. Paradoxalement, le récurage auquel il s'astreindra dans le fol espoir de séduire une de ses camarade de classe, punkette tatouée aux préférences nettement plus risquées, suscitera l'angoisse de sa mère, enseignante en primaire qui voit dans son changement d'attitude un premier pas vers l'accomplissement de sa hantise, revivre le suicide de son père. Heureusement, tout s'arrangera grâce à une catharsis familiale, qui présentera l'avantage supplémentaire de désormais permettre l'économie des séances de psychanalyse maternelles. Olivia vit une relation sans nuage avec sa mère, traductrice divorcée d'origine iranienne travaillant dans un grand organisme international. L'accord sera brisé lors d'une soirée doublement traumatique, avec la pénible perte de la virginité de la fille abandonnée à un gymnaste aussi blond que peu précautionneux, puis la découverte par celle-ci de la liaison que la mère entretient avec un collègue de travail. La paix reviendra lorsque l'adolescence, un temps tentée d'aller vivre avec son père, acceptera le principe de la sexualité des plus de quarante ans.
Ainsi peut-on, d'une manière totalement fidèle, décrire les synopsis des deux premiers épisodes de la fiction réaliste que France 2 présente désormais le mercredi soir, et durant trois semaines. Ordinaire représentante du genre, diffusée en première partie de soirée sur la chaîne publique de plus forte audience, Clash se doit se satisfaire à la longue liste des contraintes qui en feront l'un de ces produits qui remplissent les grilles des chaînes familiales, ni marquants ni scandaleux, fondamentalement consensuels mais dotés de ces quelques aspérités qui suscitent le débat et renforcent les lecteurs de Télérama dans leur conviction de trouver ici une bonne application de la raison d'être de toute fiction, fournir une image fidèle de la réalité. L'ennui fort modéré que suscite ce spectacle supportable ne mériterait guère de commentaires s'il n'était, dans le supplément hebdomadaire du quotidien du soir de référence, présenté sur deux pages et en couverture, comme un événement sans guère de précédent, comme une création aussi inédite que conflictuelle, produit d'une lutte de quatre ans que la productrice détaille dans l'entretien qu'elle accorde au quotidien, et qui s'accompagne de son lot de concessions. Mais pas un mot sur une autre série, bien antérieure puisque la première saison a été tournée durant l'été 2006, Skins.
Bien sûr, Skins ne saurait posséder le monopole de la fiction adolescente, ni celui de suivre le quotidien de quelques membres d'une cohorte de lycéens, ni celui de consacrer chaque épisode à un membre de la cohorte en question faisant face à un problème qui lui est propre, et pas même celui de donner comme titre à l'épisode le nom de ce personnage. Soigneusement tue, cette paternité semble pourtant évidente, même si elle ne va pas au-delà d'une liste d'emprunts.

Car rien d'autre ne rapproche Clash de Skins. Diffusée sur Channel 4, produite par la filiale de cette chaîne publique au financement entièrement privé, Skins, au fil des saisons, fortifie ses principes sans équivalent, qui font de cette série radicalement opposée à toute convention réaliste un objet fidèle à ce qu'il prétend décrire, le moment du passage à l'âge adulte. Skins se situe exactement et dans l'espace géographique, à Bristol, dans un lycée technique, et dans le temps, celui des deux dernières années de la vie lycéenne d'adolescents qui se connaissent depuis toujours mais qui, à la fin du cycle, se sépareront inévitablement pour, souvent, ne plus jamais se revoir. Leur existence, consacrée pour l'essentiel au sexe et à la drogue, et un peu aux études, se déroule dans cette communauté provisoire et condamnée à court terme, et se déploie dans un espace social précisément déterminé, qui oppose l'exubérance désordonnée du lycée public à la rigueur uniforme de l'établissement privé, tout entier consacré à la reproduction sociale des jeunes filles de bonne famille. Leur existence se fait aussi entre eux, pour eux, et contre les adultes, qu'il s'agisse de leur parents, lesquels forment une galerie de personnages qui, dans leur diversité, fondent une typologie complète de toutes les manières de faillir radicalement à leur fonction éducative, ou des enseignants, animateurs socio-culturels essentiellement armés de leur bonne volonté, et de leur croyance aussi naïve que vaine en l'utilité de leur métier.

Skins, enfin, se distingue par la rigueur et la permanence de ses principes esthétiques, maintenus d'un épisode et d'une saison à l'autre, et qui assurent l'homogénéité de l'ensemble malgré des réalisations de qualité inégale. Et ceux-ci s'opposent totalement à la vanité qui sous-tend certains immondices du service public, insupportables à cause de l'agitation incessante d'une caméra tenue à l'épaule, censée véhiculer dans ses tremblements permanents une image de réalisme alors même que l'honneur des cadreurs exerçant dans ces conditions a toujours été d'obtenir l'image la plus stable possible, ce qui, à l'époque des Eclair 16 et autre Caméflex, n'était pas une mince affaire.
Skins, avec ses plans fixes, sa caméra posée et à hauteur des personnages, ses mouvements rares et économes, n'a rien à faire de cette convention-là, ni d'aucune autre, celle, par exemple, de la nécessaire violence des affrontements sentimentaux, celle, plus encore, du réalisme de situations qui, ici, sont toutes parfaitement fictives. Avoir posé des principes radicaux, avoir, aussi, grâce à Channel 4, réussi à s'y tenir explique pourquoi Skins représente ce qu'on peut imaginer de mieux dans le genre depuis le Portrait d'une jeune fille de la fin des années 60 à Bruxelles de Chantal Akerman. Clash, à l'inverse, n'est rien d'autre qu'une mise à jour de La Boum.