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Category collecting for the Red Cross

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cicatrice intérieure

, 21:36

Il racontait qu'un jour, il avait téléphoné à Nico pour lui dire qu'il avait tenté de se suicider et que, ensuite, il avait cassé le carreau d'une fenêtre, et que Nico lui avait répondu : "ah bon, tu as encore cassé un carreau ?"
Aujourd'hui Philippe, fils de Maurice, qui concentre à lui seul les derniers restes d'irréductibilité qui subsistent dans le cinéma français a monté les marches du Palais des Festivals ; on a beau l'avoir vu à la télé, on n'arrive toujours pas à le croire.

numéro deux

, 18:00

Au début des années 1980, Jean-François Bizot a relancé Actuel, et recommencé à chercher des choses vraiment neuves. A l'époque, on pouvait lire dans un même article le portrait d'un jeune couturier inconnu et provocateur, Jean-Paul Gaultier, et celui d'un architecte débutant mais pugnace, déjà en guerre contre l'étouffant corset des réglementations d'urbanisme, et auteur seulement d'un collège, et d'une étrange clinique recouverte de bardages d'acier, Jean Nouvel. Presque trente ans plus tard, et avec quatorze ans de retard sur son rival de toujours, Christian de Portzamparc, Jean Nouvel devient le second architecte français lauréat du prix Pritzker.

Au fond, si l'on s'intéresse à l'architecture en tant qu'art, et pas en tant que fonction sociale, on ne trouvera que très peu d'architectes. Plus exactement, parmi les diplômés sortant chaque année des écoles, rares seront ceux qui auront l'occasion d'exercer leur métier comme créateurs de formes, même à titre anonyme au sein d'une agence connue, et pas comme simple techniciens préposés d'office à la construction. Si l'on raffine la sélection et que l'on avance dans la carrière, d'abord avec ceux qui dirigent leur propre agence, qui construisent leur notoriété à coup de concours, parviennent à obtenir des commandes de premier plan avant que leur réputation, acquise à domicile, ne leur ouvre les portes des concours internationaux, on arrive à une très courte liste, quelques dizaines, peut-être une centaine de noms, avec beaucoup d'européens, quelques japonais et américains, et une poignée de sud-américains. C'est dans ce réservoir de nobelisables que le prix Pritzker, aujourd'hui vieux de trente ans, puise ses lauréats : les surprises y sont rares, les exceptions relèvent plutôt du remords, comme le prix accordé à Jorn Utzon trente ans après l'achèvement de l'opéra de Sydney, et l'on ne gagnerait sans doute pas lourd en pariant sur les noms de futurs récipiendaires, comme Santiago Calatrava ou Peter Zumthor. Finalement, l'institution préférant les individus, tolérant de justesse les couples comme Herzog et de Meuron, c'est la tendance au collectivisme des Coop Himmelb(l)au et autre Architecture Studio qui risque de les priver de médaille.
En somme, on retrouve là, sans surprise, un mécanisme d'élection par les pairs, où chacun obtient son prix à tour de rôle, donc, en d'autres termes, la meilleure garantie d'un choix conformiste et académique. De quelle étrange propriété l'architecture est-elle dotée pourqu'il se passe, en fait, exactement le contraire  ?

C'est que, dans cette intense compétition internationale, dans ce marché de la construction toujours en expansion, le bâtiment d'exception conserve la fonction de prestige qui a toujours été la sienne. Bien sûr, celle-ci peut être atteinte sans souci esthétique, et c'est d'ailleurs presque toujours ainsi que les choses se passent, simplement en construisant la tour la plus haute, ou en concevant la décoration la plus clinquante. Pourtant, il restera toujours un espace pour les novateurs, une sorte de champ de la création architecturale, avec des catégories de bâtiments, opéras, salles de concert ou musées, que des maîtres d'oeuvre, esthètes et connaisseurs, et le plus souvent à statut public, ne pourront confier qu'à ces agences qui, comme celle de Jean Nouvel, sont en permanence en concurrence pour produire des bâtiments inédits. Pour cela, ils seront puissamment aidés par les contraintes techniques que pose leur discipline. Longtemps, l'audace formelle, celle que permet le béton en particulier, est restée, d'Eugène Freyssinet à Santiago Calatrava, une spécialité de ceux qui, étant ingénieurs avant d'être architectes, n'avaient pas peur d'aller aux limites des capacités plastiques de la matière ; le développement des puissances de calcul informatique, l'innovation technique permanente des producteurs de matériaux jointe à l'expérience de plus en plus grande qu'ils accumulent dans des techniques éprouvées se combinent pour offrir aux architectes un éventail de solutions qui n'a jamais été aussi large, ni aussi neuf.
Le quotidien banal et rassurant, l'affreux conformisme, l'accord a minima, existe toujours ; mais, d'une certaine façon, il se cache, relégué aux marges de la ville. La compétition entre capitales, à laquelle, englué dans sa grisaille verte, le Paris du premier mandat Delanoë avait cessé de participer, retrouve de la vigueur, tant l'écart avec les autres, Berlin, Barcelone, ou Londres, se montre gigantesque. Les projets, parfois d'une belle audace, fleurissent, et, dans l'ambiance actuelle, ce n'est pas forcément bon signe. Car c'est dans la débâcle de la dernière crise immobilière que s'était abimée la Tour sans fins.

à cause de Bertrand

, 11:33

Il ne s'agit pas seulement d'un jeu sans importance, puisque personne n'ose s'y soustraire. Il ne s'agit pas non plus de raconter six choses totalement insignifiantes, faute de quoi, d'une certaine façon, on triche. Et l'on ne peut se contenter d'invoquer, en cédant à son tour, ni les signatures prestigieuses qui vous ont précédé, ni l'insistance de Bertrand.
C'est que parler de soi ne fait pas vraiment partie des habitudes de la maison, et le faire à la première personne encore moins. Pourtant, derrière des prétextes divers, ceux qui jouent le jeu le font pour une bonne raison, la même sans doute qui pousse les mêmes à organiser ces rencontres qui naissent de façon systématique dès qu'un groupe virtuel se constitue, et qu'il possède les caractéristiques idoines, une certaine cohérence sociale, et une taille adaptée, à la fois assez grande pour permettre de se réunir, et assez petite pour que la rencontre soit physiquement possible dans les lieux ordinairement consacrés à cette tâche, cafés et restaurants. La rencontre pour de vrai n'est pas seulement là pour éviter ces erreurs d'interprétation qui, à la seule lecture d'écrits anonymes, peuvent être considérables, et qui, d'ailleurs, peuvent perdurer après un premier contact : elle constitue, en fait, le but, et le coeur d'une activité qui ne saurait se satisfaire de nouer des relations de plume. Reste, évidemment, le handicap d'un éloignement au quatre coins du vaste monde, qui limite drastiquement les possibilités de participation. D'où l'intérêt de dire quelque chose sur soi, et quelque chose d'assez vague pour ne pas être flagrant, et d'assez précis pour ajouter quelques couleurs au portrait mental que, inévitablement, on se fait d'inconnus.

Alors, pour une fois, laissons le snobisme de côté, faisons comme tout le monde, et parlons comme tout un chacun :

  1. J'ai franchi le rideau de fer pour la première fois en 1972, au poste frontière de Folmava. C'était intéressant. Plus tard, plus loin, le barrage de moustiques qui se lève le long du Danube, à la tombée de la nuit, c'était intéressant aussi.
  2. J'ai appris à nager chez Pasqualin, à - ou plutôt à côté de - Vallauris-Plage. Oui, ça existe vraiment. Et j'ai obtenu mon permis moto sur la Digue des Français.
  3. J'étais dans la salle de l'Animathèque de la rue Jacques Bingen le jour où Jean-Pierre Jeunet a présenté l'Evasion.
  4. J'ai connu l'université Paris VIII dans ses locaux de Vincennes, à l'époque du souk et des dazibao à la gloire éternelle du Grand Leader Kim Il Sung. C'est une relation qui dure.
  5. J'ai été expert en cinéma polonais, en littérature sud-américaine et en architecture moderne, mais c'était il y a longtemps. L'architecture, ça continue.
  6. Il n'existe aucune raison de ne pas me considérer comme le meilleur pizzaiolo bénévole à l'ouest du Var. J'ai des témoins.
Et ça ira très bien comme ça.

fin de carrières

, 16:30

Longtemps, le spectacle d'une équipe de rugby, alignée à l'instant des hymnes, a pu donner une image saisissante de la division du travail propre à ce sport. Avants massifs et puissants, grands costauds sauteurs, ailiers rapides et fluets et, au milieu, la charnière, avec ses demis opportunistes, à l'image de Peter Stringer, la petite peste de l'équipe d'Irlande que l'on voyait toujours fraternellement lové au creux de l'aisselle de son gigantesque numéro 8.
Après Fabien Pelous, voilà que Christophe Dominici et Raphaël Ibanez, deux autres survivants de 1999, mettent fin à leur carrière internationale. Un deuxième ligne, un talonneur, un ailier et deux capitaines : une petite équipe de trentenaires dont le parcours s'achève sur un échec frustrant. Dans la mémoire de ce sport si collectif, l'arrière a l'avantage, lui dont on dit qu'il peut, d'un geste, d'une course, faire basculer un match. Et de Christophe Dominici, le seul varois de la bande, on se rappellera l'essai lors de la demi-finale de 1999, le moment où, ayant récupéré un ballon de relance, il est passé sous l'arrière néo-zélandais avant d'aller aplatir et, plus encore sans doute, cet instant du début de la partie où, petit poucet perdu dans la forêt noire, trois cadrages-débordements l'avaient emporté à cinq mètres de la ligne, dans ce match qui, pour cette équipe au moins, reste le dernier exploit, et peut-être le chant du cygne, du rugby offensif.

les mendiants, les putains, les soldats

, 12:55

L'INA, comme bien d'autres éditeurs, profite de cette fin d'année pour présenter son coffret-cadeau : en cinq DVD et 16 heures de programmes, une anthologie de Cinq colonnes à la une. On aurait pu choisir de respecter le format de ce mensuel d'information programmé un vendredi par mois sur ce qui fut longtemps la seule chaîne de la gaullienne RTF, entre 1959 et 1968, et de proposer une sélection d'émissions originelles. A l'inverse, l'INA et Michèle Cotta ont privilégié une approche thématique et ethnocentrée, regroupant des reportages qui montrent la France et ce à quoi les journalistes veulent croire que les Français s'intéressent, la vie quotidienne, les loisirs, les idoles, mais aussi la guerre d'Algérie, et les Etats-Unis.
Si certains sujets, comme l'assez connu Quarante mille voisins où Pierre Tchernia s'immergea dans le grand ensemble de Sarcelles alors en fin de construction, gardent un intérêt documentaire, ce choix condamnable vire au pittoresque et passe presque totalement sous silence la dimension internationale de Cinq colonnes. Dans ce coffret, en fait, l'important, c'est le bonus ; là, on trouvera ce qui, quarante après sa réalisation, reste, et restera sans doute, l'alpha et l'omega du reportage de guerre : La section Anderson.

Pierre Schoendoerffer, l'ancien de l'Indo et de Diên-Biên-Phu, retourne sur place douze ans plus tard, accompagné de deux vieux routiers de la RTF, Dominique Merlin à l'image et Raymond Adam au son. Le film qu'il réalise sur cette guerre du Vietnam débute comme un reportage touristique, accumulant les poncifs, les rizières, les paysannes, les temples, et ces montagnes embrumées où l'on remarque à peine une petite tache qui avance dans un paysage tranquille, l'hélicoptère. Le regard qui, sans y prêter attention, suit cet objet incongru, arrive avec lui dans le camp d'une unité américaine, installée sur une colline, et dans la guerre. La guerre, avec un ennemi invisible, c'est d'abord des sons, les moteurs et les ordres, les canons de l'artillerie sur la crête, mais aussi l'office religieux qui se déroule à côté alors que, un peu plus loin, des soldats mécréants jouent aux dés.
Il serait sans doute assez injuste de comparer La section Anderson à un autre reportage de Cinq colonnes, celui que Michel Honorin a tourné un an plus tard à Khe Shan. Immobilisé dans un camp assiégé, sous le feu de l'artillerie ennemie, sa situation statique s'oppose radicalement à celle de Pierre Schoendoerffer, intégré à une unité qui progresse dans la jungle, lui qui cadre au plus serré, sur les visages, lui qui montre au plus près comment les choses arrivent, l'accident, l'ennemi furtif mais parfois visible, dans ses traces, cachette ou camp abandonné, avec les prisonniers, et les cadavres, la mort, l'escarmouche. Il n'empêche : là où Michel Honorin parle, dirige, commente, et réduit les images à des illustrations, Pierre Schoendoerffer se tait, et utilise les armes du cinéaste, cadres, plans, sons, montage. Ce n'est sans doute pas un hasard si, dans sa présentation, Pierre Desgraupes insiste sur le fait que le cinéaste est aussi un journaliste alors que, dans les faits, il est tout, sauf ça. La première vertu du film de Pierre Schoendoerffer est d'avoir réussi à s'affranchir des contraintes de Cinq colonnes, et de la RTF. Présenté, pour filer la métaphore avec la presse écrite, lors d'une édition spéciale, il profite du luxe de l'exception, la durée, le temps, la liberté de l'auteur.

On peut se demander ce qu'il en serait, aujourd'hui, de cette liberté. On a suffisamment parlé de ces journalistes incorporés dans les unités américaines lors des deux guerres du Golfe, priés d'enregistrer ce qu'on leur donne à voir, et de présenter leurs images à la censure. Pourtant, Pierre Schoendorffer aussi était incorporé dans une unité qui, commandée par ce lieutenant noir sorti de West Point et promis à une brillante carrière civile, n'a sûrement pas été choisie par lui, et encore moins par hasard. Mais on peut supposer que, une fois l'unité désignée, sa liberté à lui a été complète. Et il n'y avait pas là de naïveté de la part de la hiérachie militaire américaine. Engagée dans une guerre juste, défendant le mode de vie américain et la liberté des ancêtres contre le mal communiste, elle ne pouvait concevoir que les images du sacrifice de ses enfants au combat puissent avoir un effet négatif. C'était la deuxième chance de Pierre Schoendoerffer, celle de vivre à une époque où l'on n'avait pas encore honte de la réalité, où l'unité que l'on assignait au reporter allait au combat, au lieu de rester à l'arrière, comme cette compagnie logistique formée de réservistes pendant la seconde guerre du Golfe, dont le commandant réprimande comme des gamins désobéissants ses soldats perdus trop près du feu.

Cette liberté, pourtant, dont la plupart des journalistes d'aujourd'hui se contentent de déplorer la disparition avant de faire sans états d'âme un métier vide de sens, il fallait quand même oser la prendre, et la jouer, sans concessions, sans compromis, au coeur de l'action. If it's not good enough, you're not close enough. Plus près que La section Anderson, ça n'existe pas.

le Sénat sociologue

, 19:03

Les quelques modifications qu'il vient d'apporter au projet de loi relatif à l'immigration auront sans doute suffit à rappeler aux étourdis que le Sénat existe et n'a pas comme seule fonction de fournir une terre d'asile aux pré-retraités de la chose publique. C'est que le sénateur, cette forme placide et pacifique d'homme politique, qui jouit de la double sécurité d'un mandat long et d'une élection par des pairs, n'a aucun besoin de s'agiter devant les caméras du mercredi ou ses électeurs le dimanche ; il a donc le temps de réfléchir, et de lire ces rapports qui abandonnent bien souvent les complexes questions de cuisine législative pour constituer de remarquables documents de vulgarisation, d'autant plus précieux qu'ils sont gratuits.
On laissera à d'autres le soin de commenter le tout dernier thème abordé par l'institution, pour s'intéresser à un document à peine plus ancien mais qui traite d'un sujet négligé par les politiques bien que central pour les sociologues, les inégalités sociales dans l'accès aux grandes écoles. Inutile d'aller jusqu'à la page 78 du rapport pour comprendre que sa raison d'être ne tient pas tant à cette inégalité dont l'État s'est fort bien accommodé durant des décennies que, précisément, au fait que, à la suite du Sciences Po de Richard Descoings, de plus en plus de grandes écoles ouvrent, chacune à leur façon, des voies d'accès parallèles à leurs formations, afin justement de réduire ces inégalités, et d'ouvrir leurs portes à des lycéens pour qui, comme le montre bien le rapport, jusqu'à présent, malgré leurs résultats scolaires, et pour des raisons sociales, elles restaient closes. On sent bien, dans le long développement qui est consacré à ces initiatives, comme dans les propositions qui concluent le rapport, la tentation irrépressible du législateur de réguler un peu tout ça.

Le rapport donne par ailleurs quelques informations sur les systèmes étrangers, et la manière chaque fois particulière dont ils traitent la question des inégalités d'accès aux études supérieures, tout en regrettant que, sans doute occupés à la plage, les services culturels des ambassades d'Italie et d'Espagne n'aient pas répondu aux demandes du Sénat ; du coup, le rapporteur confesse qu'il "apprécie peu la désinvolture ainsi manifestée à l'égard de la représentation nationale". Mine de rien, le Sénat, c'est violent. On lit là d'intéressants développements sur la politique américaine "d'affirmative action", comme sur la réforme du financement des études universitaires britanniques, l'une comme l'autre bien éloignées de ces diabolisations commodes qui n'ont d'autre but que de conforter le système universitaire local et de justifier son coût invisible et sa sélection cachée.

Mais au bout du compte l'intérêt fondamental, tant dans ses analyses que dans ses propositions, de ce rapport tient dans la description d'un mécanisme que le rapporteur qualifie souvent "d'autocensure" et parfois, dans la lignée des Bourdieu et Passeron qui, plus de quarante ans après Les héritiers, ont l'insigne honneur de compter désormais au nombre des sources d'inspiration de la haute assemblée, d'autosélection. Ce mécanisme par lequel, alors même que l'institution scolaire, en attribuant une mention à leur baccalauréat, leur a délivré un passeport vers les classes préparatoires, les lycéens d'un niveau social modeste limitent leurs ambitions à des formations qu'ils jugent à leur portée, comme les IUT, parce qu'elles sont conformes aux attentes propres à leur milieu, se trouve longuement décrit dans le document, et illustré par un graphique spectaculaire en page 52.
La crainte justifiée de se retrouver au milieu d'étudiants qui n'appartiennent pas au même monde et savent parfaitement vous faire comprendre que vous n'appartiendrez jamais au leur, le risque auparavant significatif de ne pas pouvoir, en cas d'échec, recycler à l'université les enseignements suivis en classes préparatoires, la simple inégalité géographique d'accès à ces classes concentrées dans les zones denses et riches, le rôle des conseillers d'orientation qui déterminent l'avenir des lycéens en fonction de leur appartenance sociale, la difficulté même d'accéder à une information pertinente, dont l'importance stratégique fait qu'elle ne circule qu'entre des initiés qui la gardent pour eux, lesquels initiés se recrutent largement dans les rangs des enseignants eux-mêmes, sont autant de barrières que le rapport détaille de manière scrupuleuse. Loin des vieux mythes de l'école républicaine, le Sénat s'intéresse ainsi à la face cachée de la sélection par le mérite, celle qui attirait jusqu'à présent l'attention des sociologues, et beaucoup moins celle du législateur.

Tout un pan de la sociologie s'intéresse à la manière dont, par leur diffusion de plus en plus large, les travaux sociologiques peuvent avoir une influence sur cette société qui constitue leur sujet d'étude ; on avait même, dans les années 70, inventé l' sociologique, qui cherchait à recycler les études produites au profit de ces mouvements sociaux qu'ont étudiait. Alors, avec ce Sénat sociologue, voilà que s'ouvre brutalement un champ de théorisation et d'expérimentation aussi nouveau qu'inattendu.

A et B

, 16:50

Comment oublier Lidia et Giovanni, écrivait Emmanuel Hecht dans Les Echos du premier août ? La descente vertigineuse, le long du monte-charge qui servait à édifier la tour Pirelli, ce symbole toujours vaillant du capitalisme milanais, qui ouvre le film, la longue séquence qui le termine, au petit matin, au niveau du sol, au ras de l'herbe, où le couple se sépare, la bourgeoise égarée dans le faubourg ouvrier de Sesto San Giovanni et qui appelle à l'aide, comme une écervelée perdue en montagne dans ses escarpins, l'écrivain sans conviction auquel le succès critique offre une vie de mercenaire, et l'ami dans son lit d'hôpital et qui ne passera pas la nuit ?

La Nuit, où, comme en écho au bal de la princesse Presicce, jusqu'à l'épuisement, la nouvelle bourgeoisie industrielle, entre piscine et Alfa-Romeo, étale ses vanités, où le quartet de Giorgio Gaslini assure l'ambiance musicale, où l'opulence de la maison d'architecte, comme le palais du prince Salina, se mesure à ses innombrables pièces, où l'on se perd dans son dédale pour tomber sur la fille de la maison imaginant, solitaire, des jeux imbéciles.
Rien d'autre ne rapproche Ingmar Bergman et Michelangelo Antonioni, auxquels Le Monde rend pourtant, dans son édition du weekend, un hommage commun sous forme de portraits croisés, que leur décés simultanés. L'austérité protestante du suédois, plus metteur en scène que cinéaste, produisait des oeuvres qui, plus littéraires que vraiment visuelles, avaient de quoi combler les responsables de cinémathèques scolaires, et les programmeurs d'Arte qui ne sont jamais que leurs descendants, eux qui traînent toujours un soupçon d'une sorte d'impureté du cinéma, qui, à lui seul, ne serait pas suffisamment art, et qui aurait donc besoin d'être étayé d'un peu de littérature classique, de grande musique, ou de quoi que ce soit de plus légitime, pour satisfaire leur exigence de vertu. Michelangelo Antonioni, à l'inverse, n'était pas tant cinéaste par son usage incessant du silence, par son refus de l'image facile, que par l'extrême précison de ses cadres élaborés jusqu'au maniérisme, par son montage qui, notamment dans la Nuit, jouait en permanence avec le faux raccord, par la complexité formelle, et parfois technique comme avec ce dernier plan de Profession Reporter, tout à la fois intérieur et extérieur, de ses séquences, par, en somme, son recours absolument neuf aux immenses capacités expressives, machinerie comprise, du cinéma, et à elles seules.

Michelangelo Antonioni était très vieux ; gravement handicapé depuis l'attaque cérébrale dont il avait était victime en 1985, il gardait dans son mutisme le secret de ce cinéma italien raffiné comme chez Visconti, maniériste à la Zurlini, maîtrisé comme nul autre, et qui, à côté de l'ancienne tradition des comédies populaires, des engagements politiques forcenés, des francs-tireurs et des bouffons, dessinait un paysage d'une richesse désormais inaccessible.

l'ordinaire et l'absolu

, 17:45

La répétition se termine. Le chef de l'orchestre d'amateurs parle à ses musiciens. Il tente de leur faire comprendre que ce qu'ils font ici ne se limite pas à reproduire une partition en cherchant à éviter les fausses notes :

Mesdames, messieurs, je sens que ça commence à venir. De quoi est-il question dans ce morceau ? Qu'est-ce que le compositeur cherche à exprimer ? Il y est question de la jeunesse.
Qu'est-ce que c'est, la jeunesse ? La jeunesse, c'est cette page blanche que l'on doit remplir au risque de se tromper. La jeunesse, c'est refuser le vieillard que l'on porte en soi.

Il est tard ; les musiciens annoncent leur intention de rentrer cher eux.

(de mémoire, Jean-Claude Brialy dans Les innocents d'André Téchiné, 1987)

interruption momentanée

, 19:04

Le rodage de sa nouvelle monture fournissant le prétexte, et Nancy, située à la distance adéquate, la destination, ce carnet sort tout juste de quelques jours de sommeil. Dans un hôtel vide et neutre comme dans un film de Wim Wenders, avec une connexion WiFi payante qui, vu les tarifs pratiqués, doit fournir à l'opérateur des marges supérieures à 95 %, on se rend vite compte que, sans Web, on survit plutôt bien. Mais ça en valait la peine, la bécane procurant largement ce qu'on attendait d'elle, et Nancy, avec sa topographie originale, offrant l'occasion de quelques notes d'ethnographie urbaine accompagnées de profondes considérations architecturales.

L'histoire complexe d'une ville qui fut d'abord siège d'un pouvoir ducal, puis cour d'un roi de Pologne en exil avant, après la défaite de 1870, de se retrouver à la fois au coeur de la révolution industrielle et à proximité de la frontière avec l'Allemagne explique pourquoi, à Nancy, se côtoyent dans le plus grand contraste tant de strates non pas superposées, mais adjacentes. Côté nord, autour du palais des Duc de Lorraine, une vieille ville en ruelles tortueuses, côté sud une ville neuve strictement orthogonale, et entre les deux la place Stanislas qui fait soudure. A l'ouest de cet axe, passé le belvédère qui surmonte le bel immeuble de l'Est Républicain, on bute sur de gigantesques emprises ferroviaires, espace aussi vaste et contraignant que les voies de la gare d'Austerlitz, et qui sombre dans la plus totale anomie, entre gare routière, immense parking, tours imbéciles, postes d'aiguillage, bâtiments désaffectés comme l'immeuble du tri postal de Claude Prouvé et, plantée là à côté de la caserne des pompiers, une synagogue du XIXème. On change totalement de monde en quelques pas, de l'ordre bourgeois si rassurant du XIXème à la fureur technocratique des années 70. Au-delà de cet espace inhabitable, on trouve encore une autre ville, celle des XIXème et XXème siècles, avec l'essentiel d'un patrimoine Art Nouveau géographiquement très dispersé mais, aussi, plus modestement, quantité d'anonymes immeubles Art Déco édifiés autour de 1930.
Cumulant train, bus, et parking, le noeud de communications de la gare permet d'assister, le samedi, à un phénomène social spectaculaire : on a l'impression que tout le département, toute la région peut-être, débarque en direction de la profusion de commerces, de vêtements pour l'essentiel, que l'on trouve sur l'axe est-ouest, rue Saint Jean, rue Saint Georges, voies réservées à la circulation du tramway, et des piétons. Les badauds qui, par milliers, en rangs serrés, se retrouvent au centre ville donnent à penser que celui-ci joue ici un rôle ailleurs rempli par ces centres commerciaux périphériques, uniquement accessibles en voiture.

Naturellement, ce qui retient l'attention de l'amateur de modernité, ce n'est pas le piège à touristes de la place Stanislas et sa sévérité militaire, expression du pouvoir absolu tel qu'il se concevait encore au XVIIIème siècle mais, dans un genre diamétralement opposé, la remarquable richesse de la ville en matière d'Art Nouveau. Au tout début du XXème siècle, une bourgeoisie composée de médecins et d'ingénieurs, de professionals en somme, cumulant capital financier, social et intellectuel, a trouvé là un moyen de marquer sa distinction face à une bourgeoisie d'affaires plus conservatrice, et fourni leur clientèle aux Majorelle, Gallée et Daum. Le parc de Saurupt, l'Auteuil local en quelque sorte, à côté de vastes hôtels particuliers classiques, offre quelques monuments de l'Art Nouveau parmi lesquels, plutôt que le spectaculaire un peu vain de Lucien Weissenburger, on retiendra le travail moderne et original, moins porté sur la décoration que sur l'agencement de formes complexes en pierre, d'Emile André.
Henri Sauvage, bien connu des promeneurs parisiens, signe paradoxalement la plus exceptionnelle villa de la période, celle que Louis Majorelle fit édifier en 1901 pour son propre compte, à la fois démonstration, prototype et manifeste du mouvement. Elle est aussi exemplaire pas son destin, pusqu'elle abrita longtemps la DDE locale qui ne se priva pas de l'adapter à ses besoins, qu'elle sert aujourd'hui encore de bureaux au service départemental de l'architecture, qu'elle n'est pas encore restaurée, privée de l'essentiel de son mobilier et classée depuis à peine dix ans. La très jolie maison du docteur Spillmann de Lucien Weissenburger, toujours occupée par les services techniques municipaux, avec les dégradations usuelles, montre elle aussi le triste sort qui attend une architecture incomprise et passée de mode, réduite à sa fonction utilitaire, attendant, comme à Pessac les quartiers modernes Frugès, que quelques amateurs activistes, et quelques décideurs éclairés, viennent la réveiller.

à la fin tu es las de ce monde ancien

, 16:32

Il n'y a sans doute rien d'original à constater que, dans sa position numériquement inconfortable, le troisième homme d'une élection bipolaire chemine non pas sur une voie étroite, mais au milieu d'un boulevard. Car dans ce pays où deux blocs s'affrontent, et alternent aux affaires depuis vingt-cinq ans, systématiquement renvoyés dans l'opposition à chaque élection, sans oser, à l'intérieur du champ de tout façon réduit de l'action politique, autre chose que les changements les plus faciles, ceux qui se feront donc au détriment des plus vulnérables, l'outsider n'aura guère de difficultés à occuper une position originale. En l'espèce, François Bayrou a choisi de jouer les modestes.

Ainsi, rien de grandiloquent à Bercy : un dispositif simple, large scène où il viendra seul au pupitre, flanqué de part et d'autre d'une grappe de jeunes miltants, parterre occupé par quelques dizaines d'invités, séparés du reste du parquet par un praticable qui accueille, visiblement dans de bonnes conditions, les équipes de télévision. Au fond, l'écran ne servira guère qu'à projeter un court film de campagne. Et tout autour, les gradins du palais des sports remplis de sympathisants et autres militants, sans doute largement composés de catégories sociales moyennes qui proviennent plus des petites villes que des banlieues.
Rien de préremptoire dans un discours que, sans doute déshabitué des subtilités de la langue, le rédacteur de Libération interprète à contre-sens, mais, derrière la ficelle du pédagogue qui accroche son public en lui faisant chercher des rimes en ance, un art oratoire d'une désuète finesse, où Louis Aragon et Albert Camus fournissent les citations et Bronislaw Geremek l'anecdote, où l'on remercie ses amis en mentionnant à peine ses adversaires, où le monde enchanté et intemporel de l'école républicaine côtoie le facile symbole contemporain de la révolution orange.
Pourtant, au-delà de la maîtrise d'une forme littéraire, avec une manière un peu rapide, pour le président du parti qui, même si celui-ci le désavoue aujourd'hui, fut celui de Valéry Giscard d'Estaing, de se dédouaner des politiques passées en faisant comme si on n'y avait pas pris sa part, le fond se distingue fondamentalement du vain catalogue de promesses contradictoires encore en usage chez ses concurrents.

Fin d'un particularisme unique en Europe, le cumul des mandats pour les députés, parlement élu à la proportionnelle avec un seuil de 5 %, sur le modèle allemand, adaptation d'un small business act, calendrier précis pour, toujours à l'image de l'Allemagne, en finir avec le déficit budgétaire, renforcement des pouvoirs des institutions européennes, en particulier en matière de diplomatie et d'énergie, toutes ces mesures ont un seul but et une même inspiration : normaliser le fonctionnement du pays, en finir avec l'exception, et occuper la place d'un parti chrétien-démocrate, cette formation politique qui, avec son rival, et parfois son allié, social-démocrate, forme, dans bien des pays d'Europe, la base du fonctionnement politique. Devenir moderne, en somme, et accepter, humblement, démocratiquement, d'être comme les autres.
Entre les effets de manche de l'avocat-démagogue et les propos de l'ENArque présidente de région dont l'incohérence machinale du discours comme la monotonie mécanique du ton donnent à penser que ce type de robot se trouve encore en version alpha, et qu'il a été mis trop tôt sur le marché, l'agrégé de lettres François Bayrou tient modestement le langage de la raison. C'est pas si courant.

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