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energiewende

, 19:15

Le début d'année boursière solde les comptes de l'an passé, et rend les contre-performances d'autant plus visibles que les bilans, globalement, sont très positifs. Toujours englué dans les mêmes marécages, l'indice français des grandes capitalisations a malgré tout gagné 15,23 % sur l'année, alors que le DAX allemand, habitué aux vertiges des hauteurs, s'est apprécié de 29 %, et échoue à un jet de piolet de ses sommets de 8 000 points, déjà atteints en 2000 et en 2007. Mais la performance offerte par les grands producteurs européens d'énergie, engagés dans une course à l'abîme et auxquels Les Échos consacraient un dossier dans leur édition du 18 décembre, s'égrène à l'opposé comme un chemin de croix : le franco-belge GDF Suez, - 24,8 %, l'électricien national, toujours propriété à 85 % de l'État français, - 20,8 %, et - 82 % sur cinq ans. En Allemagne, si RWE reste positif sur l'année avec + 12,3 %, l'action perd quand même 67,3 % sur cinq ans, tandis que celle de son concurrent E.on baisse de 15,7 %. Et en Espagne, le cumul d'infortunes qui frappe Iberdrola tourne à la malédiction puisque, en plus des difficultés de son marché national, il doit faire face en Bolivie à la nationalisation de ses filiales locales, et commence à se vendre par départements.
Leur métier, qui consiste pour la plupart d'entre eux à produire avec des moyens extrêmement lourds un élément que ses propriétés physiques rendent insaisissable, ce qui contraint à le consommer au moment même où il est créé, et à le distribuer à partir de ces lieux de production rares et centralisés jusqu'au plus humble hameau perdu au fond des vallées, n'a déjà rien de simple. Il les met en particulier à la merci des vents contraires de la dépression économique, laquelle va réduire la demande alors qu'ils n'ont que peu de moyens d'adapter les coûts de leur offre, puisque les frais fixes de leurs lourdes centrales pèsent toujours du même poids. Ils doivent aussi composer avec des tarifs toujours largement fixés par la puissance publique, et bien en dessous de l'optimum. Ils doivent, enfin, encaisser les chocs du tournant énergétique, qui les oblige notamment à acheter à des prix qu'ils ne maîtrisent pas, et sont très supérieurs à ceux de leurs moyens propres, une production dont ils n'ont aucun besoin et qui conduit, en Allemagne, à l'apparition de ces merveilleux prix négatifs, les électriciens payant leurs clients pour les débarrasser d'une production qu'ils sont obligés d'acheter.

C'est que le fonctionnement du système repose en totalité sur l'ajustement permanent et instantané de l'offre à la demande, et se trouve donc constamment déséquilibré, de façon transitoire avec les variations quotidiennes et saisonnières de la demande, de façon structurelle lorsque l'on s'obstine à mettre en service de plus en plus de moyens de production dont on ne peut ni prévoir ni contrôler ce qu'ils produisent. L'inconséquence de la démarche devenant de plus en plus criante, le tournant énergétique, dont, en Allemagne, la Frankfurter Allgemeine Zeitung rend compte dans sa rubrique energiewende, résonne de plus en plus souvent comme une litanie du désenchantement. Pour ne citer qu'un exemple, le Schleswig-Holstein, comme son voisin danois, se couvre ainsi d'éoliennes, dont Marlies Uken montre bien pour Die Zeit à quel point elles entraînent de fantastiques effets d'aubaine. Pour acheminer cette énergie, le gouvernement fédéral prévoit de construire 2 800 km de lignes à haute tension dont, évidemment, personne, nulle part, ne veut dans son jardin.
En France, où la transition a du retard, on se contente pour l'heure de mettre en place les petits rouages d'une mécanique absurde, une sorte de pendant purement règlementaire aux machines de Rube Goldberg. Ainsi, le ministère nous a récemment gratifiés d'un immense moment comique, qui témoigne de l'inquiétude que suscitent les pointes de consommation saisonnières ; pour y remédier, il instaure un mécanisme dit de garantie de capacité, qui, en contraignant les fournisseurs d'électricité à garantir la sécurité de l'approvisionnement, les force à acheter les garanties en question auprès des producteurs de courant. Nulle part, bien sûr, on ne mentionne le fait que la production et la distribution sont assurées par les mêmes entités, lesquelles vont donc se garantir elle-mêmes. Dans un genre voisin, RTE pourra désormais, en cas de besoin, couper le courant des sites industriels gros consommateurs d'électricité, avec comme contrepartie un dédommagement financé par les consommateurs ordinaires.

La mesure, au demeurant, n'a rien d'absurde, et il est sans doute plus rationnel de compenser les pertes que subissent ainsi, de façon exceptionnelle, les industries, que d'entretenir à l'année des moyens de produire de l'électricité qui servent trop peu souvent pour être rentables. Le problème, naturellement, survient lorsque l'exception devient une habitude, lorsque, à force de s'obstiner dans la construction d'un système de production d'électricité déséquilibré par nature, on épuise les nécessairement faibles capacité de régulation. Le politique a pour raison essentielle d'imposer son pouvoir à la réalité ; pour ce faire, il ne dispose guère d'autre instrument que la règlementation. Tant qu'il s'agit de résoudre des questions sociales, et pour peu qu'il ne rencontre pas de vive opposition de la part de citoyen mobilisés, même en faible nombre, ce pouvoir suffit. Quand on aborde le domaine économique, celui où règne l'argent, ses possibilités d'action se réduisent d'autant plus que l'opposition n'a alors plus besoin de s'exprimer dans la rue, puisqu'elle dispose d'un bien plus vaste choix d'armes, la thésaurisation, l'exil, financier ou physique. Mais lorsqu'on met en place une politique qui vise à modifier les fondements physiques immuables sur lesquels l'univers s'est construit sans rien demander à personne, et encore moins au gouvernement, fondements qui impliquent par exemple qu'on ne peut stocker de l'électricité qu'en très faible quantité et en employant des moyens ruineux, le pouvoir n'a d'autre allié qu'un rideau d'ignorance bien ténu, qui peut se lever à chaque instant et de façon simple, lorsque l'on détaille sa facture d'électricité. Engagé dans cette transition énergétique d'autant plus dogmatique, aveugle aux réalités et sourde aux critiques, que, en France, rien ne la justifie, il ne pourra plus très longtemps compter sur le silence des citoyens, et la complaisance des journalistes. Comme l'écrit Andreas Mihm, toujours dans la FAZ, les objectifs environnementaux auraient pu être atteints sans cette politique, tandis que l'approvisionnement électrique est aujourd'hui plus cher, et moins sûr.

verdict

, 19:08

Les bonnes âmes qui se sont mobilisées pour les petites moscovites ne leur ont pas nécessairement rendu service. Un tel soutien ne pouvait en effet que confirmer les justifications d'un régime dominé par ses vieux réflexes soviétiques, et qui voit palpiter dans toute espèce d'opposition la main de l'étranger. Mais c'est bien là que se trouve l'intérêt de l'affaire ; elle met en œuvre des mécanismes routiniers, sans lien direct les uns avec les autres mais qui, tous ensemble, contribuent à une dramaturgie dans laquelle chacun joue un rôle déjà mille fois tenu, au point que la seule originalité du spectacle du pouvoir vienne d'un verdict qui permet aux vilaines filles d'échapper à la peine maximale. Car ni les entrepreneurs de causes ni les organes de répression ne sont sortis du cadre étroit dans lequel ils évoluent d'habitude.
Les soutiens, attendus, peu nombreux et souvent tardifs, n'ont guère débordé au delà du cercle des protestataires habituels, se sont contentés des ordinaires comptines et ont souvent dû, en France en particulier, faire sans les politiques, le fait que telle ministre se satisfasse d'un tweet pour solde de tout compte montrant à quel point l'intervention officielle était hors de question. Sans doute valait-il mieux, en effet, priver le pouvoir soviétique d'une occasion de dénoncer la pression étrangère sur une justice par définition indépendante et impartiale ; mais l'honnêteté, alors, commandait de rester silencieux.
La répression, quand à elle, se contente de l'exécution mécanique d'une partition datant de l'ancien monde, qui remet en scène ce terme si marqué de hooliganisme, tout droit sorti de l'époque où les républiques populaires réprimaient les débordements de la jeunesse en les transformant en attentats contre le socialisme. Le socialisme a disparu et l'église orthodoxe ne l'a pas remplacé, mais la méthode sert encore, stigmatisant les mauvais sujets qui osent s'en prendre à ce que le bon peuple a de plus précieux, le sacré, le sauveur, qu'il s'agisse de la foi, ou d'un homme fort qui investit énormément dans tout ce qui peut conforter son image virile et sera donc particulièrement peu enclin à supporter d'être ridiculisé par des gamines insolentes.

Ce qui surprend, en fait, et vient bousculer le déroulement des affaires de cet ordre, c'est le courage des inculpées. Les vandales d'occasion filmés par Juris Podnieks agissent sans conscience, et dans l'ignorance des risques ; une fois arrêtés, et dépossédés de leur destin, il ne leur reste qu'à espérer la clémence du juge, donc à faire amende honorable. Pussy Riot, à l'opposé, ce collectif intellectuel descendant de la dissidence de l'ère soviétique, mène ses actions politiques en pleine conscience de leurs conséquences, et, défiant le pouvoir et sa justice, persiste dans l'insoumission.
Tout cela, évidemment, rappelle le formidable Music partisans de Miroslaw Dembinski. Dans la Biélorussie d'Alexandre Loukachenko où, comme durant les années 1960, le rock est forcément et politique et subversif, le documentariste suit le périple chaotique de deux générations de rockers et de la petite bande qui les accompagne. La toute jeune Svieta Songako et son groupe Tarpach en est encore à l'heure de l'indignation, et des défis qui, là aussi, passent par la prison. Plus âgés, Lavon Volski et Pit Paulau, les duettistes de NRM, préfèrent jouer aux vieux sages sentencieux, adoptant la posture sarcastique du cynique. Leur quotidien se déroule sur fond de pressions policières constantes, de concerts annulés, de vagabondages, et de ce jeu perpétuel où la souris doit se montrer bien plus habile que le chat.

Inculpées et condamnées pour avoir dérangé cet ordre moral imposé par une église qui complète idéalement l'autoritarisme poutinien, les filles de Pussy Riot viennent, à leur corps défendant, de trouver leur place dans la longue liste de cette dissidence propre à ce qui fut le bloc de l'Est, où elles se retrouvent en excellente compagnie. Leur action a valeur de test, et montre combien la Russie, la Biélorussie, et tant d'autres anciennes républiques soviétiques, n'ont toujours pas changé d'époque, et subissent un pouvoir acharné à réprimer le moindre débordement. Avec leurs masques de fortune, ces cagoules découpées dans des bas multicolores, elles ont aussi à la fois inventé un objet authentiquement punk, et doté la dissidence d'un symbole autrement plus éclatant que ce pitoyable masque de Guy Fawkes issu d'un imaginaire commercial et qui recouvre le visage de ces anonymes qui se payent de mots sans risquer grand chose. Punk can never die, et la jeunesse rebelle non plus.

première

, 19:28

La structure des rapports de force politiques étant maintenant établie et fixée pour les cinq années à venir, on attendait avec impatience que se manifestent les premières incarnations de l'alliance asymétrique entre le Parti Socialiste et EELV. Car l'échec électoral d'écologistes plus que jamais soumis au bon vouloir de plus puissants qu'eux pour obtenir des places au parlement comme au gouvernement, et privés de toute capacité de nuire, rend d'autant plus instructif l'analyse des quelques occasions de briller en société que leur procureront leurs alliés : disposeront-ils d'un peu de poids et de quelques libertés, ou devront-il se contenter du service minimum ? Et s'ils abusent d'une liberté très surveillée, conserveront-ils la bienveillance de leurs patrons ? Une première réponse vient d'être apportée au Sénat, avec un rapport consacré à un thème central pour les écologistes, la production d'énergie, rapport qui présente la particularité d'être le fruit du travail d'une commission présidée par un cacique de l'UMP, mais dont le rapporteur appartient au groupe écologiste. D'un point de vue technique, son contenu déçoit assez vite. Car le Sénat, grâce en particulier au remarquable travail des parlementaires de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, nous avait habitué à des synthèses d'une excellente qualité scientifique. Pourtant, rien de tel ici puisque le sénateur-rapporteur EELV, s'il représente socialement, puisque cet animateur socio-culturel s'est illustré au sein de mouvements de chômeurs, comme politiquement, avec son appartenance ancienne à la Ligue Communiste Révolutionnaire, une trajectoire typique des Verts, ne dispose a priori d'aucune qualification pour traiter du sujet dont il est question.
Mais, on le comprend vite, il n'y a rien de technique dans tout cela. Il s'agit, pour reprendre son intitulé merveilleusement significatif, du rapport d'une commission d'enquête dont l'objectif est de déterminer les "coûts réels" de l'électricité, commission qui statue avec un objectif : répartir les coûts en question entre les différents agents économiques. En d'autres termes, on ne prend même pas la peine de camoufler un peu ni le but, ni la méthode. Comme toute commission de ce type, elle va dresser un acte d'accusation, celui d'EDF, avec son parc électronucléaire et son réseau de distribution unidirectionnel et centralisé, ces ennemis historiques sans lesquels le mouvement écologiste ne serait ce qu'il est, accusé coupable de produire massivement une électricité scandaleuse, puisqu'à la fois peu chère et non émettrice de CO2. Pour avoir sa peau, la méthode est simple, et en usage depuis bien longtemps : surcharger sa péniche jusqu'à la faire couler, tout en faisant perdre autant de poids que possible aux gracieux esquifs de l'énergie verte.

Et pourtant, ça commence mal : impossible de ne pas constater que, à la seule exception de la Grèce, la France propose, avec un prix de l'ordre de 130 euros, le MWh le moins cher de l'UE à 15 ; à l'autre extrémité du spectre, on trouve le Danemark, à 275 euros, et l'Allemagne, à 245. La rhétorique qui permet d'annuler par petites touches cet incontestable avantage procuré par le parc électronucléaire d'EDF possède une indéniable beauté. L'argument choc, un brin paradoxal, vient en première ligne : pour le consommateur ordinaire, cette électricité bon marché coûte en fait fort cher, puisque sa facture compte parmi les plus élevées d'Europe. C'est que, incité qu'il par le démoniaque EDF qui profite de son monopole pour imposer ce chauffage électrique avec lequel il rentabilise son parc de centrales, le particulier consomme beaucoup. L'argument n'est pas dénué de validité, le kw bon marché n'entraînant pas la meilleure des incitations à isoler correctement son doux foyer, encore que. Mais il oublie un peu vite que ce kw gaspillé par effet Joule représente autant de calories économisées, calories d'origine le plus souvent fossile puisque produites par du gaz naturel. Un tableau succinct recensant l'ensemble des consommations énergétiques de quelques pays européens se montre ainsi beaucoup plus favorable au cas français, étant entendu que la Grèce, l'Italie ou l'Espagne disposent, en matière de températures hivernales, d'avantages comparatifs dont se trouve dépourvue l'Europe du nord. Mais la cargaison étant réservée, il ne reste plus, ensuite, qu'à remplir les soutes.
Appuyée sur un rapport de la Cour des comptes, la manœuvre s'effectue sans difficulté, le rapporteur faisant feu de tout combustible : les dépenses de recherche, l'activité du CEA, l'entretien des centrales, la gestion de déchets et même l'assurance à souscrire contre un hypothétique accident majeur ou le coût de l'EPR, alors même qu'aucun réacteur de ce type n'est encore entré en service, tout est bon pour surcharger de coûts l'électronucléaire. Pas un mot sur les recettes commerciales, à l'exportation en particulier, de la filière, et encore moins sur les mégatonnes d'émissions évitées de ce gaz qui reste le grand absent du rapport, le CO2 : les externalités de l'électronucléaire ne sauraient être que négatives.

Les énergies alternatives, comme on pouvait s'y attendre, seront l'objet d'un traitement inverse, même s'il convient de nuancer cette affirmation, le coût du kw photovoltaïque interdisant au plus convaincu des écolos d'accorder sa considération à ce qui reste essentiellement un merveilleux aspirateur à subventions. Pourtant, cette évidence ne semble pas avoir été comprise par tous. L'avenir, le rapporteur en est convaincu, sera totalement débarrassé du nucléaire, grâce aux économies d'énergie, et grâce à l'éolien : les inconvénients rédhibitoires de cette filière cèdent sans difficulté face à son enthousiasme, puisqu'il voit le problème de l'intermittence résolu grâce au mirage de l'hydrogène, grâce aussi aux interconnexions de lignes à très haute tension qui permettent déjà aux éoliennes danoises d'alimenter les turbines hydrauliques suisses, grâce, enfin, à la smart grid qui mettra fin au monopole hiérarchique du réseau EDF et permettra à chacun de produire autant que de consommer. Le fait, évidemment, de faire référence à des techniques purement expérimentales, ou d'oublier fort opportunément de quel camp viennent les opposants déterminés au déploiement de lignes à haute tension ne saurait contrarier son optimisme.

Somme toute, l'exercice se révèle concluant. Loin de toute neutralité, le rapporteur se comporte bien en militant, au point de voir ses conclusions attaquées par ses pairs. Le contraire aurait surpris puisque, par exemple, une bonne part de son inspiration, et nombre de données, proviennent de Global Chance, qui, hors annexes, bénéficie dans le rapport de vingt-deux citations là où, pour mentionner un intervenant de statut similaire et d'opinion opposée, Jean-Marc Jancovici n'a droit qu'à deux. Et on connaît mieux que cette boutique farouchement anti-nucléaire, et enracinée dans ce mouvement dès l'origine, en matière de référence axiologiquement neutre pour la haute assemblée. Aussi l'intérêt du rapport réside-t-il, pour l'essentiel, dans l'intervention à la page 298 du groupe écologiste qui, sûr de sa force, expose sans nuance une vision de l'avenir toute d'autorité et de certitude, qui donne l'impression que les Verts nous cachent, dans on ne sait quel sombre recoin, une machine à voyager dans le temps grâce à laquelle ils peuvent décrire avec précision et assurance ce que sera nécessairement le monde dans cinquante ans. À défaut, il faudrait conclure que leurs propos, exposés avec un aplomb dans le travestissement seulement égalé par le PCF à sa grande époque brejnevo-marchaisienne, avec cette théorisation d'un homme nouveau, le "consomm'acteur", et d'une société "responsable et solidaire", ne peuvent que s'appuyer sur une forte volonté de contraindre, et de punir les récalcitrants, et résonnent ainsi de l'inquiétante musique de l'embrigadement des masses.

séparation

, 19:38

Fièrement plantée à l'entrée de la place de la Castille, à Madrid, dans l'une des tours jumelles de la puerta de Europa, œuvre tardive de l'assez peu regretté Philip Johnson, Bankia, malgré son nom et sa situation, n'a rien d'une banque. Par la taille, il s'agit pourtant de la quatrième entité financière espagnole. Par l'ancienneté, à côté d'institutions vénérables telles BBVA et Santander, elle fait figure de gamine, puisqu'elle existe seulement depuis juin 2010. Bien sûr, en cette époque de crise, sa création ne doit rien à l'expansion d'une économie en pleine croissance, ni à la conquête de nouveaux marchés en devenir, seraient-ils numériques : conglomérat rassemblant quelques-unes de ces caisses d'épargnes régionales qui font la fierté des indigènes, au point que la plus célèbre d'entre elles n'éprouve aucun besoin de se dénommer autrement que la Caixa, Bankia tient plutôt de la colonie de canards boiteux. Fort bien exposée par la correspondante des Échos, sa triste et courte histoire montre le rôle déterminant que les politiques, et la règlementation, c'est à dire, en somme, l'absence d'autonomie de décision des dirigeants, jouent dans la crise bancaire. En l'espèce, le regroupement sur la base de préférences politiques d'établissements lourdement endettés passe par un montage qui va créer d'un côté une bad bank, BFA, et de l'autre un établissement classique, Bankia, contrainte à faire son entrée en bourse. Les trois pauvres milliards d'euros levés à l'occasion ne feront pas longtemps illusion et, en mai dernier, en convertissant en actions une partie de sa dette, l'État espagnol, qui détient désormais 45 % du capital, nationalise de fait Bankia.

La morale de l'histoire démontre une fois plus à quel point, partout en Europe, les frustes paysannes du crédit coopératif n'en finissent pas de payer leur rêve de s'être voulues princesses. Mais le cas Bankia recèle une énigme : comment une entreprise aussi mal née et au destin aussi tragique que prévisible peut-elle réussir à se financer par une entrée en bourse ? Un papier d'ambiance de l'AFP réalisé à l'occasion de la récente assemblée générale des actionnaires de l'entreprise apporte une réponse. On y déroule toute la litanie du petit porteur floué, les économies d'une vie englouties dans une action qui, malgré la décote initiale de 60 % qui a accompagné son introduction en bourse, a trouvé moyen de perdre près de 80 % de sa valeur en moins de deux ans, les vitupérations, les insultes, les casseroles, toutes ces biens maigres façons symboliques de compenser ses pertes. Et le spectacle auquel on assiste ainsi apporte d'autant plus d'enseignements qu'on la déjà vu jouer, deux ans plus tôt, dans les mêmes conditions et de la même manière, mais avec des acteurs différents. Car l'affaire Bankia ressemble comme deux caisses de crédit mutuel au scandale Natixis, cette banque d'affaires filiale commune de la Caisse d’Épargne et des Banques Populaires, introduite en bourse en 2006 et financée par les clients des maisons-mères, qui a elle aussi connu un parcours boursier dévastateur qui lui a fait perdre l'essentiel de sa capitalisation, tout en ouvrant le bal des petits actionnaires ruinés.

On le sait depuis longtemps, les imbéciles, tôt ou tard, sont séparés de leur argent. Mais l'imbécilité existe sous des formes diverses. Dans sa célèbre analyse, John Kenneth Galbraith visait son incarnation professionnelle, sur le long terme, dans des gros volumes. Il décrivait la trajectoire des spéculations excessives, des risques pris par ceux qui espèrent, disait Warren Buffet, quitter le bal tout juste avant minuit en dépit du fait qu'ils regardent l'heure sur une pendule dépourvue d'aiguilles. On a plutôt affaire ici à une micro-imbécilité, celle du petit épargnant ignorant et surtout désireux de ne rien apprendre, poussé malgré tout par l'appât du gain et facilement convaincu que l'affaire qu'on lui propose ne présente aucun risque. Mais ignorer qu'en achetant du Natixis, on investit dans le segment le plus dangereux de l'activité financière, ignorer, plus encore, que la consolidation forcée et aléatoire de caisses régionales dramatiquement endettées augure assez mal des capacités de survie de la nouvelle entité, pose un problème particulier. Quel démon pervers pousse ces individus caractérisés par leur phobie du risque et leur peur panique de la bourse à investir, et investir parfois des montants déraisonnables, précisément dans les valeurs les plus dangereuses de la cote ?
Les manœuvres des agents de Natixis comme de Bankia, intéressés au placement de la plus grande quantité d'actions possible tout en évitant de prendre en compte la situation comme les besoins de leurs clients, les pressions, les silences, les tromperies, les mensonges, ont certes perdu une partie de leurs malheureux actionnaires. Mais la responsabilité essentielle est à porter, de façon à peine paradoxale, au compte de la prudence de ces investisseurs malgré eux. La caisse locale de crédit mutuel, cette institution qui passe son temps à seriner qu'elle n'est pas une banque comme les autres, construit son capital symbolique dans cette relation villageoise avec son client. Le banquier, le notaire, le pharmacien, tous ces conseillers intimes d'une traditionnelle économie de la proximité qu'on se plait à imaginer compétents et désintéressés ne peuvent avoir d'autre objectif que de répondre de la meilleure façon possible aux besoins de leurs concitoyens. Par leurs conseils, ils permettent à ceux-ci des économies d'apprentissage, ils leurs offrent cette si agréable simplification du monde qui se paye d'une totale dépendance. En leur sous-traitant sa capacité de décision, en se reposant sur le doux édredon de la confiance, on se place à la merci du grand monde et de ses prédateurs. Et quand la catastrophe est arrivée, on peut encore exercer ces recours qui permettent de désigner un autre coupable et de se penser seulement comme victime, quand bien même ils n'offrent aucune possibilité de récupérer son argent. Et c'est aussi une excellente façon de ne pas s'instruire de ses erreurs.

équilibres

, 19:36

Revenir au pouvoir après une aussi longue absence entraîne nécessairement quelques petits problèmes d'organisation, et composer un gouvernement avec un parti réputé pour son indiscipline, puisque le vainqueur de la primaire a dû, en plus d'un radical, affronter quatre de ses membres, n'est pas une mince affaire. Le réseau des contraintes se montre ainsi aussi dense que varié : il faut autant de femmes que d'hommes et une petite quantité d'anciens, des représentants de toutes les régions y compris outre mer, et de toutes les tendances sans oublier de réserver quelques places aux alliés verts et radicaux. Il faut aussi, en raison de la gravité de l'heure et de l'urgence de l'action, nommer de bons spécialistes au bon endroit tout en évitant l'écueil des gouvernements de technocrates réputés, à l'image de celui de Mario Monti, peu sensibles aux effets de la volonté populaire. Pourtant, en très peu de temps, le contrat a été tenu, en abusant du seul de gré de liberté disponible : avec trente quatre ministres, on se bouscule sur les marches de l'Élysée pour la photo de famille. Et même si ce gouvernement ne durera pas plus d'un mois, l'attrait de la spéculation gratuite est bien trop fort pour y résister. Au moins se contentera-t-on de commenter les domaines habituels, l'économie, la recherche, les transports, l'écologie.

En charge des Transports en général et de la Mer en particulier, on trouve un boulonnais, Frédéric Cuvillier, député-maire de Boulogne sur Mer, docteur en sciences politiques et juridiques avec une thèse consacrée à la moralisation des financements politiques depuis 1988 et maître de conférences en droit public à l'université du Littoral. En haut de sa pile personnelle de dossiers urgents, la SNCM : pas de délai avant de se jeter à l'eau. Sa tutelle, le Développement Durable, échappe aux Verts pour se voir confiée à Nicole Bricq, sénatrice plutôt spécialiste de finances publiques. Cécile Duflot atterrit donc ailleurs, le Logement lui offrant un lot de consolation qu'un écologiste ne saurait refuser, l'amélioration des performances énergétiques des bâtiments publics comme des logements figurant en tête du programme de son parti. Du moins son pouvoir de nuisance sera-t-il ici réduit à consolider la fortune précaire des installateurs de panneaux photovoltaïques. Avec comme seul appui un député européen, journaliste à Alternatives Économiques et en charge du Développement, elle risque de se sentir un peu seule, et sévèrement gardée.
Un des moments remarqués de la première journée présidentielle de François Hollande a en effet été cet hommage rendue à la science dure, en la personne de Marie Curie, cette sorte d'ancêtre du lobby nucléaire. Confier l'Enseignement Supérieur et la Recherche à Geneviève Fioraso relève d'une démarche similaire. Si l'élue de la silicon valley grenobloise n'a pas de passé universitaire, elle préside Minatec Entreprises, société d'économie mixte liée à Minatec, un projet qui, comme le confirme chez Authueil un observateur averti, regorge de ces termes qui donnent des boutons aux verts, CEA, Leti, nanotechnologies. Dans la foulée, on regrettera, évidemment, le consternant manque de sportivité auquel on doit l'absence de cette figure de la technocratie de gauche, qui possédait pourtant toutes les qualités nécessaires pour entrer au gouvernement, Anne Lauvergeon. Atomic Anne, sans nul doute, aurait à elle seule permis à l'ensemble d'atteindre la masse critique ; espérons qu'elle trouvera bientôt un poste à la mesure de ses capacités comme de ses ambitions. Le fauteuil bientôt vacant d'Henri Proglio, prototype de la compromission avec l'ancien pouvoir, à la tête d'EDF lui conviendrait sûrement.

Reste a s'attaquer au plus gros morceau, la pieuvre de Bercy, plus envahissante que jamais avec ses deux têtes et ses quatre tentacules ; si vaste que soit le domaine et ses dépendances, on se demande comment il pourra commodément loger autant de ministres. Les défis à relever, il est vrai, sont aussi variés que complexes, et égayeront en priorité les nuits blanches du ministre du grand retour de l'industrie. Tout récemment, Les Echos publiaient un état des surcapacités de la production automobile européenne qui, une fois de plus, coupait le continent en deux. En Allemagne, les usines de Vokswagen et BMW tournent à 90 % de leur capacité ; ailleurs, le taux varie de 76 % pour Renault à 65 % pour Fiat. Il appartiendra donc au gouvernement de dire comment il compte assurer cette transition écologiste qu'il revendique, laquelle implique notamment de réduire la place de l'automobile dans la cité, sans mettre en danger l'emploi. On sait qu'il dispose pour cela d'une arme absolue, la stigmatisation de ces plans sociaux qu'on annonce dans la grande distribution, les banques ou l'automobile, et qui n'auraient d'autre objectif que d'assouvir la rapacité des actionnaires. Pourtant, si l'on y regarde d'un peu plus près, on constate que l'action Carrefour, depuis le début de l'année, a perdu 21,6 % de sa valeur, et 74,4 % sur cinq ans. Pour la BNP, les chiffres sont respectivement de -13,6 % et -71,6 %, pour le Crédit Agricole, de -31 % et de -90 %, et pour Peugeot, de -32,7 % et de -86,7 %. Avec +14,1 %, le titre Renault se trouve seul en territoire positif depuis le premier janvier : mais sur cinq ans, il perd quand même 70,8 %. Pour réussir à vendre l'histoire des licenciements boursiers dans de telles conditions, il va falloir énormément d'aplomb, un culot monstre, et un ego d'exception : nul doute, alors, qu'Arnaud Montebourg soit bien l'homme de la situation.
Le problème, de toute façon, n'est pas de produire, mais de vendre. Toujours sur Les Echos, un article récent dévoilait une statistique significative, l'évolution, relevée par l'INSEE, du taux de marge des entreprises depuis 1985. Celui-ci, dévasté par les mesures du premier gouvernement socialiste de 1981 avait ensuite, après les réformes de Pierre Bérégovoy et à la grande fureur des journalistes d'Alternatives Économiques, rebondi pour se stabiliser à un niveau normal, entre 30 et 32 %. Son récent effondrement traduit bien l'impossibilité que rencontrent globalement les entreprises françaises à imposer leurs prix, et donc à vendre leur production à un niveau rémunérateur, et, en conséquence, à investir, et à embaucher. Une situation critique alors même que la nouvelle législature n'a pas commencé permet au moins de nourrir l'espoir que les erreurs de 1981 ne seront pas reproduites. Avec les écolos dans des placards, l'hommage rendu à la science lors de l'investiture, Minatec à l'enseignement supérieur, l'intérêt affiché pour les PME et leur développement, on a presque l'impression d'avoir affaire à un gouvernement qui a compris où il fallait agir. Certainement, c'est une erreur.

chavistes

, 19:36

Même si la guerre fut précédée de longues manœuvres d'intimidation, dont témoigne la baisse continue de l'action Repsol, l'assaut final lancé par Cristina Kirchner contre la filiale argentine du pétrolier espagnol a été bref, et sanglant. Voilà seulement quarante-huit heures, la présidente annonçait sa volonté de prendre le contrôle de YPF, la compagnie pétrolière locale, en expropriant sa grande sœur espagnole, propriétaire de 57,4 % du capital. Et aujourd'hui même, si l'on en croit Les Echos, l'administration argentine, emmenée par son ministre de la Planification, s'est installée dans les fauteuils des dirigeants de l'entreprise, expulsés avant même que le parlement n'ait pour la forme entériné le fait accompli. C'est que l'Argentine, comme le rappelle rfi, n'en est pas, en l'espèce, à son coup d'essai. Le pays, encore interdit d'accès au marché international de la dette depuis son défaut de 2001, semble toujours fort peu soucieux de restaurer sa réputation ternie, et ne craint, à l'inverse, ni de mécontenter une quantité considérable de puissances étrangères, l'Europe faisant front commun derrière l'Espagne, ni même de faire preuve de la plus confondante mesquinerie, se contentant de prélever sur la chair de Repsol ces 51 % du capital qui lui donneront les pleins pouvoirs sur ce qui fut sa filiale.
Mais voir ici, à l'instar des Echos, les effets de ce nationalisme pétrolier dont le quotidien rappelle les précédentes éruptions, celle de 2003 en particulier lorsque Hugo Chavez nationalisa les pétroles vénézuéliens, licenciant au passage quelques milliers de salariés opposés à sa décision, revient sans doute à commettre une erreur d'analyse. Le Venezuela, qui possède peut-être aujourd'hui les réserves les plus prometteuses de la planète, agissait alors en tant qu'exportateur, désireux, comme bien d'autres, de capter la plus grande partie de la plus-value tirée de son sol. L'Argentine, dont, selon la bible du secteur, les réserves sont cent fois plus maigres, n'a d'autre objectif qu'intérieur, et politique. Ce qui incite à s'interroger un peu sur le destin de cette matière première dont on ne cesse de proclamer la fin prochaine mais qui, en attendant, joue un peu, pour les populistes, le rôle qui était autrefois celui du pain dans l'empire romain.

En Argentine, le reproche fait à Repsol tient dans l'insuffisance de ses investissements, qui, malgré les promesses toujours enfouies dans la roche-mère, ne lui ont pas permis d'accroître une production qui, globalement, ne cesse de baisser, passant de 819 000 barils journaliers en 2000 à 651 000 dix ans plus tard. Impossible, dans ces conditions, d'amortir la hausse des carburants, ni de réfréner le mécontentement populaire qui l'accompagne : le coup d'éclat de la nationalisation offre alors une victoire symbolique, laquelle sera d'autant plus éclatante que la rémunération du propriétaire exproprié le sera, elle aussi. Mais d'autres stratégies populistes sont possibles. Ainsi, au Brésil, géant en devenir dont, à l'inverse de son voisin du sud, les ressources ne cessent de croître, et sont majoritairement exploitées par le champion local, national, et de plus en plus mondial, Petrobras, on agit différemment, en livrant à la vindicte populaire l'agneau sacrificiel qu'elle préfère, une multinationale pétrolière américaine, En l'espèce, le couteau est tombé sur Chevron, condamné à de vertigineuses amendes pour deux fuites de brut, la seconde représentant un volume total de deux barils, soit ce que le pays extrait de son sous-sol en huit centièmes de secondes. Greenpeace ayant, à l'occasion d'une de ces saynètes qui ont assuré sa réputation, répandu sur le sol brésilien une quantité identique d'hydrocarbures, on attend que, par pur souci d'équité, la multinationale écologiste soit condamnée à la même peine.
Et comme le pétrole, le chavisme s'exporte fort bien hors de son continent d'origine. Vivre sur un sous-sol dépourvu d'hydrocarbures, ou faire comme si, n'interdit pas de faire appel aux mêmes mécanismes. Rien de très banal que de voir le correspondant local du chavisme essayer d'adapter la recette, en appelant à nationaliser le YPF d'ici, Total. Mais que le représentant de la gauche sérieuse réclame une intervention autoritaire sur le coût des carburants surprend plus, et nourrit quelques réflexions.

Il est caractéristique du clientélisme de proposer, non pas un programme, mais un catalogue, et un catalogue qui s'efforce de satisfaire tous les consommateurs potentiels en donnant un peu à chacun, mais qui, contraint par la pénurie de ressources, doit se contenter aujourd'hui de mesures étroites, en petit nombre, de faible durée, et dont l'objectif principal se limite à démontrer sa bonne volonté. On tenait pourtant là une excellente occasion de faire autre chose. La forte hausse de la demande mondiale pour une matière première dont les réserves n'augmentent pas au même rythme et dont la commercialisation, à l'inverse du gaz, ne connaît pas d'obstacle particulier, ne peut se résoudre autrement que par une hausse de son prix, laquelle constitue à son tour la meilleure des incitations à consommer moins. La force de cette réalité s'impose même aux producteurs, l'Indonésie, le Nigeria, contraints, comme d'autres, à abandonner leurs politiques clientélistes de subvention. Quelle meilleur occasion de promouvoir une politique de sobriété réaliste et responsable qui passe, par exemple, par une préférence pour les véhicules économes, les deux-roues motorisés légers en particulier ?
À la place, l'homme politique, ce provincial délaissé au bal des célibataires de la mondialisation, accroché au terroir de ses électeurs, laisse éclater sa rancœur contre ces chefs d'entreprise, camarades de promotion qui ont longtemps partagé avec lui un horizon national et souvent public, et que le basculement du monde a conduit à s'émanciper et de sa tutelle, et du territoire sur lequel s'exerce seul son pouvoir. Puisqu'on refuse d'avouer qu'on ne peut rien, pas même agir politiquement sur un produit dérivé assis sur la dette française, ne reste que la menace, la mise en demeure et, bientôt, la réprimande contre ceux qui n'ont rien fait, le soupçon, la dénonciation du complot étranger, attitudes qui ne montrent rien d'autre que de l'infantilisme. Pourtant, l'arme absolue contre la spéculation existe, et n'a rien de réglementaire : il suffit de maîtriser sa dette, faisant ainsi en sorte que ceux qui parient sur une hausse des taux en soient pour leurs frais. Même si certains espoirs, trop vifs, risquent d'être déçus, la difficile mise en œuvre d'une politique que gesticulation et effets de manche n'appuient en rien se traduira aussi dans les prix, et dans les taux. Le spectacle du 7 mai dans les couloirs, et sur les écrans, de France Trésor risque d'être intéressant.

surtaxe

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Les hommes politiques se trouvent parfois contraints d'affronter des adversaires aussi imprévisibles que redoutables, à même de bousculer les plans de campagne les mieux établis, et le général hiver est de ceux-là. Monopolisant sans répit les unes de la presse quotidienne, s'appropriant une part majoritaire des journaux télévisés, la puissante offensive qu'il a soudainement lancée voilà dix jours défie toute résistance, et recouvre d'un blanc manteau de silence les dernières innovations législatives du quinquennat. Rien à son sujet dans les quotidiens généralistes, ni à la télévision ; une dépêche fourre-tout chez Reuters, et un sec communiqué à Matignon : expédiée en quelques lignes, réduite à un acronyme de trois lettres, englobée dans l'enveloppe de la loi de finances, une mesure pourtant longtemps vantée comme aussi courageuse que révolutionnaire serait passée totalement inaperçue sans la vigilance intéressée de la presse spécialisée, Les Échos, ou la Tribune. De la TTF, la taxe sur les transactions financières, on pouvait difficilement attendre une entrée en scène plus discrète ; et quand bien même celle-ci laisse présager une existence aussi courte que fantomatique, ce dispositif à tiroirs mérite qu'une bonne âme lui accorde un peu d'attention.

Reflet sans doute d'arbitrages délicats et de nuits blanches à Bercy, le projet semble au premier abord incohérent, puisqu'il se décline en trois mesures distinctes, sans aucun rapport l'une avec l'autre, et qui visent chacune une activité particulière : les achats d'actions, le trading à haute fréquente et les CDS nus. Tout le monde, en principe, comprend ce dont il est question en premier lieu et, de fait, on ne retrouverait là rien d'autre qu'un classique impôt de bourse, qui a existé et existe ailleurs, s'il n'était assorti de modalités pour le moins étranges. Ce n'est pas tant son montant, 0,1 %, qui étonne, que les restrictions qui lui sont associées : seules sont concernées les actions d'entreprises de nationalité française, et dont la capitalisation boursière au premier janvier dépassait le milliard d'euros. La liste des malheureuses élues sera donc courte, et ne comprendra même pas toutes les entreprises de l'indice CAC 40, puisque les néerlandaises ST Microelectronics ou EADS y échapperont. On dirait volontiers que le pouvoir apprécie énormément de toujours taper sur les mêmes si le seuil choisi ne conduisait pas à intégrer en plus un bon morceau du SBF120. Le trading haute fréquence désigne quant à lui une détestable habitude, qui a pris une importance significative au cours des dernières années, laquelle consiste à faire travailler algorithmes et robots appuyés sur de lourdes infrastructures techniques installées au plus près des bourses dans le seul but de gagner d'infimes fractions de secondes, afin de réaliser une énorme quantité de transactions à très court terme, qui jouent le plus souvent sur les minuscules différences que connaissent les prix des actions cotées simultanément sur plusieurs places. Les credit default swaps, enfin, obéissent à un mécanisme encore plus vicieux. Ces produits, normalement souscrits par les porteurs d'obligations pour se prémunir contre un défaut de l'emprunteur, peuvent aussi être achetés par des investisseurs qui ne possèdent pas les titres en question : il s'agit, en somme, d'une assurance qu'ils souscrivent pour couvrir un risque qu'ils n'ont pas pris. En conséquence, cette assurance n'a d'intérêt que dans la mesure où l'accident arrive, et où le risque de défaut se réalise, ce qui permet de toucher la prime. Et on imagine, dans les circonstances actuelles, la somme d'intégrité nécessaire pour résister à la tentation de jouer contre la Grèce. Au demeurant, cela ne devrait pas préoccuper l'État, les banques qui se sont amusées à ce petit jeu en vendant les CDS en question n'ayant qu'à prendre leurs pertes. Hélas, l'implacable logique du too big to fail, l'opacité de ce marché de gré à gré qui interdit toute évaluation de l'ampleur des conséquences d'un défaut l'obligeraient, le cas échéant, à intervenir.

Il devient alors possible de décrypter la stratégie gouvernementale, et de distinguer l'effectif du symbolique. L'effectif, et même le quantifié puisqu'on en attend un peu plus d'un milliard de recettes, ce sera donc cet impôt de bourse, au périmètre soigneusement circonscrit. Les obligations, privées ou publiques, qui représentent pourtant un volume de transactions autrement plus important que les seules actions, ne seront pas taxées : l'État, voulant scier la branche sur laquelle viennent se percher les corbeaux de la spéculation, a évité de se tirer une balle dans le pied en indisposant les acheteurs de dette publique. Il risque, par contre, d'en décourager d'autres, et de voir s'envoler ses espoirs de gain. Certes, le champ de la taxe reste assez vaste et son montant suffisamment minime pour ne pas décourager les investisseurs de long terme ; mais les autres, tels ces vils opérateurs à découvert qui jouent un rôle fondamental dans la liquidité d'un marché, auront d'autant moins de difficultés à aller voir ailleurs que, même pour les français, le monde est vaste et ses possibilités d'investissement infinies. Le premier effet de la taxe pourrait bien être une baisse du nombre de transactions boursières, laquelle pénalisera par contrecoup et les intermédiaires financiers et la place de Paris. Les deux autres mesures, qui s'attaquent bien à la spéculation dans ce qu'elle a de plus excessif, ne produiront par contre aucun effet, dans la mesure où la compétence de Bercy ne s'étend pas jusqu'au New Jersey, ou des effets bien fugitifs, puisqu'on attend pour les tous prochains mois une interdiction à l'échelon européen des CDS dénudés. N'eut été l'extrême difficulté d'expliquer au grand public ce dont il était question, on tenait bien là un moyen de combattre sans risque l'hydre de la spéculation internationale. Hélas, ici, le général hiver prélève son tribut, et terrasse la puissance du symbole, puisque personne n'en parle.

AA+

, 19:23

La fin du monde vient donc d'avoir lieu, et, l'œil collé à l'écran, chacun pouvait la suivre en direct sur Boursorama. Mais le calme étrange qui suit ces lendemains de cataclysme conduit à s'interroger sur l'ampleur de la catastrophe. Il se pourrait que, en l'espèce, le rôle des agences de notation financière ait été grandement surestimé, et que l'on ait assisté, en réalité, à la mise en scène d'une fiction intéressée, dont le sens dépend de la position politique que l'on adopte. Cette dégradation, pour le monde de la finance, produit sans doute d'autant moins d'effets qu'elle avait depuis longtemps été prise en compte. Et peut-être même que, en fait, la note de la dette souveraine française n'a pas vraiment été abaissée.

Car un seul membre du triumvirat de la notation, Standard & Poors, a franchi le Rubicon en attaquant les intérêts vitaux de la République. Prudemment resté sur la rive, Moody's se contente de maintenir sa surveillance. Encore plus en retrait, Fitch Ratings, filiale de Fimalac, a fait part de son intention de rester l'arme au pied pour le reste de l'année ; mais Marc Ladreit de Lacharrière éprouve sans doute quelque appréhension à imaginer sa tête d'aristocrate promenée au bout d'une pique. Les justifications de Standard & Poors, qui grâce à son coup d'éclat connaissent une audience qui s'étend un peu au delà de son public habituel, méritent par ailleurs que l'on s'y arrête. On découvre, d'abord, l'agence adepte du traitement par lots : tous les pays de la zone euro ont vu l'état de leurs finances inspecté, et certains, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, ont été bien plus mal traités. Chez Standards & Poors, par ailleurs, le triple A devient une denrée rare, à la distribution confidentielle : Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, pays scandinaves constituent le dernier carré des résistants à la dégradation, et sans doute plus pour très longtemps puisque, dans la zone euro, Allemagne et Luxembourg sont seuls à échapper à l'humiliante sanction de la surveillance négative. Après l'Europe et les États-Unis, en somme, le AAA a presque disparu, et, donc, son utilité aussi. Car il n'est pas besoin de lire des journaux gratuits pour savoir que, appliquées aux grandes puissances, ces notes ne renseignent personne.
Les grands, d'ailleurs, font tout ce qu'ils peuvent pour y échapper : le commentaire de Standard & Poors rappelle ainsi que les notes de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Grande-Bretagne, de l'Italie et de la France sont "unsolicited", ce qui mérite quelques explications. On l'ignore généralement, mais les agences interviennent en principe à la demande d'une entité, entreprise, institution publique, État, qui désire faire évaluer sa solvabilité avant de faire appel au marché : faute de note, celui-ci risque en effet de montrer peu d'empressement à souscrire à des obligations dont il ne peut évaluer le risque. Le fait que, en Europe, les petits pays, mais aussi l'Espagne, sollicitent ce jugement que les grandes puissances récusent montre la haute opinion que celles-ci ont d'elles-mêmes. Et en les notant d'autorité, comme les autres pays de l'Union, les agences rétablissent une égalité que les puissants refusent. De plus, le vrai étalon, la capacité d'emprunt, en volume comme en matière de taux, s'établit et se modifie à chaque fois que France Trésor procède à une adjudication, et il informe de manière autrement plus fine et plus pertinente que la notation périodique d'une agence. La note joue, en fait, un rôle institutionnel, garantissant la qualité du portefeuille d'investisseurs cherchant à éviter à tout prix le risque : mais si la meilleure note disparaît, il leur faudra bien se contenter du bataillon bien plus fourni des AA+.

Mais la manière dont l'agence explique sa décision surprendra les amateurs d'idées simples, même si la façon dont elle juge, non pas une situation financière, mais bien une politique publique et ses effets supposés confirmera les isolationnistes dans leur conviction qu'elle se mêle, d'autorité, de ce qui ne la regarde pas. Car, tout en rendant hommage à l'action de la BCE, Standard & Poors expose ses craintes, et redoute les conséquences d'une politique avançant sur un seul pied, celui d'une austérité qui s'exprime dans l'accroissement de la pression fiscale, avec comme conséquence récession et diminution de la consommation et, donc, baisse des rentrées fiscales  en question. Ce cercle vicieux de la rigueur a déjà été abondamment dénoncé : mais que le porte-parole des marchés rejoigne le chœur des économistes critiques a de quoi bouleverser son anticapitaliste. Les marchés, en fait, sont rationnels. Rompre avec trente ans de déficit de se fait pas du jour au lendemain, et la vertu austère du nouveau converti leur semble tout autant suspecte que, naguère, la prolixité de celui qui fut jusque-là un débauché. Mais, plus encore, ils redoutent les conséquences de ce qui ressemble à une nouvelle incarnation du même aveuglement, à la fois dans ce qu'elle dénote d'incompréhension fondamentale de leur fonctionnement, et dans son impuissance à apaiser ce léger doute qui subsiste, et selon lequel tout ça, au fond, c'est seulement pour la galerie. Le préteur ne réclame rien d'autre que le respect de son contrat : et, comme toujours, il est disposé à accorder des délais, à condition qu'on le rembourse. Un retour très progressif à l'équilibre budgétaire, un désendettement raisonnable et lent qui pourra s'étaler sur des dizaines d'années lui conviendrait bien mieux, pourvu qu'il n'ait de doute ni sur la route, ni sur la tenue de cap, que ces furieuses promesses d'un retour à l'équilibre en trois ans et en pleine crise, dont il est à craindre qu'elles restent lettre morte.

Enfin, et surtout, cette dégradation produit des effets qui relèvent essentiellement du comique, et qui sont si nombreux qu'on se demande à qui accorder la palme. Au spectacle, mis en scène par on ne sait quel spin doctor, que le pouvoir joue autour de cette note, lui qui transforme ce qui n'est rien de plus qu'un avis parmi tant d'autres en un rempart contre l'adversité, à l'efficacité quasi-magique puisqu'elle ne relève que de la croyance, rappelant ainsi ces habitants qui, face à la montée des eaux, ont recours à n'importe quel matériau, fut-il le plus dérisoire, pour protéger leurs biens de l'inondation ? À la popularisation au travers des media d'une notion qui, et c'est la son principe, résume une longue analyse en une formule courte et tranchante, et fournit donc aux journalistes une matière première qui, par son originalité comme sa concision, répond à leurs exigences tout en leur permettant de se pavaner en jouant les savants ? Ou, plus encore, à ces piliers de bar bons clients des micros-trottoirs, qui débitent un avis définitif sur les conséquences de la dégradation, eux qui glosaient hier sur Fukushima ou Clearstream sans avoir la plus élémentaire notion de radioactivité ni avoir jamais entendu le terme de règlement-livraison ? La pantalonnade du triple A aura au moins eu le mérite de rappeler à quel point, de nos jours, on manque cruellement d'occasions de s'amuser. Attendons-donc sereinement le défaut de la Grèce : là, on va rire.

crunch

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Quand, habitués à tirer profit des miettes abandonnées par l'empire, les flibustiers voient leurs richesses s'amenuiser au point de ne même plus suffire à assurer leur survie, c'est que la situation est désespérée. Et le plus intéressant, dans la crise que connaît Petroplus, est de voir combien l'enchaînement infernal qui conduit le raffineur suisse à sa position actuelle semble accepté par tous, au point que même les réactions des salariés directement menacés ne paraissent pas dépasser, pour l'heure, le stade d'un combat de pure forme, mis en scène sans conviction dans l'attente de la fermeture définitive et des négociations qui l'accompagneront. C'est que le drame du raffinage, dont les causes se trouvent fort bien exposées dans une publication de Technip, se répète sur les scènes européennes de manière similaire et depuis de longues années, au point que le dénouement en soit, d'avance, connu de tous.

Car cette industrie du genre le plus lourd essaye péniblement de surnager dans un marécage de contraintes qui l'étouffent de plus en plus. Elle dépend d'abord d'une matière première, le pétrole brut, presque totalement importée et facile à transporter, et à stocker ; et sa transformation en un certain nombre de produits finis génère d'une part des résidus dont on ne sait vraiment que faire, le souffre par exemple, et se fait d'autre part selon une répartition fixe, puisque, suivant la manière dont l'installation est conçue, on obtiendra du gazole, du carburant pour l'aviation et de l'essence en proportions constantes, proportions que seuls des investissements significatifs permettront de modifier. Or, depuis des décennies, en Europe, on n'investit plus, et Technip, cartographiant les douze dernières raffineries qu'il a conçues, ne montre qu'une seule installation européenne, la plus ancienne, à Leuna, en 1997. Propriétaires de la ressource, les compagnies pétrolières des pays producteurs cherchent à capter plus de valeur ajoutée, et à exporter, vers des clients de plus en plus riches et de moins en moins européens, des produits raffinés, et plus seulement du brut. Les raffineries européennes, de plus, souffrent d'un mal endémique, et connu : elles produisent trop d'essence dont, l'appétit du client habituel, les États-Unis, s'étant tari, elle éprouvent depuis quelque temps le plus grand mal à se débarrasser.
Ainsi vont les choses, dans ce secteur si difficile : aussi, lorsque, la puissance publique met en place des mesures fiscales incitant vigoureusement à consommer moins, et à acheter des voitures économes en carburant, les pétroliers renoncent, et, entre fermetures et reventes à des tiers, le paysage change radicalement en quelques années. Alors apparaissent les flibustiers qui, se croyant plus habiles à la manœuvre que les vieux capitaines des gros pétroliers, espèrent ressusciter les marges disparues. Petroplus, fondée en 1993 et qui achètera sa première raffinerie en 2000, société installée, aux côtés des Transocean et autre Glencore à Zug, paradis fiscal au cœur du paradis fiscal, est du nombre. Mais le 27 décembre, la société annonce le gel par ses banquiers de la ligne de crédit qui finance sa trésorerie, pour un montant de l'ordre d'un milliard de dollars. Du jour au lendemain, elle se trouve donc, en d'autres termes, incapable de payer ses fournisseurs, et hors d'état de faire tourner les cinq raffineries qu'elle possède à travers l'Europe, dont celle de Petit Couronne, près de Rouen.

On imagine que ce genre de chose n'arrive pas par hasard ; et on a un peu de mal à partager la surprise de Petroplus, découvrant du jour au lendemain que ses banques le lâchent. Les négociations qui continuent, la mise à l'arrêt de trois raffineries, en France, Suisse et Belgique, dont le redémarrage dépendra "des conditions économiques et de la disponibilité des financements", tiennent de la réduction, brutale et sauvage, de capacités excédentaires. Et sans doute les banquiers ont-ils décidé, à la place de la direction, des mesures à prendre, mesures dont on imagine, au vu du parcours de Petroplus et de ses années de pertes, qu'elles étaient pendantes. Aussi l'intérêt se situe-t-il largement ailleurs, dans le jeu des banques, et des politiques.
Ceux-ci, en France, pour contrer les effets du credit crunch appliqué aux multinationales, et à très grande échelle, ont sorti leur arme secrète : le médiateur du crédit, l'homme chargé de tordre les bras des banquiers armé de sa seule autorité morale. Plutôt habituées aux doléances des commerçants, artisans et petits entrepreneurs, on imagine que ses équipes apprécieront le changement d'échelle. On commence aussi à comprendre de quelle manière jouent les banques, lorsqu'elles se comportent en petites filles sages et se soumettent aux exigences de leurs autorités de tutelle ; et on ne va sans doute pas les aimer plus. La Tribune le notait encore récemment, l'année 2011 aura connu, au niveau mondial, 220 000 suppressions de postes dans l'activité bancaire, soit bien plus que les 174 000 emplois perdus en 2009, l'année d'après la mort de Lehman Brothers. Soumises à une réglementation qui leur impose de renforcer leurs fonds propres dans un délai de six mois et qui entre en vigueur au plus mauvais moment, dans un marché extrêmement déprimé, les banques réduisent, toutes ensemble, leur taille, cherchant donc pour leurs actifs, leurs activités de marché en particulier, des acheteurs qui n'ont ainsi que l'embarras du choix,et le pouvoir de fixer les prix. Aussi, on attend avec impatience le moment, qui viendra forcément, où ceux-là mêmes qui les ont mises dans cette situation leur reprocheront de mettre en danger l'activité économique en refusant de prendre ces risques qu'ils leur ont interdit de prendre ; mais comme toujours il se peut bien que leur réaction, inaltérablement diplomatique, déçoive.
Enfin, l'affaire Petroplus permet de voir à l’œuvre les effets de cette dissociation sociale qui sépare aujourd'hui les perdants - les salariés peu qualifiés et spécialistes d'une branche qui, comme bien d'autres avant elle, ne peut qu'être condamnée à un lent et long déclin - des gagnants - ces ingénieurs qui, accumulant savoir et expérience au lendemain de la Seconde guerre mondiale à domicile comme dans les colonies, sont aujourd'hui, sans craindre d'autre concurrence que celle de leurs semblables, à l'abri donc de la compétition sur les prix, à même de profiter au mieux de l'ouverture du monde. Tous, pourtant, naguère, et parfois pour un même employeur, travaillaient côte à côte.

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Entrepreneurs, dans ce monde où votre obligation la plus élémentaire et la plus fondamentale, maintenir votre affaire à flot, vous impose chaque jour un peu plus ces douloureux sacrifices qui, de surcroît, risquent par l'intervention d'un journaliste malveillant de vous exposer brutalement à l’opprobre publique, toute économie est bonne à prendre. Et elle peut même se muer en une magnifique opération lorsque, à peu de frais, elle vous permet de bénéficier d'une faveur médiatique que toutes les dépenses publicitaires du monde n'auraient pu obtenir avec une pareille efficacité. Car, disons le nettement : en cette période pré-électorale, rien n'est plus facile que de vous payer un Président qui saura, mieux qu'aucune personnalité du monde des arts, des sports et des lettres, faire parler de vous et de votre activité. Certes, le titulaire actuel, un peu dévalué, ne reste disponible que durant quelques mois, en attendant que le retour au pouvoir des bolchéviks ne réduise une fois de plus tous vos efforts à néant. Du moins vaut-il bien mieux avoir affaire à lui qu'à son ancien adversaire potentiel ; il se murmure de plus que, lui, au moins, comme bien public, on peut l'avoir gratuitement.
Il suffit pour cela de s'astreindre à une démarche aussi simple que saine, puisqu'elle obéit à vos intérêts les plus étroits. Comme tant d'autres, pour faire moderne, vous aviez supprimé dans vos usines des centaines d'emplois imprudemment recréés dans la lointaine Asie, à Taïwan plus précisément, ce qui ne manquera pas d'étonner, le niveau de vie et les rémunérations sur l'île rebelle n'étant guère différents des nôtres. Opération absurde, puisqu'elle obligeait à exporter d'Europe en Asie les matériaux nécessaires, lesquels comptent pour 70 % du coût du produit fini, avant de réimporter le produit en question. À l'inverse, un petit investissement dans nos belles vallées savoyardes, à peine vingt emplois nouveaux, et vous pourrez accrocher à votre nom déjà fort connu ce label flatteur qui connaît une ascension fulgurante, relocalisation. Les sollicitations médiatiques qui assaillent le spécialiste de la question montrent combien, dans les gazettes, le terme est en vogue. Celui-ci, par ailleurs, constitue le sésame indispensable pour la visite présidentielle. L'agenda fort chargé du premier personnage de l’État vous contraindra bien à quelques mois d'attente, mais vous en serrez largement récompensé : fabriquer des skis et avoir, au début de l'hiver, un Président de la République en visite dans ses usines avec un essaim de journalistes autour et des sujets dans tous les journaux télévisés, voilà une opération promotionnelle de toute beauté, et à l'efficacité incommensurable puisque son coût est nul.

En publicité, en notoriété, en réputation, vous êtes donc le grand gagnant de l'affaire. Se présentant à son avantage, serrant les mains du populo, le Président se compte sans nul doute lui aussi au nombre des bénéficiaires de l'opération, sans quoi il n'aurait évidemment pas pris la peine de se déplacer. Pourtant, dans le monde universitaire, chez les correspondants de la presse internationale, les critiques, à l'image de celle d'un Jonah Levy décrivant l'incohérence des cinq années de mandat de celui qui apparut d'abord comme un libéral sans conséquence avant de se convertir à un dirigisme privé de moyens d'action, visitant un village Potenkime après l'autre, couvrant l'espace physique et social le plus large possible en aussi peu de temps que possible, et ne donnant, pour finir, que le spectacle d'une agitation confuse, ont déjà fait le bilan du temps perdu et des occasions manquées. Mais cela n'émeut guère et ne portera pas à conséquence, aussi longtemps que le journal télévisé, au profit duquel la Présidence met cet agenda en scène, et pour lequel elle sait inventer ce vocabulaire de combat et réunir au premier rang les bons clients qui font les bons sujets, jouera consciencieusement le rôle qui lui a été attribué.

Pourtant, il suffirait de pas grand chose. Voici peu, évoquant l'éternel problème de la hausse des prix, le spécialiste des présentations infographiques du journal de France 2 a cité l'exemple d'une petite voiture dont le prix, dans sa version la plus simple, a diminué de 10 % au cours des dix dernières années. Mais il n'a pas pris la peine d'ajouter que, en termes réels, en tenant compte d'une inflation même modeste, le chiffre d'affaires généré par la vente de ce modèle a, en fait, baissé d'un quart. Il n'a pas non plus jugé utile d'expliquer les conséquences de cette situation puisque, sauf à obtenir à domicile une baisse équivalente de ses coûts de production, et de celui du travail en particulier, ce fabriquant n'a, comme tous ses concurrents, d'autre choix que de faire construire ailleurs en Europe, en l'espèce en Roumanie, en Slovaquie, en République Tchèque, et avec une main d’œuvre moins coûteuse, les plus petits véhicules de sa gamme, que l'on sait être les moins rentables.
Cette réalité, aujourd'hui encore et des années après qu'elle ait été froidement analysée par Pierre-Noël Giraud, reste, au-delà des cercles de spécialistes, indicible. La force des explications simples absout la majorité, celle de ces consommateurs qui, seulement préoccupés de leur intérêt, ne visent qu'à acheter au prix le plus bas, des conséquences sociales de leurs actes, en reportant leur responsabilité sur une minorité si propre à la stigmatisation, ces entrepreneurs qui, seulement préoccupés de leur intérêt, ignorent les conséquences sociales de leurs actes lorsqu'ils arrêtent une usine, et continuent la production ailleurs. Il est tellement plus simple, au lieu d'entreprendre un vaste risorgimento comme l'a fait l'Allemagne de Gerhard Schröder, de jouer le rôle de la victime innocente, passive, et impuissante, et d'appeler à l'aide le chef d'un État qui, dans la grande tradition nationale, saura trouver les paroles qui consolent, et les gestes qui guérissent. Mais Nicolas Sarkozy aura eu le malheur d'exercer son mandat en des temps où l’État anesthésiste n'a plus la capacité de recourir à ses thérapies habituelles ; et il ne suffira pas d'inventer un mot nouveau et vingt emplois dans les vallées alpines pour changer le cours des choses, produire les conditions et l'environnement sans lesquels l'emploi industriel continuera à s’effilocher et, très accessoirement, gagner les élections.

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