DirtyDenys - did he fire six shots ?2024-03-14T18:25:08+01:00Denys Bergraveurn:md5:c30316b9971031b722ae382cdbb60233Dotclearvillageurn:md5:7cbf042855b58d0450905446c8a03e002024-03-14T19:03:00+01:002024-03-14T19:25:08+01:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p> À l'origine, on trouve une centrale électrique. Bâtie au début du siècle dernier en bord de Seine, à Saint-Denis, à la limite avec
Saint-Ouen, sur un terrain progressivement occupé par des constructions variées mais toutes liées à la production et à la
distribution d’électricité, l'usine cessera son activité au début des années 1980. Vingt ans plus tard le vaisseau amiral du site, la
grande halle des machines, deviendra la pièce maîtresse d'une <a href="https://www.tourisme93.com/cite-cinema-besson-saint-denis.html" target="_blank">cité</a> du cinéma qui accueille plusieurs plateaux de tournage, et l'école
Louis Lumière, laquelle forme les techniciens supérieurs du cinéma.
Tout autour des bâtiments divers, hôtel, pavillons, locaux
artisanaux. Un peu plus loin, au sud-ouest, à Saint-Ouen, une grande <a href="https://www.isae-supmeca.fr/localisation/" target="_blank">école</a>
d'ingénieurs en mécanique. Encore un peu plus loin, mais à moins de
deux kilomètres, à l'est, le stade de France. Une ancienne zone
industrielle, des terrains appartenant en partie à une entreprise
publique, une position stratégique dans une banlieue en plein
développement autour du hub de <a href="https://plainecommune.fr/pleyel/"target="_blank" >Pleyel</a> : pas besoin
d'aller chercher plus loin le site où implanter le village qui
accueillera durant quelques mois les athlètes des Jeux Olympiques
2024.</p>
<p>On va donc construire là une zone d'aménagement concerté, alias ZAC,
un peu spéciale, puisqu'elle ne se présente pas comme telle tout en
respectant les usages du genre. Avec d'abord sa surface,
significative avec ses 40 hectares, mais quand même relativement
modeste. À titre de comparaison, sa voisine, la <a href="http://docks-saintouen.fr/le-projet-urbain/le-contexte/" target="_blank">ZAC</a>
des docks de Saint-Ouen, occupera à terme 100 hectares là où la plus
lointaine Clichy-Batignolles s'étend sur 54 hectares. Avec aussi
l'inévitable pointure architecturale en charge du schéma d'ensemble,
en l'espèce <a href="https://www.perraultarchitecture.com/en/projects/3462-the_olympic_and_paralympic_village_-_paris_2024.html" target="_blank">Dominique Perrault</a>. Avec enfin les contraintes politiques et réglementaires propres à ce type d'exercice, qui se doit d'adhérer à toutes les exigences de vertu en cours. Mais à ce fonds commun
s'ajoutent deux éléments spécifiques : une date de livraison
impérative et qui ne peut souffrir d'aucun retard, et une obligation
de bâtir du provisoire qui doit ensuite durer, mais sous une autre
forme.</p>
<p>Autant dire que l'accumulation des contraintes ne peut que conduire
à un résultat aussi prévisible qu'uniforme. Que ce soit rive <a href="https://koz.fr/village-des-athletes/" target="_blank">droite</a>,
sur sa portion audonieno-dionysienne, ou au <a href="https://petitdidierprioux.com/portfolio/items/jeux-2024/"target="_blank" >centre</a>,
avec cette partie de l'Île-Saint-Denis surplombée par le viaduc de
l'autoroute A86, on retrouve les mêmes alignements de bâtiments,
similaires par leur taille, leur orthogonalité, et leur structure. Car pour construire le
village, le construire dans les temps, et pouvoir ensuite facilement
transformer ces logements qui, au fond, appartiennent à un type
particulier de cité universitaire, en appartement familiaux, on a
massivement fait appel au mode de construction à la mode, le bois.<br />
L'assemblage de <a href="https://www.batirama.com/article/59297-chantier-des-jo-2024-des-modules-bois-prefabriques-achemines-par-la-seine.html"target="_blank" >modules</a> en bois sur une structure généralement de la même essence produit
une forme de <a href="https://twitter.com/dirtydenys/status/1763307354777358794"target="_blank" >canevas</a>
unique. Il appartiendra aux architectes de rompre cette uniformité en tentant de varier les façades. Bien qu'amateur d’architecture
moderne et contemporaine, l'observateur objectif se doit de reconnaître que le résultat n'a rien de bouleversant.</p>
<p>Les détracteurs qui comparent le village olympique aux ZUP des années 1960 avec leurs logements sociaux édifiés au chemin de grue,
où l'on se contentait d'empiler de façon linéaire des modules préfabriqués, avec l'idée que plus c'est haut, plus c'est long,
moins c'est cher, tombent paradoxalement juste. Dans les deux cas, la construction s'effectue au moyen de modules produits en usine,
aux dimensions semblables, avec des ouvertures identiques, mais, aussi, à l'intérieur de strictes contraintes budgétaires. On ne
prend guère de risques en imaginant que ceux-là même qui reprochent un manque d'ambition à ce projet olympique, cet événement de portée
mondiale, mais qui ne durera que quelques semaines, auraient férocement commenté le moindre dépassement budgétaire si d'aventure
les maîtres d'ouvrage avaient visé plus haut, et plus fort. Et puis, cette monotonie inhérente au processus constructif, il faut
s'attendre à la rencontrer de plus en plus souvent, puisqu'il n'existe pas d'autre moyen de diminuer le surcoût de la construction
en bois, désormais obligatoire étalon de vertu.<br />
Le village est éphémère : ce qui en restera dans un an, c'est un quartier urbain en Seine-Saint-Denis peuplé d'habitants qui ne
feront pas qu'y passer. S'il doit être jugé, c'est à cette dimension, celle de la durée, et ce qui s'annonce n'est pas
nécessairement glorieux. On va, à partir d'une <a href="https://petitdidierprioux.com/wp-content/uploads/2022/04/233_JO-2024_CONCOURS_PERS-01_WEB.jpg"target="_blank" >image</a>,
s'intéresser au cas de l'Île-Saint-Denis. Seule la partie septentrionale du bâti relève du village olympique, le reste faisant
partie d'un <a href="https://plainecommune.fr/projets/grands-projets-urbains/lecoquartier-fluvial/" target="_blank">écoquartier</a>
existant. <em>"Quartier sans voitures"</em>, celui-ci possède une
seule rue, étroite, qui conduit au pont de Saint-Ouen, déjà
totalement saturé. Principale porte de sortie, une passerelle
piétonne vers Saint-Ouen, à un kilomètre des transports publics de
Pleyel. Sur l'autre rive, juste en face, un centre commercial
régional, inaccessible. Parions que, bientôt, pour rompre
l'isolement du ghetto, une navette fluviale comblera les quelques
dizaines de mètres qui séparent les bons sauvages de la civilisation
consumériste.</p>
<p>Alors, pourquoi accabler le village de critiques, et de critiques
mal placées puisqu'elles ignorent le plus souvent la question
principale, celle de son avenir ? En partie sans doute en réaction aux commentaires dithyrambiques avec lesquels les <a
href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-grand-temoin/paris-2024-le-village-olympique-est-le-chef-d-uvre-de-ce-que-l-industrie-de-la-construction-sait-faire-en-france-revendique-le-directeur-general-de-la-solideo_6353095.html" target="_blank">autorités</a>
ont salué le projet lors de son inauguration, qui pimentent
d'une pointe de grotesque un ensemble qui reste, dans toutes ses
dimensions, modeste, et dont la principale qualité est d'avoir été
fini à temps, ce qui, après tout, est l'essentiel.<br />Mais sans doute,
aussi, parce que les critiques trouvent là le vecteur idéal pour
faire part de leur détestation de l'architecture moderne, eux qui,
sûrement, admirent la production d'un DGM, cabinet qui sévit aussi à
<a href="https://www.dgm-architectes.fr/nos-projets/construction-dun-ensemble-immobilier-usage-dhabitation-de-57-logements"target="_blank" >Saint-Ouen</a>
avec ses écrasants pastiches haussmanniens ou pseudo Art Déco.
Pourtant, loin du sempiternel rappel de la plus spectaculaire
provocation de Le Corbusier, le plan Voisin, la vraie référence de
cette architecture impériale, l'authentique incarnation du culte de
la colonnade et du néo-classicisme, l'inévitable conclusion du refus
de la modernité, c'est le <a href="https://www.bucharestcityinfo.com/wp-content/uploads/2016/10/bucharestcityinfo.com_Palace-of-the-Parliament-1600x800.jpg" target="_blank">Bucarest</a> de Nicolae Ceaușescu.</p>http://dirtydenys.net?post/2024/03/14/village#comment-formhttp://dirtydenys.net?feed/atom/comments/591enchantementurn:md5:cf147082f9c4a837a2f5edb4d14541a22023-11-30T19:03:00+01:002023-11-30T19:18:27+01:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Il en rêvait, le système éducatif lui a permis de le faire : né dans le <a
href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/du-93-a-la-nasa-le-merveilleux-parcours-dallan-petre-raconte-par-linteresse-2031410"
target="_blank">département</a> le plus pauvre de France métropolitaine, la Seine-Saint Denis, un jeune ingénieur vient
d'annoncer que, au terme d'un parcours scolaire un peu particulier, il venait d'être recruté par la NASA. L'origine sociale modeste dans le département délaissé, l'ambition assouvie en dépit des obstacles, le triomphe de la rigueur et de l'obstination, autant d'éléments classiques du grand discours qui, pas nécessairement à tort, fait, aujourd'hui comme hier, de l'école républicaine l'unique moyen d'ascension sociale pour ceux
qui se trouvent fort mal dotés en toute espèce de capital.<br />
De quoi alimenter la presse avec l'une de ces histoires édifiantes qui lui permettent de compenser un peu la noirceur du quotidien.
De quoi aussi intéresser, pour des raisons distinctes, les sommets de l’État, puisque le Ministre de l’Économie et des Finances comme
le Président de la République complimentent le jeune homme lequel, pourtant, en s'installant aux États-Unis, va faire profiter un
pays étranger des fruits d'une éducation supérieure financée par le contribuable.</p>
<p>Cela, sans doute, parce que son parcours scolaire a emprunté un chemin de traverse qui lui a permis, à côté du système de
sélection traditionnel par les classes préparatoires, d'accéder à une <a href="http://www.groupe-isae.fr/isae-ensma" target="_blank">école d'ingénieurs</a> de fort bon niveau après avoir obtenu un DUT. Ce chemin, celui des études supérieures par
apprentissage, ouvre une voie bien adaptée aux étudiants d'origine modeste qui, souvent victimes de leur auto-sélection,
n'osent pas s'aventurer sur les territoires quadrillés par les rejetons des catégories sociales supérieures. Or, justement, la
promotion de l'apprentissage et de l'enseignement en alternance appartiennent aux rares succès revendiqués par le pouvoir
actuel, et il est bon de les illustrer au moyen d'un exemple idéal-typique. Cette politique, au demeurant, produit des effets
qui ne se limitent pas à un cas particulier. L'INSEAD, qui dispose d'une certaine légitimité historique en matière
d'affaires internationales comme d'étudiants à fort potentiel, publie depuis dix ans un <a
href="https://www.insead.edu/news/2023-global-talent-competitiveness-index-celebrates-a-decade-pioneering-talent-insights"
target="_blank">rapport</a> annuel qui analyse et compare les capacités de 143 pays à produire des élites. Dans ce
classement-là, la France ne se place pas si mal, en partie, justement, par sa <a
href="https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/la-france-produit-plus-de-talents-mais-peine-toujours-a-en-attirer-de-letranger-2027137"
target="_blank">capacité</a> à <em>"former tout au long de la
vie"</em>.</ahref="http:></p>
<p>Hélas, il appartient, comme toujours, au sociologue de s'acquitter de sa pénible tâche, rompre l'enchantement. Selon l'intéressé
lui-même, cette embauche à la NASA, et plus précisément au JPL, le plus légendaire des laboratoires de légende, se trouve n'être qu'un
contrat de six mois, dont on ignore la nature exacte, dont on ne sait s'il sera prolongé. Il envisage d'ailleurs son avenir plutôt au
sein de <a href="https://www.esa.int/" target="_blank">l'ESA</a>, organisme qui, pour avoir effectué son alternance chez <a
href="https://www.ariane.group/fr/" target="_blank">ArianeGroup</a>,
lui est déjà connu. Fils d'un technicien supérieur en informatique,
son origine sociale relève par ailleurs plus d'une petite classe
moyenne que d'un milieu réellement populaire. De technicien
supérieur à ingénieur, l'ascenseur social est simplement monté à
l'étage au-dessus. </p>
<p>L'histoire politique et sociale du pays comporte bien d'autres cas
d'évolutions autrement plus significatives. L'exemple le plus
spectaculaire se trouvera sans doute en la personne du premier
polytechnicien noir, Sosthène <a href="https://www.lajauneetlarouge.com/sosthene-mortenol-1880-fils-desclave-marin-et-artilleur/" target="_blank">Mortenol</a>. Né à la Guadeloupe en 1859, fils d'un esclave affranchi, les
capacités remarquables de Sosthène Héliodore Camille Mortenol lui
permettront d'obtenir une bourse grâce à laquelle il poursuivra ses
études secondaires à Bordeaux avant de réussir le concours d'entrée
à Polytechnique. Sortant avec un classement très honorable, il fera
carrière dans la marine, participant notamment à la désastreuse
conquête de Madagascar. La valse des affectations le mènera à
Toulon, à Brest, au Congo ou en Indochine, lui valant au passage un
paludisme qui le poursuivra durant toute son existence. Finalement
promu capitaine de vaisseau, la Première guerre mondiale le conduira
à un nouvel engagement, puisqu'il sera chargé d'organiser la défense
antiaérienne de la capitale, alors soumise aux bombardements des
Gotha et autres Zeppelin.<br />
Une vision enchantée ferait de son parcours une paradoxale
illustration de la plus pure méritocratie républicaine :
on peut avoir été déporté de son pays natal pour être réduit en
esclavage, et malgré tout donner naissance à un fils qui sortira de
la plus prestigieuse des grandes écoles de la République avec un
fort bon classement, puis suivra une carrière militaire qu'il
terminera comme officier supérieur. Mais l'observateur objectif se
doit d'ajouter que, au-delà de ses incontestables qualités, Sosthène
Mortenol a bénéficié de l'appui d'un puissant parrain, en la
personne de Victor Schoelcher. Et puis, dans la Royale, cette arme
réputée pour son traditionalisme, un de Machin de Chose avec de tels
états de service aurait sûrement atteint le grade d'amiral. Le fils
d'esclave restera à l'échelon inférieur, victime de ce que l'on
n'appelait pas encore le plafond de verre.</p>
<p>Que la presse adore ces destins exceptionnels qui lui fournissent de
si bonnes histoires ne doit pas faire oublier que ceux-ci ont comme
première propriété d'être, précisément, exceptionnels. Et ces
histoires ne disent rien de tous ces anonymes, sans doute aussi
capables qu'un Sosthène Mortenol mais qui, eux, n'ont pas eu la
chance de rencontrer ces bonnes fées qui savent métamorphoser un
destin. Le déterminisme sociologique n'a a jamais été autre chose
que probabiliste. Toutes les exceptions restent, en permanence,
possibles, et on laissera au statisticien le soin de calculer la
probabilité composée des événements saillants de la carrière des
frères <a href="https://www.lajauneetlarouge.com/khalid-et-taoufik-lachheb-95-jumeaux-perchistes/" target="_blank">Lachheb</a>,
fils d'un chef de chantier marocain, jumeaux, polytechniciens, et
anciens de l'équipe de France de saut à la perche. Mais c'est
seulement dans les contes de fées que les princes épousent des
bergères étant entendu que, même dans les contes de fées, les
princesses n'épousent jamais les bergers.</p>factieuxurn:md5:a3760c7e92576a6af0aa1d53dd0a3dd92023-04-28T19:09:00+02:002023-04-28T18:15:34+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Un jour, peut-être, en retraçant la séquence politique que ce
pays connaît depuis quelques mois, un historien sarcastique
s'amusera à isoler l'épisode qui lui semblera le plus grotesque. À
sa place, on choisirait sans hésiter ce moment où des élus
fabriquent un <a
href="https://twitter.com/WeillClaude/status/1647242952089927680"
target="_blank">scandale</a> d’état avec la promulgation par le
président de la République de la loi n°2023-270, promulgation
supposée avoir sournoisement eu lieu au cœur de la nuit, pile à
l'heure où les honnêtes gens dorment. Le Journal officiel, qui
publie la loi dans son édition du <a
href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/jo/2023/04/15/0089"
target="_blank">15 avril</a>, n'existant plus depuis quelques
années que sous forme électronique, et n'étant donc plus soumis au
rythme particulier des quotidiens du matin, on se demande d'où
peut bien surgir cette information. Peut-être de l'édition PDF du
JO, datée précisément du vendredi 14 avril 2023, 23h46 UTC ?
Il faut alors imaginer un Emmanuel Macron, lui dont chacun sait
qui contrôle tout avec une précision maniaque, régler
soigneusement son réveil sur l'heure dite pour être en mesure de
boucler lui-même les 329 pages d'un quotidien qui doit
impérativement être daté du samedi puisqu'il ne sort pas le
dimanche ; un surhomme, assurément. Peut-être, plus
sérieusement, l'historien s'intéressera-t-il à la curieuse
trajectoire de cette loi, soutenue par une majorité relative,
votée en dépit d'une obstruction féroce grâce à une procédure
inhabituelle mais validée ensuite par le Conseil constitutionnel
avant d'être promulguée dans la foulée, ce qui assure son
effectivité, termine son trajet institutionnel et trouve sa place
comme un élément parmi d'autres du grand corpus réglementaire qui
gouverne la république.</p>
<p>Et pourtant, ça continue. Des manifestations aux coups d'éclat,
de l'opposition persistante de syndicats pour une fois unis dans
un front du refus unanime aux développements subtils d'un
professeur au Collège de France qui tente de démontrer de toutes
les manières possibles que cette démocratie-là, pourtant
strictement inscrite dans le cadre du droit, n'est pas
démocratique, la réforme ne passe pas. Elle souffre, certes, de
multiples défauts, par exemple cette propriété de ne pénaliser que
les actifs, et de ne modifier en rien la situation de cette frange
de la population qui fait la fortune des croisiéristes, des
agences de voyage et des propriétaires de maisons d'hôtes. Mais en
cela, elle ne fait que suivre la ligne traditionnelle de
conservation des privilèges acquis, connue sous l'acception
pittoresque de <em>"clause du grand-père"</em>.<br />
Et nombre d'opposants prétendent que le financement des retraites
ne pose pas de problème particulier. Ceux-là mêmes qui, voilà
vingt-cinq ans, disaient que la question du chômage massif se
résoudrait toute seule avec le départ en retraite des cohortes du
baby-boom affirment ainsi aujourd'hui que l'équilibre des comptes
naîtra automatiquement de leur décès.</p>
<p>Mais il y a plus. Si Dominique Schnapper analyse bien le
caractère radical et dangereux de cette <a
href="https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/la-fiction-de-la-republique-representative.html"
target="_blank">contestation</a> née dans l'hémicycle et
cristallisée, a l'écart de toute rationalité, dans une opposition
maladive à un Emmanuel Macron devenu idéal-type de la haine de
classe, on peut sans doute voir aussi dans cette exaspération le
refus obstiné de la réalité, et la déception qui surgit lorsque
celle-ci s'impose.<br /> Ce choix, par définition détestable et détesté,
de reculer l'âge de départ en retraite, ce qui à la fois
raccourcit la durée de versement des pensions et allonge celle de
la perception des revenus d'activité, signale un instant rare, une
prise en compte de l'inévitable. Tentative insuffisante et
inaboutie pour ajuster la réglementation à une évolution
démographique pas spécialement neuve et aux effets impératifs,
mais auxquels on espère toujours, en trichant, en rusant, en
négociant un petit privilège, échapper, cette mesure peut
s'analyser comme l'ébauche de cet <a
href="http://dirtydenys.net/?post/2017/06/29/ennemi"
target="_blank">aggiornamento</a> tant attendu, et en
particulier au-delà des frontières. Alors pourquoi si tard,
pourquoi si mal ?</p>
<p><em>"Quand on veut la peau d'un ministre, on l'a."</em>
affirmait naguère, dit-on, un syndicaliste du secteur éducatif. À gauche
comme à droite, Alain Savary ou bien Alain Devaquet, les exemples ne
manquent pas de réformes piteusement avortées, et de ministres
renversés par la rue. Pour les promoteurs d'intérêts corporatistes
qui défendent avant tout leurs positions personnelles, le jeu des
institutions démocratiques n'est que théâtre sans importance. Pour
eux, le pouvoir effectif, accessible aux seuls initiés, n'est pas
issu des urnes, mais s'exerce dans les coulisses, et se limite à
instaurer un rapport de force bien souvent victorieux. Ici, pour
l'instant, cette stratégie est un échec.<br /> Dans ce monde en négatif
où le déni de la démocratie naît du strict respect de la
procédure, l'important n'est pas tant d'avoir mené ce combat que
d'avoir résisté, fût-ce au prix d'une victoire à la Pyrrhus, là où
d'autres ont abandonné. Mais alors, la suite ? Le
ressentiment gronde, la révolte couve ce qui, dans le pire des
cas, entraînera peut-être des conséquences catastrophiques, dont
les premières victimes se recruteront dans les rangs de ceux qui
appellent aujourd'hui à renverser le despote. Mais, après tout,
l'un dans l'autre, grossièrement, sommairement, à la louche, on a
ce qu'on mérite.</p>bisurn:md5:f3e2405bc026871a346e898961a547fc2022-11-30T19:19:00+01:002022-12-02T14:45:09+01:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p> Décidément, on se doit d'y <a
href="http://dirtydenys.net/?post/2022/05/30/%28s%29trike">revenir</a>.
Mais pas tant à cause des conséquences effectives de l'entrée en vigueur
d'un contrôle périodique des motocyclettes lourdes. Conformément à
la directive européenne de 2014 la procédure, en plus de mesurer le
niveau de bruit et d'émissions du pot d'échappement, devrait pour
l'essentiel se borner à vérifier l'état des freins, des pneus, de la
colonne de direction et de l'éclairage, autant d'opérations banales,
effectuées de façon routinière à chaque révision. Encore ne
s'agit-il là que d'une hypothèse, les États membres restant libres
de définir le contenu exact du contrôle, ainsi que sa fréquence.
Pour une grande majorité de motards, cet ennui superflu coûtera
juste un peu de temps, et quelques sous. Il en ira autrement pour
les amateurs de <a
href="https://twitter.com/dirtydenys/status/1589186626319970305"
target="_blank">trucs</a> un peu spéciaux, et pour les ruraux.<br/>
Car
les pouvoirs publics, refusant comme toujours de s'intéresser aux
particularités du monde motard, introduisent avec cette obligation
une forte discrimination géographique. L'usage de la moto ne déborde
guère des grandes agglomérations, des rives de la Méditerranée et,
de façon plus générale, du sud du pays. Certains départements sont
déserts : en 2019, toutes catégories confondues, on a immatriculé
398 motocycles dans la Nièvre, 386 dans l'Indre, 307 dans la Creuse
ou 191 dans la Lozère. Là comme dans d'autres départements
délaissés, le marché des véhicules à vérifier s'élèvera à quelques
dizaines d'unités par an. Les centres de contrôle technique, s'ils
existent, seront très éloignés des utilisateurs tandis que, pour
rentabiliser les investissements, leurs tarifs seront prohibitifs.</p>
<p>L'intérêt de l'objet, et d'une séquence qui se poursuit, tient plus
à ce qu'il montre de déjà connu, mais aussi d'original, et de
profondément inquiétant. Les errances du gouvernement, adoptant
d'abord la ligne européenne d'un contrôle entrant en vigueur au 1er
janvier 2022 avant d'opter pour la solution alternative, à savoir
présenter des mesures de sécurité spécifiques, tout en traînant
jusqu'à ce qu'il soit trop tard, n'a rien que de routinier. Mais sa
négligence ouvre la porte aux spécialistes de l'instrumentalisation
des procédures juridiques, les associations de la mouvance
écologiste. L'action d'une poignée de prohibitionnistes parisiens a
suffi à mettre en branle le Conseil d’État, lequel a rendu à la fin
du mois dernier une <a
href="https://www.conseil-etat.fr/actualites/le-controle-technique-des-deux-roues-doit-etre-mis-en-aeuvre" target="_blank">décision</a>
lourde de menaces, et qui mérite quelques commentaires.<br />
Pour commencer, on se demande si le Conseil a bien saisi la
différence entre deux-roues motorisés en général et motocyclettes
lourdes, les secondes, seules concernées par la directive,
représentant, grossièrement, moins d'un tiers de
l'effectif total. Entretenir la confusion entre les deux permet sans
doute d'exhiber cette <em>"incidence directe et significative sur
l’environnement"</em> qui aurait dû entraîner, selon des modalités
qu'on n'arrive pas à imaginer, une consultation du public, alors
même que cette incidence, en raison du très petit nombre de
véhicules en cause, reste infinitésimale, et donc impossible à
simplement estimer. Un peu plus loin dans sa décision, le Conseil,
quand il fait état d'une mortalité particulièrement élevée chez les
motards français par rapport aux autres pays européens, ressort,
sans le savoir puisqu'il se contente de recopier servilement
l'argumentaire des requérants, une vielle lubie de la sécurité
routière, celle du problème motard français, que l'on se doit
d'analyser en détail. </p>
<p>Cette invention est l’œuvre de Jean Chapelon, alors responsable de
l'observatoire interministériel de sécurité routière, qui soutient,
dans un livre qu'il publiera en 2007, que <em>"le risque d'être tué
par kilomètre parcouru en motocyclette est plus de 2,7 fois
supérieur en France qu'en Allemagne"</em>, ce qui lui permet de
conclure à l'existence d'un <em>"problème spécifique français".</em>
Tentons de vérifier. L'exposition au risque dont il est question ici
implique de disposer de deux paramètres : le kilométrage moyen,
et le nombre de véhicules en service. Pour simplifier la
démonstration, on se contentera d'étudier le second. En France, il
ne doit pas être difficile de trouver les informations nécessaires,
grâce au précieux mémento statistique des transports, publié chaque
année depuis plus de soixante-dix ans. Sauf que, à compter de 2021,
sa <a
href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/memento-de-statistiques-des-transports-2019"
target="_blank">parution</a> est interrompue, privant ainsi le
public ordinaire d'un outil indispensable. On va donc fouiller les
éditions précédentes, à la recherche du chiffre fatidique, le parc
de motocycles français. Et il faudra aller loin puisque, sans aucune
explication, la série s'arrête en 2005. À cette date, le "parc
estimé", et estimé selon une méthodologie que, malgré des années de
recherches, il n'a pas été possible d'identifier, s'élève exactement
à 1 177 608 unités. Cela semble bien peu ; quand,
quelques années plus tard, en 2010, mutuelles et compagnies
d'assurance publieront des chiffres communs, elles dénombreront plus
de 2 800 000 motocyclettes assurées.<br />
Pourtant, il s'agit là de données officielles, reprises par les
organismes internationaux, qu'ils soient publics comme Eurostat, ou
privés. Longtemps, <a href="https://acem.eu/" target="_blank">l'ACEM
</a> publiera des séries statistiques, couvrant toute l'Europe. Revenons
en 2005, et comparons donc France et Allemagne. Cette année-là, le
parc de motocycles allemand dépassait les 3 900 000
unités. Gros marché, incontestablement. Mais il y a un problème,
qu'il est trivial d'identifier. Un chiffre dont on est sûr, au
moins, qu'il correspond bien à une réalité est celui des
immatriculations annuelles. En 2005, elles atteignaient 196 618
motocycles en France, contre 168 652 en Allemagne. En d'autres
termes, le parc officiel des motocyclettes représentait alors en
France près de six années d'immatriculations, alors qu'en
Allemagne il s'élevait à vingt-trois ans, soit presque quatre fois
plus. </p>
<p>Des populations géographiquement, économiquement et
sociologiquement proches ont toutes les raisons d'employer d'une
façon similaire cette machine spéciale et chargée d'une riche
culture commune qu'est la moto. L'hypothèse la plus banale lorsque
l'on observe des écarts significatifs dans son accidentalité entre
des pays voisins tient d'abord à la manière dont les statistiques
sont établies. On l'a vu, le fait que chaque pays suive sa méthode
propre, sans se soucier de ce que font les autres, conduit à des
incohérences majeures qu'il est élémentaire de relever. Mais le
propre de la statistique administrative est de vouloir ignorer ces
disparités. Quand l’État, quel qu'il soit, a besoin de données
qu'il ne se donne pas la peine de recueillir de façon fiable, il
les invente. Et quand les incohérences deviennent trop visibles,
il les <a
href="https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/road_eqs_motorc/default/map?lang=fr"
target="_blank">cache</a>. Après tout, plutôt que de se remettre
en cause, il est bien plus économique de s'abandonner à
l'essentialisme le plus grossier.</p>
<p>On s'étonne qu'un tel essentialisme de bas étage puisse franchir
les portes du Conseil d’État. Ignorant tout des mœurs de
celui-ci, on va supposer que cette décision doit beaucoup à la
plume de la rapporteure, jeune auditrice diplômée de l'ENA en 2020.
Et peut-être faut-il porter au compte de son inexpérience cette
étonnante sortie qui forme le point 6 de la <a href="https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-10-31/466125" target="_blank">décision</a>,
où l'on se permet de distribuer des bons et des mauvais points en
matière de politique de sécurité routière, à la place des
autorités compétentes et de la Commission européenne en
particulier. Il y a là de quoi susciter l'étonnement de Frédéric
Thiriez, avocat de la <a href="https://ffmc.asso.fr/controle-technique-le-gouvernement" target="_blank">Fédération</a>
des motards grognons, et qui n'est pas un novice en matière de
contentieux administratif. Difficile d'accepter une telle
légèreté, pour rester dans l'euphémisme, de la part d'un pilier
essentiel de l'état de droit. Et même si la séquence n'est pas
nécessairement terminée, elle aura au moins mis en lumière la
devise de la République, telle qu'elle s'applique aux indésirables : coercition, discrimination, hostilité.</p>nombrilurn:md5:ab32fd786f9742b96a4e5b3a46acea182022-09-16T18:56:00+02:002022-09-20T07:54:24+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Ce premier tiers du mois de septembre 2022 aura donc connu un événement dont, comme toujours, la pleine portée historique se
précisera seulement au fil du temps mais qui semble, dès à présent, capital. En lançant une attaque là où on ne l'attendait pas sur un
flanc dégarni de l'armée russe, l'Ukraine a réussi une percée spectaculaire, libérant des milliers de km² de territoire et récupérant des milliers de tonnes de matériel et de munitions ennemis. Dans ce conflit de type classique qui vaut, au fond, comme une dernière itération de la guerre froide, ce moment où le faible devient le fort, révélant l'impéritie tactique et stratégique de l'adversaire, a une portée bien plus large que sa seule dimension militaire. Il montre la Russie telle qu'elle est, un pays en plein effondrement sanitaire et démographique, avec son PIB similaire à celui du Benelux, seulement riche de son espace et de ses matières premières, et dont la tentation impériale, sans doute, trouve ici son terme.<br />
De cet instant décisif dont les conséquences se feront sentir bien au-delà de l'Europe et pendant des décennies, les millions de citoyens dont l'accès à l'information se limite pour l'essentiel aux chaînes de télévision historiques ne sauront, pourtant, à peu près rien. Durant ces journées fatidiques, leurs antennes se sont en effet trouvées entièrement occupées par le décès d'une très vieille dame, souveraine d'un pays ami et dont l'indéniable importance historique relève malgré tout, en raison de la faiblesse des pouvoirs dont elle disposait, du seul symbole. L'espace des journaux télévisés lui étant intégralement consacré, les ressources mobilisées pour l'occasion interdisent de traiter quoi que ce soit d'autre, et tant pis si l'histoire s'écrit à quelques milliers de kilomètres de là, elle qui a l'indécence de ne pas respecter cette
période de deuil.</p>
<p>Alors, bien sûr, on connaît depuis longtemps les <a href="http://vallaurien.nuage-ocre.net/tele6_creil.html" target="_blank">contraintes</a> qui pèsent sur ces rédactions et modèlent le sommaire de leurs journaux. Pourtant, si leur format ne varie pas, il n'en va de même ni des moyens mis en œuvre, ni des contenus diffusés. La séquence historique qui se clôt peut-être aujourd'hui a commencé voilà plus de trente ans, avec la fin de l'URSS, et donc de son emprise sur les pays alors qualifiés de l'est. Avec les moyens d'une
époque encore très peu numérisée, où les liaisons par satellite étaient rares, âprement disputées et impliquaient l'emploi d'équipements lourds, les actualités télévisées ont, le mieux possible, rendu compte des effondrements successifs de ces dictatures. Alors, on voyait un <a
href="http://dirtydenys.net/?post/2009/11/10/ab-sofort" target="_blank">Patrick Bourrat</a> assurer dans des conditions précaires un direct depuis Bucarest. Depuis, l'évolution des techniques a fait sauter toutes les barrières à l'entrée, au point que n'importe qui peut aujourd’hui jouer au journaliste reporter d’images armé de son seul téléphone mobile. Pourtant, et parallèlement à l'explosion des contenus
facilement disponibles, l'actualité télévisée s'est appauvrie, se refermant sur un monde de plus en plus sommaire, et de plus en plus
fictif.</p>
<p>Un peu à l'image du répertoire d'action de <a href="https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1984_num_4_1_1719" target="_blank">Charles Tilly</a>, celle-ci puise ainsi dans un catalogue d'histoires, voire de légendes, certifiées authentiques, en rééditant un schéma qui, par le passé, a connu un tel succès public qu'il est réutilisé dès qu'on peut le repérer au milieu du flot complexe, imprévisible et protéiforme que prend la succession des événements. Ainsi voit-on, en Ukraine, le danger électronucléaire remis en scène
par les heurs et malheurs de la centrale de <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20220912-ukraine-le-spectre-d-une-catastrophe-nucl%C3%A9aire-sur-la-centrale-nucl%C3%A9aire-de-zaporijjia" target="_blank">Zaporijjia</a> dont on ne cesse de répéter qu'elle est la plus grande d'Europe, sa taille valant comme une quantification de la menace qu’elle représente. En effet, elle compte six réacteurs, comme celle de
Gravelines, et il faut l'intervention sur les ondes d'un <a href="https://twitter.com/i/status/1569178775673311234" target="_blank">Jean-Marc Jancovici</a>, avec sa singulière conception de la diplomatie, pour remettre le danger à sa place.<br />
Mais cet appauvrissement ne vient pas seulement du réemploi de thèmes connus : plus fondamentalement, il est le produit d'une lente évolution vers toujours plus de nombrilisme. La fonction essentielle d'un journal télévisé se limite aujourd'hui à fournir au spectateur
un contenu dont on sait qu'il lui convient. On le sait, puisqu'on dispose pour cela de ces sondages d'opinion qui explicitent scientifiquement l'opinion des Français, et tant pis si l'échantillon n'est pas représentatif, si les questions sont calibrées pour fournir la réponse attendue et si les non-répondants sont ignorés. Un pas de plus, et on arrive aux micro-trottoirs qui à la fois fournissent du contenu directement exploitable, et justifient à moindre frais de parler de ce dont on parle. Désormais, systématiquement, ils nourrissent les sujets qui traitent de ce qui intéresse les Français, la pénurie de moutarde, les fissures dans les maisons de campagne construites sur un sol argileux ou les
bouchons sur l'autoroute de retour des vacances.</p>
</p>Tout se passe comme si les rédactions avaient largement abandonné l'idée de produire des informations. Et après tout, ce n'est pas
vraiment leur métier puisque c'est celui des grandes agences de presse dont les dépêches sont désormais, le plus souvent,
accessibles en ligne, donc à tout un chacun. Ces nouvelles qui, voilà vingt-cinq ans, étaient diffusées au moyen de rares créneaux
satellitaires à destination des seuls diffuseurs professionnels ont, grâce à la démocratisation des techniques, trouvé un moyen de
toucher directement les foyers. Cette même démocratisation a permis aux individus de devenir, eux aussi, des diffuseurs, et avec des
contenus diablement intéressants quand, à l'image, parmi bien d'autres, d'un <a href="https://lavoiedelepee.blogspot.com/2022/09/1918-en-ukraine.html" target="_blank">Michel Goya</a>, ils interviennent dans leur domaine d'expertise.<br />
<p>L'éparpillement des réseaux, leur robustesse, la multiplication des terminaux y donnant accès permet de toujours avoir des images de la
guerre, quand bien même le front serait interdit aux correspondants qui, en ces jours de deuil international, éprouvent de toute façon
bien du mal à obtenir un petit espace pour leurs sujets. Grâce au web et aux réseaux sociaux, on peut, ainsi, suivre au jour le jour la situation en Ukraine, tout en échappant au programme unique de la retransmission des funérailles royales.</p>mergitururn:md5:585ae6701b1cbb76cfc9b8bc0bb6803f2021-11-30T19:19:00+01:002021-12-01T19:33:15+01:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Avouons-le d'emblée : on n'est pas opposé au fait que les propriétaires de deux-roues motorisés payent le stationnement de
leur véhicule sur la voie publique, pour peu que de simples règles d'équité et de proportionnalité soient respectées. Projetons-nous
donc dans une démocratie idéale, dans laquelle les droits des citoyens ne dépendent pas de l'endroit où ils habitent, et imaginons
la politique qui permettrait de mettre en œuvre ces principes. Qu'ils possèdent deux ou trois roues, les véhicules relevant de la <a
href="https://www.sra.asso.fr/infos-%C3%A9tudes/Cat%C3%A9gories%20de%20v%C3%A9hicules%202RTQM" target="_blank">catégorie L</a> ont comme première propriété d'occuper à peu près quatre fois moins d'espace qu'une automobile : il convient donc avant tout de leur appliquer un tarif quatre fois inférieur à celui que paye un automobiliste. La grande famille des deux-roues motorisés comprend par ailleurs, avec les cyclomoteurs et les motocyclettes légères, des engins purement utilitaires et de faible coût, dont le prix est souvent inférieur à celui d'un vélo à assistance électrique : l'équité, cette-fois ci, commande que leurs utilisateurs souvent modestes bénéficient d'un tarif bonifié. Il faut, enfin, préciser les modalités d'application de cette redevance. Posant donc comme principe l'occupation de l'espace public, cette taxe devrait être perçue auprès des seuls résidants, puisque les visiteurs, travailleurs ou consommateurs, viennent contribuer à la richesse de la ville sans pour autant saturer son espace. De plus, cette dernière mesure entraîne un avantage annexe, celui d'épargner au visiteur le besoin d'aller chercher un ticket à placer derrière son pare-brise, opération qui devient un peu compliquée quand on conduit un véhicule dépourvu du pare-brise en question.</p>
<p>On l'aura compris, ce monde idéal n'a rien de commun avec celui que construit la mairie de Paris, toute occupée qu'elle est à poursuivre sa politique anti pareto-optimale, puisque les faveurs qu'elle accorde au seul développement du vélo nuisent à toutes les autres catégories d'utilisateurs de l'espace public, et en premier lieu aux piétons. Autrefois relativement tranquilles sur ces trottoirs qui leurs sont légalement réservés, ils doivent désormais y subir la concurrence de cyclistes qui, en toute illégalité, sans craindre la moindre sanction et avec une parfaite impudence, ont décidé qu'ils se trouvaient beaucoup mieux à circuler là plutôt que dans la rue,
et souvent quand bien même la rue en question accueille une piste qui leur est réservée.</p>
<p>Cette municipalité dont la considération pour le genre humain se limite visiblement aux seuls parisiennes & parisiens fait à ses électeurs une offre qu'ils n'ont pas le droit de refuser, puisque les obstinés adeptes de la bécane thermique bénéficieront d'un
rabais de moitié par rapport au tarif automobile pour garer leur engin en bas de chez eux, et seulement là. Qu'ils utilisent leur
véhicule pour aller travailler dans un autre quartier, ce à quoi, généralement, cette machine sert, et ils se verront traités comme
n'importe quel allogène. En l'état actuel des connaissances, compte tenu du fait que l'offre en matière de parking souterrain pour les
deux-roues relève largement de la fiction, les plus <a
href="https://twitter.com/dirtydenys/status/1412713801753972737" target="_blank">modestes</a>
d'entre eux s’acquitteront alors d'une redevance annuelle supérieure
au coût d'achat de leur utilitaire. <br />
Tels étaient, du moins, les plans. Mais quelques semaines avant ce fatidique premier janvier où la nouvelle année devait sonner la fin
du stationnement gratuit pour les deux-roues motorisés, voilà qu'on rétrograde ; finalement, la mesure n'entrera en vigueur qu'en <a
href="https://www.francebleu.fr/infos/transports/paris-le-stationnement-payant-des-deux-roues-motorises-repousse-au-1er-septembre-2022-1637853063" target="_blank">septembre</a>, soit avec pas moins de huit mois de retard. Les éclaircissements
confus du responsable de la chose pointent comme toujours un problème technique, et les habituels coupables, l'informatique, et
la mauvaise volonté d'un gouvernement hostile. Des explications qui paraissent à <a href="https://twitter.com/espmaine/status/1464526082166644737" target="_blank">certains</a>
un peu courtes.</p>
<p>Alors, certes, on peut se contenter de voir là la marque habituelle de l'amateurisme et du dogmatique caractéristiques du militant écolo. On voudrait, pourtant, aller un peu au-delà de la facilité. L'univers des
deux-roues motorisés, appellation extrêmement générique qui englobe
aussi bien le <a href="https://twitter.com/dirtydenys/status/1430114571969310737" target="_blank">travailleur</a>
précaire sur son vieux cyclomoteur deux-temps bruyant et polluant que l'aristocrate des circuits allant travailler en supersport, en
passant par la norme urbaine du navetteur sur sa motocyclette légère dont on a présenté un exemple plus haut, est aussi large que,
socialement, économiquement, et sociologiquement, complexe, absolument spécifique, et réductible à aucun autre. Le connaître
implique d'engager quelques moyens, de prendre un peu de temps, et de laisser de côté ses prénotions. Et si l’État ne se donne même pas la peine de faire cet effort on se trouve, dans le cas parisien, un pas plus loin. Pour la municipalité actuelle, pas du tout gênée d'avoir totalement renié ses <a href="https://www.motomag.com/Paris-Charte-des-2-roues-1535.html" target="_blank">engagements,</a> ce monde pourtant très banal n'est pas seulement étranger : c'est un
monde dont elle ne veut rien savoir. En refusant de connaître et de reconnaître le choix des citoyens qui roulent en motocycle, elle ne
laisse d'autre espace que celui de l'affrontement.</p>stuff studiesurn:md5:03dccc04b3b1be2fc2ca44a1d61e7b942021-07-22T19:18:00+02:002021-07-22T18:32:09+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Voici peu, un article ou, pour être précis et utiliser le jargon académique, le <em>preprint</em> d'une contribution à venir, tombé par des détours que l'on ne connaîtra jamais sous les yeux du grand public, a causé sur la toile quelques <a
href="https://twitter.com/JeKalifa/status/1410611337412022283" target="_blank">remous</a>. Écrit par une normalienne philosophe et juriste, aujourd'hui <a
href="https://www.law.uconn.edu/faculty/profiles/mathilde-cohen#" target="_blank">professeure</a> de droit en général et de droit constitutionnel en particulier à l'université du Connecticut, il possède, il faut l'avouer, tout ce qu'il faut pour exciter les foules, à commencer par son <a
href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3819684" target="_blank">titre</a>, inqualifiable affront au génie national. Par là-même, il offre une occasion à laquelle on ne saurait résister de s'intéresser à cet univers étrange et confus qu'un commentateur hélas à jamais inconnu a si pertinemment qualifié de <em>stuff studies,</em> tout en tentant de faire un peu de pédagogie autour de cette discipline que tout le monde est sûr de connaître sans pour autant en savoir grand chose, la sociologie.</p>
<p>Pas de meilleur entrée en matière pour cela que de commenter sommairement l'article en question, et de chercher à débusquer sa véritable fonction. Résumée à la louche, la thèse de notre normalienne affirme que l'universalisme issu de la révolution de
1789, lequel ne reconnaît que des individus égaux en droits et dépourvus d'épaisseur ethnique, masque un racisme qui l'on
retrouve dans la vie quotidienne, en particulier à travers un élément présenté comme une valeur nationale de premier ordre, la
cuisine. Pour appuyer cette position, un corpus d'exemples va être présenté, corpus hétéroclite puisqu'il y sera question, entre
autres et tour à tour, de la grande distribution, des appellations d'origine contrôlées en général et du vin d'Algérie en
particulier, et des cantines scolaires. Hélas, aucun des arguments avancés ne résiste à l'analyse, à commencer par le premier, qui
fait de feu Joël Robuchon, caution de la marque Reflets de France, un héraut du nationalisme des cuisines. C'est qu'un détail manque : en fait de représentante du grand patrimoine culinaire, Reflets de France n'est qu'une simple marque distributeur, propre à l'enseigne <a
href="https://www.refletsdefrance.fr/points-de-vente" target="_blank">Carrefour</a>. Les concurrents, <a
href="https://www.e.leclerc/e/nos-regions-ont-du-talent" target="_blank">Leclerc</a>, ou Casino, capitalisent eux aussi sur le poncif des bons petits produits de qualité bien de chez nous, avec un degré de perversité supplémentaire pour le second qui présente avec Saveurs d'Ailleurs un équivalent <a
href="https://casinointernationalpartnerships.com/fr/content/6-toutes-nos-marques" target="_blank">mondialisé.</a><br />
On aura compris qu'au lieu de nationalisme, on a surtout affaire là, à l'heure où les banques sont solidaires, les assureurs
militants et les crèmes glacées délicieusement engagées, à une stratégie commerciale qui vise à la fois à briser le lien entre
grande distribution et produits bas de gamme, fruit d'années de concurrence s'exerçant essentiellement par les prix, et, au même
titre qu'avec la superstition des produits bio, à justifier le fait de vendre plus cher, donc avec une marge plus rémunératrice.</p>
<p>D'une manière générale, l'article procède toujours de la même façon : évoquer un fait relatif à l'alimentation, et
l'instrumentaliser comme une preuve de racisme, de nationalisme et de colonialisme. Ainsi en est-il du dispositif des appellations
d'origine contrôlées. Ce système permet de donner une garantie publique à des produits répondant à un cahier des charges particulier, et a été conçu à l'origine pour lutter contre les contrefaçons. Dans l'article, il se voit métamorphosé en vecteur d'oppression coloniale, d'abord outil de lutte contre la production de masse de la viticulture algérienne puis, plus généralement, contre toute espèce de produit importé, par définition dépourvu du précieux label bien-de-chez-nous. Que le principe soit aujourd'hui appliqué à l'échelle européenne ne change rien à l'affaire, le néo-colonialisme s'exprimant dès lors à plus grande échelle. Néo-colonialisme un brin paradoxal puisque, impliquant des contrôles menés sur le terrain par l'autorité publique, le système des appellations d'origine ne peut par définition fonctionner que sur un territoire soumis à l'autorité en question. Déplorer que les anciennes colonies en soient exclues revient à regretter qu'elles aient choisi l'indépendance.</p>
<p>S'alimentant essentiellement à l'aide de citations tirées d'une bibliographie riche de pas moins de 137 références, ce qui fait
quand même beaucoup pour un article de 50 000 signes, la rédactrice navigue de Gobineau à Frantz Fanon et Roland Barthes, de 1880 à nos jours, de l'INAO à l'UNESCO, du couscous au steak frites, de l'Algérie à la Réunion en passant pas Madagascar. Sa méthodologie, ses justifications théoriques tiennent en un seul principe : l'accumulation. Et comprendre ce processus oblige à
faire un petit détour par l'histoire de ce champ particulier de la connaissance que sont les <em>cultural studies. </em> </p>
<p>Pour ce faire, on s'aidera d'un <a href="https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1996_num_14_80_3799" target="_blank">article</a> maintenant un peu ancien d'Armand Mattelart et Érik Neveu, point d'entrée d'un numéro de Réseaux consacré à cette matière et qui, domaine de la revue oblige, traite essentiellement la question sous l'aspect media et communication. Il fait la généalogie de cette discipline qui a enfoncé un coin entre sociologie et littérature, décrit son institutionnalisation avec le Centre for Contemporary Cultural Studies de l'université de Birmingham autour de Richard Hoggart, puis de Stuart Hall, détaille son apport avec son intérêt pour des objets alors totalement délaissés, et délaissés notamment par une sociologie adepte de grande théorie et étroitement fonctionnaliste, ses limites, et ses dérives, avec la complaisance qui marque nombre de travaux paresseux, adoptant une posture que les auteurs qualifient de "radical chic." Depuis, les <em>studies</em> ont essaimé, conquérant de plus en plus de domaines, s'invitant dans une multitude d'universités et se cachant parfois dans les <a href="https://motorcyclestudies.org/why-motorcycle-studies/" target="_blank">endroits</a> les plus inattendus. La fortune du terme qui vaut comme une marque
de fabrique tient en son caractère qui fait sérieux et appliqué, alors même que la connaissance produite, laquelle se limite
souvent à un jeu circulaire de citations entre des auteurs reconnus et d'autres en passe de l'être, ne s’embarrasse d'aucune
considération de scientificité. Pour s'en convaincre, il suffira de lire ces travaux en se référant à cette série de billets publiés sur le
blog de Sciences Po Grenoble, qui offrent une manière de <a href="http://blog.sciencespo-grenoble.fr/index.php/2021/04/24/cest-la-difficulte-mais-aussi-la-chance-des-sciences-sociales-leur-expertise-sur-le-reel-fait-partie-du-reel-et-peut-contribuer-a-le-transformer/" target="_blank">discussion</a> épistémologique d'un grand intérêt, parfois critiquable mais
toujours accessible au non-spécialiste.</p>
<p>Alors, quelle peut être la fonction de l'article que l'on vient de commenter ? On formulerait volontiers l'hypothèse qu'il s'agit
là d'un élément dans une stratégie de placement, arme d'une lutte au sein du champ des sciences sociales où de nouveaux venus
cherchent à se ménager un espace. Leur succès leur fournira des rétributions variées, permettra au vainqueur de contrôler et la
manière de produire de la recherche, et les personnes aptes à le faire et, dans cet univers de budgets contraints, se fera au
détriment des disciplines en place.<br />
Pour finir, et au risque de mettre à mal le confort intellectuel de ceux qui trouvent en la sociologie un épouvantail utile qu'ils peuvent agiter à tout propos, on aimerait proposer un petit exercice, une comparaison entre deux travaux sociologiques publiés dans une même revue de premier plan, partageant la même méthode, l'observation, et traitant de sujets similaires, l'activité dans les beaux quartiers parisiens. Le <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2012-3-page-451.htm" target="_blank">
premier</a> est l’œuvre d'une directrice de recherches émérite, très appréciée à la gauche de la gauche, l'autre du
cher <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2005-1-page-47.htm" target="_blank">Henri
Peretz</a>. D'un côté, un billet subjectif débordant d'un identique mépris envers les puissants et leurs serviteurs ; de
l'autre un article scientifique, fruit d'un travail de terrain de longue durée et répondant aux normes de la sociologie
compréhensive : entre les deux, il devrait être facile de tracer la frontière de la distinction. </p>injectionsurn:md5:d41ae8fa81daa656365cd3d188c4af8b2021-05-31T19:16:00+02:002021-06-02T16:47:52+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Anticipons un peu. Imaginons le monde, l'Europe, la France plus particulièrement lorsque, d'ici quelques mois, selon toute
vraisemblance, la composante purement sanitaire de la crise actuelle sera terminée, et peut-être même déjà en partie oubliée. Alors, au milieu du foisonnement d'analyses qui paraîtront, une narration spécifique s'imposera sans doute. Elle commencera par rappeler les défis redoutables posés par ce virus répandu par des malades contagieux avant même d'avoir conscience de leur état et impossible à éradiquer autrement qu'en inventant des vaccins d'un nouveau genre, pour insister ensuite sur le façon dont, après quelques errements bien compréhensibles, ce diabolique adversaire sera finalement vaincu grâce à l'exemplaire mobilisation de la science, des citoyens, et des pouvoirs publics. On voudrait, pourtant, soutenir une thèse opposée, et voir dans la manière dont cette
campagne de vaccination a été menée une défaillance exemplaire du fonctionnement de l’État.</p>
<p>Essayons ainsi d'imaginer de quelle manière rationnelle, efficace et équitable un pouvoir idéal aurait abordé la question. Il s'agissait donc de faire subir à chaque citoyen adulte un processus qui aurait impliqué de l'immobiliser durant, disons, une demi-heure, en cherchant à minimiser d'éventuels désagréments. On doit tenir compte de quelques contraintes, logistiques, puisqu'il s'agit de distribuer le plus largement et le plus rapidement possible un vaccin accompagné d'exigences précises en matière de conservation, ce qui peut exiger quelques investissements, ou médicales, puisque l'administration du produit en question impose parfois de suivre un mode d'emploi assez particulier. Dans un pays pourvu d'un système de répartition pharmaceutique efficace, et bien doté en professionnels de santé, ces quelques obstacles ne peuvent être que mineurs. Reste alors à déterminer l'échelon de base du dispositif : ici, puisque 80 % de la population vit en <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806684" target="_blank">aire</a> urbaine, et 66 % dans une zone comptant au moins 10 000 habitants, le niveau communal s'impose. Les municipalités, après tout, gèrent de multiples fichiers, électoraux, sociaux ou scolaires, grâce auxquels elles connaissent leurs administrés, ont l'habitude de les réunir en grand nombre et de manière occasionnelle, ne serait-ce que pour leur permettre de voter, et disposent pour cela de tout le nécessaire. On peut, par exemple, affecter à la vaccination la traditionnelle salle des fêtes, par définition inutilisée à cause, précisément, de la pandémie, y installer le matériel indispensable, et mobiliser le personnel de santé adéquat. Ne reste plus qu'à gérer le fichier des patients, avec le soutien des spécialistes en ligne du rendez-vous médical lesquels, très tôt, se sont adaptés à la situation.<br />
Quitte à accepter des listes d’attente éventuellement longues, chacun pourra ainsi, à tour de rôle, effectuer pas loin de chez soi son devoir sanitaire de citoyen. Par simple charité, on ne s'attardera pas sur le choix incompréhensible de telle municipalité, laquelle n'autorise l'accès à sa salle de vaccination que par l'intermédiaire d'un numéro de téléphone, le tristement célèbre toutes les lignes de votre correspondant sont occupées, veuillez réessayer ultérieurement. Il s'agissait, en somme, de mener une opération qui deviendrait assez vite routinière, et serait conduite en quelques mois, sans heurts, et sans éclats.</p>
<p>Pourtant, ce n'est visiblement pas la stratégie choisie par l’État.
La manière dont <a
href="https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/saint-denis-93200/ouverture-du-vaccinodrome-geant-du-stade-de-france-ce-mardi-six-questions-que-l-on-se-pose-05-04-2021-8430681.php" target="_blank">tel</a> ou <a href="https://www.franceinter.fr/societe/le-vaccinodrome-du-stade-de-france-fait-sauter-les-criteres-d-age-pour-les-professions-prioritaires" target="_blank">tel</a>
organe de presse décrit le processus que les pouvoirs publics ont décidé de mettre en avant forme un curieux mélange entre la chanson de geste, récit du chevalier intrépide terrassant le hideux coronavirus, et le document comptable, détaillant les capacités de
traitement du Stade de France et recensant la quantité de viande humaine immunisée chaque jour. Un autre <a href="https://www.lesechos.fr/pme-regions/ile-de-france/saint-quentin-en-yvelines-le-vaccinodrome-souvre-aux-salaries-1316825" target="_blank">article</a>, racontant exactement comme une performance sportive la reconversion d'une autre arène, le vélodrome de Saint-Quentin-en Yvelines, insiste sur une propriété de ce genre de structure, leur capacité à attirer la presse internationale. Celle-ci, peut-être venue en voyage organisé, produira alors un discours hétéronome, puisqu'on lui propose un sujet prêt à servir et bien plus attrayant que le direct depuis la salle communale de Cormeilles-en-Parisis. Mais ces articles ignorent une faille inhérente à ces implantations centralisées, la couverture lacunaire de la population.<br/>
La Seine-Saint-Denis compte 1,6 millions d'habitants et dispose dans son coin sud-ouest d'un équipement sportif de grande taille et de renommée mondiale, rarement utilisé, et situé et à proximité de la capitale. Que l’État ait choisit de profiter de ces propriétés pour
en faire une vitrine de sa politique sanitaire ne montre pas seulement à quel point il se préoccupe, avant tout, de paraître. Pour les résidants de communes éloignées, peu équipés de véhicules individuels et mal desservis en transports en commun, venir se faire vacciner à cet endroit-là implique un effort, une dépense de temps, un risque peut-être même, bien plus importants que pour un habitant de centre ville. Présenter cet équipement centralisé comme une manière de faveur aux déshérités du département le plus pauvre de la région dit bien, au fond, combien on attend qu'ils se montrent reconnaissants de ne pas avoir été, simplement, oubliés.</p>
<p>Mais les lacunes de la stratégie publique ne s'arrêtent pas là. La prolifération anarchique des points de vaccination, laquelle semble largement commandée par la volonté de ne pas défavoriser telle ou telle branche des professions de santé, la confusion dans les critères de priorité appliqués à la population, leur constant changement de périmètre, la mise à disposition aléatoire d'un bien rare qui fait que l'on s'échange presque sous le manteau les adresses de cette pharmacie de Saint-Denis qui se trouve brutalement en possession de centaines de doses, ou de la caserne de pompiers d'un arrondissement parisien qui doit impérativement liquider son stock avant la nuit, tout cela illustre à merveille certaines tares du génie national. Un État défaillant, une
bureaucratie toute-puissante, le recours intensif au passe-droit et à la débrouille, le règne de la rumeur, les files d'attente qui se forment sans que l'on sache trop pourquoi et sans espoir de succès, l'épreuve vaut clairement comme une façon de vivre le quotidien de l'Europe de l'Est avant la chute du mur. Cette énorme expérience naturelle aura au moins montré à quel point la population donnée
comme la plus rétive au principe même de la vaccination ne l'était que parce que, comme toujours, elle répondait n'importe quoi aux
questions des sondeurs, ou plus exactement donnait la réponse qu'on attendait d'elle et qui avait l'avantage collatéral de conforter son image frondeuse. Et cette réponse ne saurait en aucun cas préjuger de son comportement dans la réalité. On aimerait que cette leçon-là, au moins, soit retenue. Mais soutenir ce point revient évidemment à démolir une part essentielle des ressources symboliques de la presse.</p>entre-soiurn:md5:ace4d9e7be48493811cd11bd3515afdc2021-01-29T19:36:00+01:002021-01-29T19:48:48+01:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Puisqu'ils vous invitent <a
href="https://lesecologistesgrandlyon.com/bilan-6-premiers-mois/" target="_blank">eux-mêmes</a> à le faire, il serait bien désobligeant de ne pas écrire, six mois après leur victoire électorale, quelques mots à propos de ces écologistes désormais au pouvoir dans une poignée de grandes métropoles du pays. Ainsi, à Grenoble, on se scandalise de la prétention d'une chaîne de restauration rapide, qui souhaiterait ouvrir un établissement en
plein centre ville. Le <a
href="https://twitter.com/EricPiolle/status/1354074368347926534" target="_blank">courrier</a> indigné que, avec le soutien du maire, deux élus viennent d'adresser au responsable de la chaîne en question illustre à quel point leur fonction municipale s'efface totalement derrière un activisme fondamentaliste entièrement acquis à telle ou telle cause. Prenant
comme cible une entreprise déjà implantée à <a
href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/isere/grenoble/grenoble-la-ville-s-oppose-a-l-implantation-d-un-nouveau-restaurant-kfc-1924699.html" target="_blank">Échirolles</a> et à Saint-Martin d'Hères, donc chez les pauvres et chez les
étudiants, ce qui revient à peu près au même, elle montre par ailleurs l'ampleur du mépris social propre à cette nouvelle
noblesse, qui ne saurait tolérer de voir ses terres souillées par des vendeurs de nourriture pour gueux. Après une telle pépite, on
est un peu déçu, en se déplaçant chez le grand voisin lyonnais, de n'y rien découvrir de plus qu'une <a
href="https://lesecologistesgrandlyon.com/2021/01/19/les-ecologistes-se-prononcent-pour-la-fermeture-de-la-centrale-du-bugey/" target="_blank">itération</a> supplémentaire d'un agenda désormais classique.</p>
<p>Dans cette ville, pourtant, un organe de presse local a mis en ligne des <a
href="https://www.rue89lyon.fr/2020/07/10/adjoints-adjointes-maire-lyon-conseil-municipal/" target="_blank">biographies</a>
de la nouvelle équipe municipale, fournissant ainsi un matériau qui mérite une analyse un peu plus fouillée qu'un simple paragraphe dans un <a href="http://dirtydenys.net/?post/2020/07/16/monotonie" target="_blank">billet</a>. Commençons par les rapports de force : sur 24 adjoints, 17 relèvent du courant EELV ; pas de doute, l'équipe municipale est monochrome, et verte. Question niveau d'études, la majorité s'exprime d'une manière tout autant massive : 21 élus disposent au minimum d'un diplôme Bac+4, la principale exception à la règle s'incarnant en la personne de l'adjoint le plus âgé, né en 1959, titulaire d'une licence et directeur d'une école primaire. En détaillant un peu plus, on ne trouve pas moins de sept diplômés de Sciences Politiques - Grenoble surtout, Paris un peu, universitaires sinon ; Pierre Bourdieu aurait adoré. On compte une même quantité d'ingénieurs - ESPCI, INSA Lyon, et deux centraliens. Mais également deux docteures - une géographe, une chimiste - et un doctorant en droit international, diplômé de Sciences Po Lyon, en thèse depuis septembre 2012.</p>
<p>Logiquement, ces formations supérieures conduisent à des métiers de cadres. Hélas, au moment de ranger ces adjoints dans les cases des professions & catégories socioprofessionnelles, l'INSEE fait partiellement défaut : datant de <a
href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/pcs2003/categorieSocioprofessionnelleAgregee/1?champRecherche=true" target="_blank">2003</a>, sa nomenclature rend délicat le classement de professions récentes, typiquement les créateurs de <em>start-ups</em>. Impossible, par ailleurs, de trouver facilement le détail du nombre d'emplois au niveau le plus détaillé de la classification. On devra donc se contenter d'une ventilation en 29 postes, qui a au moins le mérite
d'être disponible pour le département du <a
href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4515526?sommaire=4515574&geo=DEP-69#EMP3_V3_ENS" target="_blank">Rhône</a>.<br />
Là aussi, les choses sont simples : 19 des 24 adjoints relèvent de la catégorie 3 - cadres et professions intellectuelles supérieures ; les effectifs les plus fournis - quatre élus pour chacune - appartiennent aux catégories 31, professions libérales et
assimilées, 33, cadres de la fonction publique, 34, professeurs et professions scientifiques, et 38, ingénieurs et cadres techniques
d'entreprises. Dans le département du Rhône, les trois premières catégories forment 8 % de l'emploi total, et la dernière, 7,6 %.<br />
Ces données apportent enfin un dernier enseignement, qui relève de l'aspect plus singulier des parcours : militants pro-vélo,
engagements humanitaire ou dans une association locale, responsables chez France Nature Environnement ou au Réseau Action Climat, on coche toutes les cases du bingo écolo, la gagnante étant sans nul doute cette centralienne, fondatrice d'une start-up commercialisant en ligne des vins <a href="https://vegconomist.com/interviews/the-vegan-cellar-vegan-wines-to-your-doorstep/" target="_blank">vegan</a>.</p>
<p>Sans avoir le courage de pousser l'analyse plus avant, on peut parier que les portraits des élus <a
href="https://lesecologistesgrandlyon.com/elus/" target="_blank">écologistes</a> de la métropole ne feraient que confirmer l'impression que donne cette analyse. Le capital scolaire et social de ces élus, leur concentration dans quelques fractions des catégories sociales supérieures, leurs parcours associatif et militant qui se déroule lui aussi dans un espace restreint et interconnecté montre que leur engagement est aussi un moyen pour les catégories auxquelles ils appartiennent, jusque-là plutôt dominées dans le champ politique - ingénieurs, universitaires, chargés d'études - de se faire une place dans un espace occupé par les membres les plus prestigieux des professions libérales - médecins, avocats - par des chefs d'entreprises ou des hauts fonctionnaires, lesquels sont précisément absents des listes vertes.</p>
<p>Diplômée de Science Po Paris, militante dès le lycée, passée par <a
href="https://www.francetvinfo.fr/politique/melenchon/militante-a-l-unef-porte-parole-doxfam-sept-choses-a-savoir-sur-manon-aubry-tete-de-liste-de-la-france-insoumise-aux-europeennes_3412611.html" target="_blank">l'UNEF</a>, l'ancienne école pratique des apparatchiks du Parti Socialiste, <a href="https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/197533/MANON_AUBRY/cv#detailedcardmep" target="_blank">Manon Aubry</a>, qui fera ensuite toute sa carrière dans des organisations humanitaires avant d'être élue sur la liste de la France Insoumise au parlement européen illustre idéalement ce glissement qui permet, au prix d'une reconversion partielle, aux
vieilles écoles de l'élite d'occuper des territoires émergents, et de toujours monopoliser la clé de l'accès au pouvoir. <br />On ne peut
qu'imaginer sur quoi travaillerait le successeur d'un <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1979_num_34_4_294088_t1_0828_0000_002" target="_blank">Ezra
Suleiman</a>. Sans doute étudierait-il la position nouvellement acquise par le <a href="http://www.celsa.fr/" target="_blank">CELSA</a>, puisque tout le monde a remarqué que, si la politique de Nicolas Sarkozy était déterminée par les instituts de sondage et celle de François Hollande par des journalistes, celle du pouvoir actuel est écrite par des publicitaires. Il s'intéresserait sûrement à l'évolution d'organismes comme OXFAM, classique association humanitaire aujourd'hui connue pour ses rapports-chocs à la <a href="https://twitter.com/ordrespontane/status/1354117153016963073" target="_blank">méthodologie</a>
soigneusement affûtée, rédigés pour des journalistes convaincus d'avance, ou bien l'ADEME, autrefois simple agence destinée aux
particuliers souhaitant diminuer leur facture de chauffage, devenue le stratège autoproclamé de la politique énergétique nationale. Ici
comme ailleurs, il découvrirait ce que ces changements doivent aux ambitions de militants écologistes qui ont su s'installer dans la
place. Mais, aujourd'hui, où sont passés les <a href="https://www.persee.fr/issue/arss_0335-5322_1987_num_70_1" target="_blank">bourdieusiens</a> ?</p>pavageurn:md5:1b959c87995f64d756d2116276245a0a2020-11-19T19:15:00+01:002020-11-19T19:21:07+01:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Sans forcément le vouloir, David <a href="https://www.paris.fr/pages/belliard-david-2055/" target="_blank">Belliard</a>,
élu EELV au conseil de Paris, adjoint chargé des transports, a lancé les hostilités. On ne sait comment, il a eu connaissance d'un article de l'antenne strasbourgeoise de France 3 qui illustrait à l'aide d'un <a
href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/bas-rhin/strasbourg-0/images-premiere-strasbourg-six-tonnes-paves-livrees-velo-cargo-1893908.html" target="_blank">exemple</a> certes spectaculaire par son incongruité, puisqu'il s'agit de transporter sur des palettes tirées par des vélos électrifiés les pavés nécessaires à un chantier municipal, mais aussi marginal que ridicule un <a
href="https://www.vnf.fr/vnf/voies-navigables-de-france-et-la-societe-uls-lancent-un-nouveau-service-de-livraison-combinant-fluvial-et-velos-cargos-electriques-a-strasbourg/" target="_blank">accord</a> commercial passé entre Voies Navigables de France, le gestionnaire du réseau des voies d'eau, et un opérateur strasbourgeois de vélos-cargos.<br />
La manière <a href="https://twitter.com/David_Belliard/status/1327321163706589184" target="_blank">extatique</a>
dont l'élu parisien a rendu compte de cette information anodine déchaîna les <a
href="https://twitter.com/emma_ducros/status/1327547727375437824" target="_blank">critiques</a>,
et les sarcasmes. L'affront ainsi lancé à la vertu cycliste ne pouvant rester impuni, l'adjoint <a
href="https://twitter.com/David_Belliard/status/1327998703555194881" target="_blank">réagit</a> aussitôt, imité en cela par nombre de commentateurs, le moins intéressant n'étant pas ce journaliste des Échos qui défendit point par point la solution choisie. Inutile de le préciser, une telle séquence exerce sur l’observateur sarcastique un attrait si puissant qu'il se trouve incapable d'y résister.</p>
<p>Commençons par démonter <a href="https://twitter.com/etiennegoetz/status/1327930734267555840" target="_blank">l'argumentaire</a> rationnel qui justifie cette hétérodoxie. Celui-ci ne s'appuie guère que sur deux éléments : en premier lieu, un plaidoyer pour le transport fluvial, présenté comme une sorte d'initiative locale, et récente, dans une ville où l'on voit circuler sur le Rhin et ses canaux <em>"autre chose que des bateaux-mouche"</em>. Ensuite, la spécificité d'un trajet court dans des rues étroites, qui justifierait l'usage du vélo à remorque à la place du camion. Or, aucun des ces arguments ne tient. Rien de plus banal que de transporter par péniche au plus près des chantiers des charges telles le sable ou le ciment : jusqu'au cœur de Paris, la Seine ne sert pas seulement à promener ces quelques rares touristes, précieux témoins du monde d'avant. Elle reste bien évidemment un axe indispensable pour l'acheminement de matériaux de construction. Tout récemment, un client essentiel de cette activité a d'ailleurs connu quelques soucis environnementaux, qui lui ont valu d'être traîné dans la <a
href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/paris-lla-cimenterie-lafargeholcim-soupconnee-deverser-eaux-polluees-seine-1868238.html" target="_blank">boue</a> par les accusateurs habituels.<br />
Par ailleurs, faire comme si le choix se limitait à une alternative entre le vélo, et le 7,5 tonnes revient à ignorer une vaste gamme de véhicules, et en particulier ces petits <a href="https://www.goupil-ev.fr/g4" target="_blank">utilitaires</a> électriques répandus dans le monde entier, et dont il semblerait que la communauté urbaine de Strasbourg, maître d’ouvrage du <a
href="http://vroomvroom.canalblog.com/archives/2020/01/09/37917759.html" target="_blank">chantier</a>, soit équipée. Sans doute aurait-elle pu employer ses propres ressources pour faire ce travail, sans bruit, sans pollution, et à bien meilleur coût que le recours à un prestataire extérieur. Évidemment, en agissant ainsi, elle n'aurait eu aucune chance d'intéresser France 3.</p>
<p>Voilà guère plus d'un mois Luc Nadal, patron de <a href="https://www.gefco.net/fr/a-propos-de-gefco/decouvrir/histoire/" target="_blank">GEFCO</a> présentait dans <a
href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/camions-electriques-ou-a-hydrogene-le-plan-de-gefco-pour-depolluer-le-transport-routier-1254998" target="_blank">Les Échos</a> un plan d'électrification d'une toute autre ampleur,
propre à largement décarboner son activité de transport routier, grosse <a
href="https://ree.developpement-durable.gouv.fr/themes/defis-environnementaux/changement-climatique/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-des-transports" target="_blank">émettrice</a> de gaz à effet de serre. Il proposait notamment la construction, le long des axes autoroutiers, de hubs permettant aux chauffeurs de laisser en charge leurs tracteurs électriques. Les conducteurs feraient des allers-retours sur des distances qui les ramèneraient chez eux le soir, tandis que les remorques continueraient leur chemin avec un autre équipage. On résoudrait ainsi le principal problème des véhicules électriques, leur autonomie limitée, étant entendu que la capacité de leurs batteries suffirait malgré tout à assurer le trajet final jusqu'au client. En somme, une solution radicale qui ne nécessite ni progrès révolutionnaires, ni investissements colossaux, mais qui se rapproche de ces transformations qui se déroulent à bas bruit et dont personne ne parle, comme ce mouvement bien engagé chez les <a
href="https://www.planetsushi.fr/histoire"target="_blank">livreurs</a> de repas à domicile, lesquels remplacent progressivement leurs vieux cyclomoteurs deux-temps bruyants et polluants pas des <a href="https://redescooter.com/notre-blog" target="_blank">équivalents</a> électriques.<br />
Sur cette infrastructure spécifique et spécialement surveillée qu'est l'autoroute, imposer une nouvelle norme aux poids-lourds, eux
aussi fortement réglementés et surveillés, ne pose pas de problème insurmontable ; ici, l'essentiel de la contribution publique se limiterait à construire l’infrastructure électrique nécessaire. Pourtant, pour l'heure, rien n'est prévu en ce sens, et les
milliards du plan de relance vont plutôt s'engouffrer dans le puits sans fond du <a
href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/20200930-s%C3%A9rieplan-relance-espoir-le-fret-ferroviaire" target="_blank">fret</a>
ferroviaire. Le rail, pourtant, dit encore Luc Nadal, est incapable de satisfaire ses clients qui préfèrent <em>"recevoir dans leur usine un camion toutes les quatre heures et certainement pas un train une fois par semaine."</em> Ancien directeur de Fret SNCF,
on peut supposer qu'il sait de quoi il parle.</p>
<p>L'enthousiasme que l'anecdote strasbourgeoise suscite chez les pro-vélos, leur acharnement à présenter la solution retenue comme optimale et rationnelle là où elle n'est, pour tous les acteurs directement impliqués, qu'une manière facile de jouer les vertueux, a une portée bien plus large que cet humble cas d'espèce. Elle illustre idéalement cette volonté pathétique de résoudre les
problèmes lourds, complexes et globaux du moment par le recours à des micro-solutions qui, du moulin à vent à la construction en
paille, de la brique en terre crue aux fermes sans intrants artificiels, ont été abandonnées pour de très bonnes raisons et parfois depuis des millénaires. On ne cesse de s'interroger sur cette forme de génie pervers qui consiste à présenter ces voies déjà empruntées, et closes, comme inédites et innovantes. On peut en tout cas s'inquiéter de cette passion répétée pour le principe de
l'induction radicale, principe selon lequel n'importe quelle petite expérience menée dans un coin sombre acquiert automatiquement, pour peu qu'elle vienne soutenir vos prénotions, une validité universelle. Du point de vue de l'écolo, toutes les solutions sont
des vélos.</p>monotonieurn:md5:490b02540029709a46f973b529a110c92020-07-16T19:28:00+02:002020-07-18T10:55:46+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p> Au lendemain de ce qu'il est désormais convenu d'appeler la vague verte des municipales, Les Échos consacraient une page entière à ce sujet, page qui s'ouvrait par un commentaire pas très éloigné du dithyrambe ce qui, malgré tout, surprend un peu dans une publication en principe attachée à la cause du capitalisme triomphant. Mais l'important arrivait ensuite. Les électeurs ayant placé sept nouveaux venus à la tête de villes de plus de 100 000 habitants, il
était indispensable de faire leur connaissance grâce à de courtes notices <a
href="https://www.lesechos.fr/elections/municipales/municipales-qui-sont-les-nouveaux-maires-ecologistes-1219571" target="_blank">bibliographiques.</a> Reprendre ces notices permet de tirer de bien intéressantes conclusions qui seront, comme toujours, de nature sociologique. Résumons donc ce matériau, en procédant par ordre alphabétique.</p>
<p>À Annecy, on trouve avec François Astorg un profil atypique, autodidacte devenu consultant en management tout en rejoignant EELV en 2009. À Besançon, Anne Vignon géographe, ingénieure recherche au CNRS a accumulé une certaine expérience politique depuis qu’elle a été élue conseillère régionale en 2009. Prise majeure, Bordeaux a désormais comme maire Pierre Hurmic, <em>"le catho basque"</em> écrivent Les Échos, avocat de 65 ans, Vert depuis la création du parti et élu à la région, puis au conseil municipal, depuis 1992. Prise capitale, Lyon est désormais administrée par Grégory Doucet,
parisien, diplômé de l'ESC Rouen ; il a fait sa carrière professionnelle dans l’humanitaire, chez Handicap International, tout en rejoignant EELV en 2009. Seulement âgée de trente ans, diplômée de Sciences Po Léonore Moncond'huy, désormais maire de Poitiers, administratrice dans le scoutisme protestant, est cadre chez <a href="https://www.cayambeducation.com/" target="_blank">Cayambe Éducation</a>. Juriste spécialiste de l’environnement, <em>"engagée dans le milieu associatif"</em>, membre d'EELV depuis 2013, Jeanne Barseghian a été élue maire de Strasbourg. À Tours, enfin, ce poste échoit à Emmanuel Denis, ingénieur chez ST Microelectronics et, en même temps, administrateur de la section locale des inénarrables <a href="http://dirtydenys.net/?post/2013/02/07/ppl" target="_blank">Robin des Toits</a>, lui aussi adhérent d'EELV depuis 2013 et, fait rare, tête de liste du même parti lors des précédentes municipales.<br />
Fort succinct, ce résumé témoigne, une fois de plus, de la force des invariants sociologiques. Tous cadres ou professions libérales, tous évoluant dans le secteur tertiaire à la notable exception d'Emmanuel Denis qui vaut comme une sorte de copie conforme d'un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ric_Piolle" target="_blank">Eric Piolle</a>, ces nouveaux élus partagent fréquemment deux autres propriétés caractéristiques : une activité dans le domaine humanitaire, généralement en lien avec le tiers-monde, et leur foi chrétienne. Ce qui n'a absolument rien d'étonnant.<br />
Sujet de cet <a href="https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_38124.P001/REF.pdf" target="_blank">ouvrage</a> dirigé par Eric Agrikoliansky, Olivier Fillieule et Nonna Mayer, le tiers-mondisme, avec son engagement humanitaire souvent imprégné de <a
href="https://www.erudit.org/en/journals/theologi/2010-v18-n1-theologi1522654/1003548ar.pdf" target="_blank">catholicisme social</a>, fournira la matrice de l'altermondialisme, et, d'ATTAC à la Confédération Paysanne, donnera naissance à nombre d'organisations militantes qui forment une manière de substrat alimentant en partie l'écologie politique. Christianisme, engagement humanitaire, anti-capitalisme, autant de causes partagées par la mouvance écologiste, et qui font du militant EELV une sorte d'entrepreneur de morale multicartes.</p>
<p>Difficile, évidemment, de tirer des conclusions utiles d'effectifs aussi faibles. Heureusement, grâce a <a href="https://www.rue89lyon.fr/2020/07/10/adjoints-adjointes-maire-lyon-conseil-municipal/" target="_blank">Rue89Lyon</a> qui s'est tout récemment livré au même exercice, mais cette fois-ci avec les 22 élus lyonnais de la liste de Grégory Doucet, on dispose de quoi valider un peu mieux ses observations. Et ces fiches biographiques révèlent, en première analyse, une uniformité proprement effrayante. Centrale, Sciences Po Grenoble, masters ou diplômes d'ingénieurs divers, doctorats en droit ou en géographie, tous ces élus sont diplômés du supérieur. À une seule exception près, aucune diversité non plus dans leur origine ethnique. Dignes représentants de cette nouvelle aristocratie intellectuelle des centres villes, ils se ressemblent aussi par leurs métiers, enseignants, consultants, ingénieurs d'études avec parfois plusieurs occurrences de spécialités étroites comme l'urbanisme. À l'inverse, des secteurs entiers des professions intellectuelles manquent à l'appel, tels les métiers de la gestion, la santé ou la haute fonction publique. Tous semblables, tous interchangeables, dépourvus d'originalité, promoteurs d'une idéologie aussi mesquine que régressive, ces élus ne comptent pas pour peu dans l'ennui incommensurable qui accompagne cette époque sinistre. Avec eux, on retrouve un peu l'entre-soi de Terra Nova, <em>think tank</em> en théorie, club de quadragénaires socialistes HEC-Sciences Po-ENA en réalité. Mais ceux-ci, au moins, ne font que produire des rapports là où les exécutifs municipaux disposent de larges possibilités d'agir sur la vie quotidienne de
leurs administrés, et en disposent pour six ans puisque, avec celui des sénateurs, leur mandat est le plus long de la République.</p>
<p>À Lyon, de plus, les conseillers municipaux de la majorité, tous sauf un, sont novices. Et ils partagent avec leurs collègues des autres villes une ultime propriété, celle d'être, et de très loin, les représentants les plus mal <a
href="http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2020/07/TSUNAMI_2020-07-10_Version-finale.pdf" target="_blank">élus</a>
de toute l'histoire de la Vé République. La minceur de la couche sociale dont font partie ces élus recrutés dans quelques fractions des catégories supérieures n'a d'égale que l'étroitesse de leur base électorale. N'ayant d'autre expérience politique qu'un militantisme, le plus souvent, de fraîche date, ils débutent leur mandat avec une inexpérience totale, tout en subissant le handicap d'une illégitimité considérable. La raison voudrait que, dans de telles circonstances, ils fassent au moins preuve de quelque prudence. Hélas, ils appartiennent à un parti adepte des mesures radicales, et qui n'est pas spécialement connu pour ses inclinaisons libérales. Avec un brin de cynisme, ils pourraient prendre acte des conditions exceptionnelles grâce auxquelles ils se retrouvent au pouvoir, et
imaginer qu'elles ne se reproduiront pas. En somme, ils ont maintenant six ans pour tout changer, sans avoir à tenir compte d'aucune opposition s'exerçant à l'intérieur du cadre institutionnel. Qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?</p>catéchismeurn:md5:d0421c6a91d81e2dad96aefb9f3160c92020-06-30T19:20:00+02:002020-07-01T18:29:32+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Un personnage secondaire du <a href="https://youtu.be/xqkXJsfu3VU" target="_blank">Persepolis</a> de Marjane Sartapi, récit autobiographique qui commence quelques années avant la révolution islamique iranienne, avoue son désespoir en découvrant que le directeur de l'hôpital dont dépend la survie de
son mari cardiaque se trouve être un ancien laveur de carreaux, lequel n'a donc d'autre qualité à occuper cette fonction que sa foi, et sa fidélité au nouveau régime. En première analyse, la particularité des membres de la <a
href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/" target="_blank">Convention</a> citoyenne pour le climat qui vient de rendre ses conclusions ne
réside pas tant dans leur compétence a priori pour traiter des problèmes qui leur ont été soumis que dans un mode de sélection présenté, lui, comme démocratique.<br />
Leur rapport, pourtant, s'ouvre par une double dissimulation. L'élection des 150 participants aux débats n'a en effet pas été abandonnée au seul hasard : une première <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/comment-sont-ils-selectionnes-2/" target="_blank">sélection</a>
aléatoire a permis de recruter des volontaires, lesquels ont ensuite été tirés au sort pour constituer un échantillon représentatif conforme à la classique méthode des quotas. Qui a accepté d'en être, qui a refusé, combien sont-ils, quelles sont leurs particularités ? Comme d'habitude, on ne le saura pas, mais on peut parier que les participants avaient chacun de bonnes raisons de s'embarquer dans une procédure contraignante, une manière de session d'assises qui
durerait neuf mois : les <a href="http://www.sintomer.net/">spécialistes</a> de la démocratie participative ont depuis longtemps montré à quel
point celle-ci était peu représentative. Ne rien connaître d'eux que leur prénom et, dans de rare cas, leur nom, tout ignorer de leur
parcours professionnel, de leur métier, de leurs engagements et de leurs convictions, à l'heure on l'on attend désormais de chaque <a
href="https://theconversation.com/110km-h-sur-autoroute-lanalyse-couts-benefices-debride-le-debat-democratique-141474" target="_blank">chercheur</a> intervenant publiquement une déclaration d'intérêts détaillée pose à tout le moins un sérieux problème. Alors que le savoir devient suspect, l'innocence viendrait ici du tirage au sort, et d'une forme de virginité face aux questions à traiter, un peu comme lorsque l'on envoie le dernier né sous la table pour désigner l'ordre dans lequel seront distribuées les parts du gâteau des rois.</p>
<p>L'innocence, et l'ignorance. On est frappé de constater, en consultant ce rapport traitant pourtant de matières techniques et complexes, l'absence de toute référence à quelque littérature scientifique que ce soit. Pas d'état des lieux, pas de rappel historique, pas de rétrospective d'une action publique qui commence
pourtant avec le fameux décret impérial sur les établissements insalubres et dangereux datant de 1810, pas de mention des énormes progrès accomplis depuis et dont peut par exemple témoigner le <a href="https://www.citepa.org/fr/presentation/" target="_blank">CITEPA</a>, créé
voilà presque soixante ans. On évolue en pleine fiction, dans une fiction révolutionnaire qui voudrait que le peuple, fort de son honnêteté et de son bon sens, soit mieux à même de trouver la solution que les scientifiques qui étudient la question depuis des décennies, dans un système d'inversion des valeurs où sept semaines de séminaire valent plus que huit ans d'études supérieures.</p>
<p>En d'autre termes, on se trouve face à un simulacre. Fort logiquement, le contenu du rapport se révèle purement hétéronome. On pourrait s'amuser, en l'analysant en détail, en relevant la plus ou moins grande technicité des rédactions, les styles propres à telle ou telle partie, les rares références à tel ou tel organisme et en particulier à l'ADEME, à imaginer qui a bien plus tenir, dans les faits, la plume. Le bréviaire ainsi constitué, qui dépasse très largement l'objectif initial de s'intéresser aux seuls gaz à effet de serre, se présente en tout cas comme un copier-coller du programme de n'importe quelle municipalité verte, Grenoble, au hasard. Il constitue une forme de vulgate de ce que tout un chacun croit savoir sur la question, catalogue de prénotions, de préjugés et de lieux communs. À titre d'exemple, et faute de pouvoir traiter l'ensemble, on va s'intéresser à une proposition spécifique.<br />
Page 87 figure un objectif déjà passé à la trappe au seul prétexte de son danger pour l'attractivité du pays, celui de prélever 4 % des dividendes versés par les entreprises lorsque leur montant dépasse 10 millions d'euros. Mais un peu plus loin pourtant, dans le cadre de la <em>"transcription légistique"</em> qui accompagne chaque mesure, la réalité reprend les choses en mains : cette proposition reviendrait à réinstaurer la fameuse taxe de 3 % votée en 2015, censurée par la CJUE et déclarée ensuite inconstitutionnelle. Dommage de ne pas avoir ajouté que cette initiative si pertinente avait coûté dix <a
href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/la-taxe-sur-les-dividendes-histoire-dun-fiasco-1011788" target="_blank">milliards</a>
d'euros au Trésor, ce qui aurait permis de rappeler aux participants que leurs décisions ont des conséquences. Parfois, pourtant, une inspiration surgit : page 219, on propose de moduler la taxation des véhicules polluants en fonction de leur poids. C'est pas bête ; hélas, la convention a totalement oublié cet engin cinq fois moins encombrant, cinq fois plus léger et deux fois plus sobre qu'une automobile moyenne, et dont se satisfont nombre de navetteurs sans pourtant en tirer la moindre gratification, fût-elle symbolique.</p>
<p>On voit ainsi les limites d'un exercice qui vient s'insérer dans un environnement technique et juridique que les participants, non spécialistes par définition, ignorent. Sauf à déclarer l'écologisme dans un seul pays, on voit d'ailleurs mal l'intérêt de la chose alors que, en particulier grâce à cette <a
href="http://dirtydenys.net/?post/2018/08/29/narcisse" target="_blank">énergie</a>
que la convention fait, avec un plein succès, tout pour ignorer, la France appartient au club des plus vertueux en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Évoluant dans les limites étroites du monde qui leur est connu, travaillant selon un principe de consensus nécessairement conformiste, il était inévitable que les participants en viennent à réinventer la roue, avec le risque, parfois, que celle-ci soit carrée. Renforcer, accompagner, favoriser, développer, inciter : les
termes qui reviennent de façon récurrente dans les propositions, leur traduction juridique qui se limite presque toujours à amender des textes existants montre combien l'exercice s'est révélé futile. Finalement, le meilleur argument contre la démocratie participative, c'est de réunir 150 individus sans qualité pour leur demander d'imaginer le futur.</p>servitudesurn:md5:1a5f85cf4aa55cc128980960ee8e2c6f2019-09-13T19:31:00+02:002019-09-13T18:43:02+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>L'article avec lequel <a
href="https://www.motomag.com/Le-Moto-Magazine-no360-septembre-2019-est-en-kiosque.html" target="_blank">Moto Magazine</a> ouvre sa livraison de rentrée a comme première vertu de rappeler l'existence de ces usagers de la route qui ne comptent pour personne, et surtout pas pour les autorités, les utilisateurs de deux-roues motorisés. Puisque telle est sa fonction, et sa clientèle, on dira qu'il s'agit là d'une manière de programme
minimum. Son autre intérêt se trouve dans le résumé qu'il fait d'un document riche et composite, une manière de bilan et de perspectives
pour le boulevard périphérique parisien tels qu'ils ressortent d'une
<a
href="https://www.paris.fr/pages/40-propositions-pour-transformer-le-peripherique-6844/" target="_blank">mission</a>
d'évaluation menée avant l'été au Conseil de Paris. Malheureusement, une troisième vertu fait défaut à l'article en question, celle,
au-delà de la défense des invisibles, de critiquer le rapport lui-même, et plus encore ses assertions présentées comme autant
d'évidences, et qui convergent vers un unique objectif : comment transformer cette voie que l'on présente comme l’autoroute
urbaine la plus fréquentée d'Europe en aire de jeux ?</p>
<p>Pour cela, il faudrait peut-être commencer par faire, plus que de l'histoire et de la géographie, un peu de topographie. Ce boulevard
circulaire exclusivement destiné, comme les autoroutes, à accueillir des véhicules motorisés à la seule exclusion des cyclomoteurs, a
donc été édifié entre 1956 et 1973, en cette période que l'on nous présente comme celle de la toute puissance automobile, et qu'il
convient désormais, selon les préconisations et le vocabulaire de l'heure, de déconstruire. Le chantier a profité d'une propriété
spécifiquement parisienne, cette <a href="http://dirtydenys.net/?post/2009/10/23/bienvenue-dans-la-zone" target="_blank">zone</a>
à peu près libre de constructions, vestige de la dernière en date des enceintes de fortifications municipales. À de rares exceptions
près, le boulevard a alors été bâti au plus près des limites communales, rejetant ainsi l'essentiel de ses nuisances sur les
habitants de la banlieue. Mais son profil n'a rien d'uniforme, puisqu'il a fallu franchir fleuve et faisceaux ferroviaires, et
s'adapter à des écarts de niveaux significatifs. Ainsi, nous dit le rapport, le boulevard se retrouve au niveau du sol sur seulement
10 % de son linéaire ; pour le reste, il se transforme soit en
viaduc, soit, un peu plus fréquemment, en tranchée.<br />
Mais la répartition de ces sections est loin de se faire de manière
égalitaire : à l'ouest ou plutôt, pour parler comme certains
sociologues, dans les beaux quartiers, entre la porte Dauphine et la
porte de Saint-Cloud, le boulevard reste largement souterrain,
passant notamment sous le Parc des Princes, tout en profitant du
bois de Boulogne pour rester loin des habitations. Plus loin, côté
parisien, il longe surtout des installations sportives, des espaces
commerciaux tels le parc des expositions, et des cimetières. Pour
l'essentiel, ses nuisances se manifesteront dans le quart
nord-est de la capitale, chez les pauvres, en somme. Porte des
Lilas, seul endroit où les limites de la ville s'étendent largement
au-delà de la tranchée occupée par le boulevard, la municipalité
vient d'achever un gros chantier de couverture, qui efface
totalement la coupure. Mais elle n'envisage pas de réitérer
l'opération ailleurs : c'est que, nous apprend le rapport, les
mesures de sécurité imposées après l'accident du tunnel du
Mont-Blanc rendent un tel projet prohibitif. Enfin, et sauf pour les
malheureux habitants de l'est de Clichy-la-Garenne qui voient les
38 tonnes défiler sous leurs fenêtres, le périphérique accueille, et
redistribue vers des destinations plus ou moins lointaines, la
trafic de sept des huit radiales qui convergent vers Paris. Là se trouve sans
doute son crime essentiel.</p>
<p>C'est en tout cas ainsi que l'adjoint chargé des transports à Paris
voit les choses, lui qui précise, dans le rapport, que cette
infrastructure, entièrement à la charge du contribuable parisien,
sert pourtant essentiellement à ses <em>"voisins métropolitains"</em>,
et vaut comme marque de solidarité à leur égard. De la part d'une
municipalité qui vide ses égouts à Clichy, brûle ses ordures à
Saint-Ouen, Issy-les-Moulineaux ou Ivry, détruit ses déchets
hospitaliers à Créteil et n'hésite pas, si les circonstances
l'exigent, à rallumer sa chaudière au charbon de Saint-Ouen pour
réchauffer ses habitants, une si bouleversante générosité émouvra
les cœurs les plus endurcis.<br />
On a donc décidé d'en finir avec <em>"l'autoroute urbaine la plus
proche d'un centre-ville"</em>. Pour justifier ce parti-pris un
brin radical, pas de meilleur prétexte que la pollution
atmosphérique que génère son trafic. Là, face au musée des horreurs
médicales, la petite voix d'Airparif dont la responsable des études
rappelle que les parisiens subissant un dépassement de la valeur
limite en matière de particules fines ne sont plus que 80 000, soit
25 fois moins nombreux qu'en 2007, voilà seulement douze ans, peine
à se faire entendre. Il n'empêche : l'urgence l'exige, la
décision est prise. Mais alors, que mettre à la place ?</p>
<p>Un élément saillant de la profusion de projets traçant l'avenir de
l'autoroute urbaine, et qui visent à tout faire pour qu'elle cesse
d'être ce qu'elle est, proposant qui des pistes cyclables, qui une
ligne de tramway, et, d'une manière générale, sa transformation en
un <em>"boulevard urbain"</em> consiste en ceci que leurs auteurs
oublient, par étourderie sans doute, que tout cela existe déjà, de
manière effective, fonctionnelle et efficace, sur cet anneau qui
double le périphérique au plus près de la ville, et que l'on appelle
le boulevard des maréchaux. De façon moins anecdotique, on compte
visiblement beaucoup, pour remplacer le périphérique une fois
déclassé, sur un axe qui existe déjà : il s'agit de l'autoroute A86
qui, au moins sur les cartes routières, double le boulevard
annulaire quelques kilomètres plus loin.<br />
Malheureusement, cette
solution s'accompagne de deux inconvénients que l'on n'évoque
guère : déjà saturée, cette circulaire est incomplète. Toujours
à l'ouest, pour préserver la tranquillité des habitants et la paix
de leurs forêts, le viaduc devient tunnel, un tunnel à péage,
réservé aux seuls automobilistes. Le transit des poids-lourds, cette
servitude qui n'est pas près de disparaître, doit donc s'effectuer
ailleurs : où prendra-t-il place quand le périphérique lui sera
interdit ?</p>
<p>Comme sortie du chapeau d'un illusionniste, cette fausse solution,
qui satisfait la proche banlieue tout en rejetant les nuisances au
loin, permet d'entrevoir la raison d'être de ce projet. Un coup
d’œil aux annexes du rapport confirme cette impression. Elles
présentent en effet, et en détail, une impressionnante liste de ZAC,
ces plans d'aménagement d'espaces autrefois déshérités mais
aujourd'hui, dans une ville désespérément en manque des terrains à
bâtir, vitaux, zones toute situées autour du, sous, et parfois sur,
le périphérique, et dont la plus célèbre accueille, à quelques
mètres de l'anneau infernal, le tribunal de Paris. Si Paris veut en
finir avec le périph', c'est parce qu'elle a besoin des terrains
qu'il occupe : pour cela, il lui faut s'entendre avec les
riverains, ces communes de la petite couronne invitées, par faveur
spéciale, à donner leur avis lors de la consultation, et donc agir
ainsi de concert, au détriment des villes plus éloignées, qui
subiront les conséquences du report du trafic.</p>
<p>Il fut un temps où Paris était une capitale, une ville qui, d'une
certaine manière, acceptait, en échange des multiples avantages que
lui apportait son statut, des servitudes de nature diverse qui, au
demeurant, ne découlaient pas tant de sa position centrale que de sa
situation au cœur d'une métropole qui compte douze millions
d'habitants. Avec l’aristocratie rose-verte aujourd'hui au pouvoir
et son imaginaire villageois, ces servitudes sont, méthodiquement,
l'une après l'autre, effacées, quitte à les déporter intégralement
sur ses voisines. Pour ce faire, cette ville écrasante abuse sans
l'ombre d'un scrupule de sa position de force. La production de
cette chimère administrative dans laquelle une ville se confond avec
un département a démontré combien elle était nuisible : pour
rétablir un peu d'équité, pas d'autre moyen que de dissoudre cette
municipalité dans un ensemble plus vaste, que, par respect de
l'histoire, on pourrait appeler le Grand Paris, et de revenir au
système des mairies d'arrondissement. La mise sous tutelle publique
d'une ville en faillite après 2024 fournirait un prétexte idéal à
cette nécessaire réforme.</p>étudesurn:md5:09ee8bd812c7e59f7f999cede8bbbefb2019-05-28T19:19:00+02:002019-05-29T20:21:23+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Lorsque, un lendemain de résultats d'élections, Les Échos consacrent l'essentiel de leur page quatre à commenter une récente étude de
l'INSEE, on imagine qu'il s'agit d'une affaire grave. Et de fait, si le titre choisi par le quotidien reste évasif, puisqu'il pointe un effet négatif des grèves de transports sur la santé, l'institut statistique se montre bien plus inquiétant sans pour autant, en première analyse, fournir des éléments d’une nouveauté radicale. Affirmer, en effet, que la <a
href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4160040" target="_blank">pollution</a> de l'air due à la circulation automobile entraîne une augmentation
des maladies respiratoires relève a priori du truisme. Si tel n'était pas le cas, on se demande bien pourquoi, depuis plus de cinquante ans, les États européens auraient engagé un grand <a href="http://sociomotards.net/index.php/2016/09/29/sante-publique/" target="_blank">combat</a> contre la pollution atmosphérique, mettant en œuvre des politiques de plus en plus restrictives, et dont le succès se lit dans les <a href="http://www.airparif.fr/publications/" target="_blank">bilans</a> annuels publiés par les organismes en charge de la surveillance de la qualité de l'air. Qu'a donc inventé l'INSEE pour justifier la
rédaction d'une étude de plus ?</p>
<p>L'institut, en fait, s'abandonne à un péché mignon propre aux économistes, l'expérience naturelle, dont le principe consiste à trouver une façon originale de torturer une ou plusieurs séries statistiques, de manière à leur faire avouer des vérités sans rapport avec celles qu'elles étaient supposées mesurer. Ici, on va associer, selon une méthodologie détaillée sur cette <a
href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4160040#documentation" target="_blank">page</a>, les admissions dans les services d'urgences hospitaliers pour une affection des voies respiratoires supérieures, et l'augmentation du trafic automobile qui survient lorsqu'un jour de grève dans les transports en commun conduit les usagers de ceux-ci à réutiliser leur voiture pour effectuer leur trajet habituel. L'hypothèse, quand même assez alambiquée, que veut vérifier l'étude établit un lien direct entre ces déplacements en automobile, plus nombreux, donc plus lents à cause des encombrements qui découlent d'un trafic plus dense, la hausse de la pollution concomitante, et leur conséquence sanitaire immédiate, un nombre d'admissions aux urgences supérieur à la normale. Si court soit-il, ce travail n'est pourtant pas avare d'éléments étonnants.</p>
<p>Si le trafic automobile, et seulement automobile, dans les grandes aires urbaines choisies par l'INSEE se mesure assez facilement, le choix des deux polluants retenus, monoxyde de carbone et particules d'un diamètre inférieur à 2,5 µm, alias PM 2,5, surprend. Le premier, comme le <a
href="https://twitter.com/dirtydenys/status/1127155458157043712" target="_blank">rappelle</a> AIRPARIF, qui surveille l'air de l'Île-de-France, se rencontre à des niveaux très faibles, souvent inférieurs d'un facteur dix au niveau considéré comme une limite acceptable. Dès lors, on voit mal en quoi une hausse même forte de sa concentration dans l'air ambiant produirait un effet sur la santé des individus. La substance, certes, est mortelle : mais pour cela, il faut réunir à la fois une situation de confinement, et une concentration de gaz bien plus forte, deux conditions antinomiques avec des déplacements à l'air libre. Quant aux particules PM 2,5, leurs effets, nous dit AIRPARIF, concernent pour l'essentiel des malades chroniques ; le réseau qui les mesure, de plus, reste très lacunaire. L'ozone et le dioxyde d'azote, à l'inverse, produisent des effets immédiats sur les voies respiratoires, et constitueraient donc un indicateur
particulièrement adapté à ce que recherche l'INSEE lequel, pourtant, n'en fait pas état.<br />
Mais il y a pire. Les effectifs de malades admis aux urgences apparaissent si surprenants qu'on en vient à se demander si quelqu'un, quelque part, ne s'est pas planté dans ses ordres de grandeur. En temps normal, nous dit l'INSEE, les urgences admettent en moyenne journalière 0,8 malades par million d'habitants pour les pathologies qui intéressent l'institut. Lorsque les transports publics sont en grève, on en compte 0,3 de plus. On croit comprendre, pour illustrer les choses un peu sommairement, que, d’ordinaire, pour l'aire urbaine de Paris où l'INSEE <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=AU2010-001" target="_blank">recense</a> 12,5 millions d'habitants, on a en moyenne dix admissions quotidiennes aux urgences pour des pathologies telles que la laryngite ou la pharyngite, pourtant fréquentes et bénignes. Les jours de grève, ce chiffre passe à treize. En d'autres termes ce
qu'on mesure là, ce que les estimations de lNSEE donnent, et sans même évoquer la question de l'incertitude statistique, ne tient même pas dans l'épaisseur du trait.</p>
<p>Cette étude en évoque une autre, menée, entre autres, au sein de l'INSERM par une toute jeune docteure, <a
href="http://presse.inra.fr/Communiques-de-presse/Moins-de-cancers-chez-les-consommateurs-d-aliments-bio" target="_blank">étude</a>
qui notait une baisse significative de la fréquence de certains cancers chez les consommateurs d’aliments bio. Quel que soit le soin apporté à une neutralisation aussi poussée que possible des multiples biais qu’entraîne un travail de ce type, conduit sur une cohorte de vrais gens qui font état de leur comportement, alimentaire ici, on ne peut, raisonnablement, lancer une telle recherche en ignorant qu'elle n'épuisera jamais les incertitudes inhérentes à sa méthode, ce pourquoi elle ne découvrira rien d'autre que des évidences, en l'espèce que les individus plus riches, plus éduqués, plus soucieux de leur santé sont, effectivement, en meilleure santé que les autres.</p>
<p>Dans <a
href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1984_num_52_1_3329" target="_blank">La manifestation</a>, vieil article toujours indispensable, Patrick Champagne, alors sociologue à l'INRA, invente la notion de "manifestation de papier", désignant ainsi ces démonstrations publiques qui visent essentiellement à fournir à la presse une sorte de prestation, un spectacle suffisamment attractif et caractéristique, apte à bien représenter le groupe qui l'organise, destiné moins à exprimer une revendication qu'à garantir une large couverture dans les journaux et les actualités télévisées. De la même façon, avec leur contenu scientifique infime, avec leur thématique très grand public, avec leur mise en scène des problèmes de l'heure, pollution atmosphérique
ou peurs alimentaires, les études citées plus haut sont un peu des recherches pour la presse, qui valent moins par leur contenu que par les avantages symboliques qu'elles fournissent aux institutions qui les publient, avantages qui se monnayent en notoriété voire, peut-être, en financements. Ici, une rapide <a
href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/la-pollution-automobile-augmente-les-passages-aux-urgences_3464703.html#xtor=CS1-747" target="_blank">revue</a> de presse montre que le message est bien passé, mais qu'il reste des progrès à faire pour le rendre compréhensible. Mais au moins, on y gagne quelque chose puisque, ainsi, la fameuse "étude américaine qui montre que" peut désormais être produite bien plus près de chez nous.</p>germanismeurn:md5:2751a61033edaadfcb7c22f7a8e3aec22018-09-27T19:35:00+02:002018-09-28T18:37:40+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Il ne saurait être question, pour l'amateur d'architecture moderne et contemporaine passant deux petites journées dans une ville inconnue, de ne pas en profiter, les obligations militantes l'ayant amené ici une fois remplies, pour pratiquer ce tourisme urbain un peu particulier qui néglige tout ce qui a été construit avant 1890. À cet effet, il récoltera sur le web de quoi établir son programme, en commençant, trivialement, par explorer les ressources mises à sa disposition par la municipalité. Hélas, ici, on n'est pas à <a href="http://www.nancy-tourisme.info/2015/08/05/10-lieux-art-nouveau-incontournables-a-voir-a-nancy/" target="_blank">Nancy</a> ; on est à <a
href="https://metz.fr/decouvrir-partager/lieux-patrimoine.php" target="_blank">Metz</a>.</p>
<p>Comme une collection d'églises identiques à ce que l'on trouve partout ailleurs ne saurait justifier des kilomètres de
déambulations, on va regarder ailleurs, et on tombe sur la ville impériale, ce <a
href="http://www2.culture.gouv.fr/culture/inventai/itiinv/archixx/pann/p41.htm" target="_blank">quartier</a>
construit autour de la gare au début du siècle dernier, et qui manifeste de la façon la plus claire la manière dont l'empire
allemand entendait inscrire sa domination dans le paysage urbain. Banque, poste centrale, chambre des métiers, hôtel des mines, toutes ces institutions que l'industrialisation rend indispensable obéissent au même <a
href="https://www.triangle-imperial.fr/le-quartier/" target="_blank">schéma</a>, monolithes imposants souvent composés de grès rose, bâtiments massifs dans lesquels un esprit pervers lirait une volonté inconsciente de conforter les plus ordinaires stéréotypes de lourdeur germanique. Mais en insistant, on découvre pourtant tout autre chose.<br />
Ainsi, une visite attentive de la gare révélera quantité de décorations d'inspiration florale ou animale, des motifs géométriques typiques de la sécession viennoise, ou encore de petites scènes allégoriques retraçant la vie des champs ou le travail à l'usine, un genre que la IIIème République a pratiqué avec autant de constance que d’enthousiasme. En s'éloignant un peu, on arrive assez vite à l’extraordinaire avenue Foch, calme et large boulevard avec terre-plein central, quartier d’élection d’une grande
bourgeoisie qui y a construit les belles demeures qu’elle affectionne dans des styles assez divers, et qui vaut comme un modèle réduit de son homonyme parisienne. Au moins historiquement, un tel ensemble paraît à peu près unique, d'autant que, après 1945, il ne restait plus grand chose de ses équivalents allemands. Cette singularité, pourtant, n'est guère mise en valeur. Sans doute le souvenir de l'annexion qui lui reste inévitablement attaché, avec les comptes qu'il a fallu régler et dont on trouvera une trace dans la signature effacée de l'architecte du magnifique hôtel Royal, pèse-t-il encore.</p>
<p>Mais peut-être faut-il, plus banalement, mettre en cause la municipalité, et le mesquinerie de sa politique d'urbanisme. Dans la <a href="http://dirtydenys.net/?post/2018/04/20/palais" target="_blank">course</a> au mécénat culturel à laquelle se livre les métropoles, Metz aura eu son quart d'heure de modernité pour bien moins cher que ses concurrentes, avec le centre <a href="https://www.centrepompidou-metz.fr/une-architecture-unique" target="_blank">Pompidou-Metz</a>
inauguré en 2010. Objet un peu incongru posé sur une dalle à proximité de la gare, il vient d'être flanqué d'un centre des
congrès conçu par Jean-Michel <a href="http://www.wilmotte.fr/fr/projet/418/Centre-de-Congres-de-Metz" target="_blank">Wilmotte</a>, un bâtiment austère, rigoureux, adapté à sa fonction et bien mieux intégré à son environnement qu'un lieu culturel qui se contente de satisfaire à son impératif d'excentricité. Une incursion vers le
sud-est permet d'entrevoir l'école nationale d'ingénieurs, typique de l'amour qu'<a
href="http://www.architecture-studio.fr/fr/projets/mtz1/ecole_nationale_d_ingenieurs.html" target="_blank">Architecture
Studio</a> porte aux toitures en S, laquelle clôt la courte liste
des constructions récentes dignes d'intérêt.<br />
Mais la promenade ne s'arrête pas là. De retour en ville, en s'enfonçant dans le quartier impérial, en doublant un large secteur
en travaux, on découvre, comme souvent, un trésor inattendu, l'église <a
href="https://structurae.info/ouvrages/eglise-sainte-therese-de-lenfant-jesus" target="_blank">Sainte-Thérèse</a>.
Conçue par Roger-Henri Expert, bien connu des parisiens pour son groupe scolaire rue Küss, et par Théophile Dedun, sa structure en béton paraissait encore moderne lorsqu'elle fut achevée au milieu des années 1950. Autant dire qu'au début des travaux, en 1937, elle était d’avant-garde. Aujourd'hui bien dégradée, elle fait pourtant face à un spectacle désolant.</p>
<p>L'espace dégagé par la destruction d'un ancien hôpital aurait pu
être mis à profit pour fabriquer l'un de ces <a
href="https://www.10ansdesdocks-confluence.fr/" target="_blank">quartiers</a> modernes qui vous inscrivent une ville dans le XXIème siècle et font la fierté d'un maire dans les colloques internationaux. Que l'on se soit, à la place, contenté d'une anonyme <a href="https://www.perl.fr/coeur-imperial-l-hermine-metz-57" target="_blank">architecture</a>
de promoteur donne la mesure d'une absence d'ambition, laquelle s'exprime aussi dans cet autre poncif, la candidature à l'UNESCO qui passe ici par un discours de publicitaire recyclant ces <a href="https://metz.fr/actus/2016/160914_le_patrimoine_en_lumiere.php" target="_blank">arguments</a>
ordinaires que l'on retrouve à l'identique dans tous les
bulletins municipaux. À Metz comme à Bruxelles, l’autoroute débouche en pleine ville et, ici aussi, la municipalité n'a pas compris, au-delà de l'anecdote ou du coup d’éclat, l'intérêt de mener une politique architecturale. Au moins, en visitant Metz, on comprend mieux pourquoi Nancy est devenue la capitale française de l'Art nouveau.</p>fortiusurn:md5:9a2697df9d23e4a7fc6f82ec0312e4132017-10-26T19:28:00+02:002017-10-27T18:32:51+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p> Indubitablement, c'était une bonne idée. Si bonne qu'il eut été dommage de tout gâcher d'un coup. Désormais, un peu comme avec ces jeux vidéos dont les déclinaisons se développent à l'infini en promettant des <a href="https://youtu.be/KFHZ7yDQDA0" target="_blank">plaisirs</a> sans cesse renouvelés, <a
href="http://dirtydenys.net/?post/2016/02/04/green" target="_blank">Réinventer Paris</a> ne cesse de s'étendre, sur l'espace géographique comme dans le champ institutionnel. La <a
href="http://www.metropolegrandparis.fr/fr/content/inventons-la-metropole-du-grand-paris-les-51-laureats-gagnent-le-pari-de-laudace" target="_blank">Métropole</a> du Grand Paris, cette strate qui recouvre l'ancien département de la
Seine agrandi de quelques dépendances et qui vient s'intercaler entre départements et région, vient donc d'annoncer les résultats de sa propre compétition architecturale. Et c'est géant, tellement plus grand, plus haut, plus fort que le ridicule petit concours parisien avec ses choux et ses carottes, lui qui fait si provincial à côté avec comme unique morceau de bravoure le projet des <a href="http://www.oxoarch.com/front/project/mille-arbres" target="_blank">1000
arbres.</a> Ici, plus question de ré-accommoder des restes, ces quelques bouts de friches et autres garages à l'abandon qui
formaient le maigre capital foncier de Réinventer Paris.<br />
Il faut dire que, en sortant de la capitale, la densité baisse de moitié et le foncier abonde. Dès lors, on avait de quoi voir
large : 51 lauréats dont <a
href="http://www.batiactu.com/edito/inventons-la-metropole-joinville-le-pont-terrain-bi-metal-50843.php" target="_blank">Batiactu</a> fournit un catalogue raisonné, plus de 7 milliards d'euros à investir, 14 000 logements, 53 9000 emplois qui s'installeront dans de nouveaux bureaux, et des stars à foison. Le concours revendique ainsi la participation d'<a
href="https://youtu.be/wqMuL7ByGHQ" target="_blank">Architecture Studio</a>, d'Édouard François, de Dominique Perrault, de Kengo Kuma, de l'inévitable Shigeru Ban et des nordistes, l'OMA, MVRDV, Snøhetta pour un premier projet français, sans oublier une figure tutélaire d'exception, Lord Richard Rogers, architecte du <a
href="https://www.rsh-p.com/projects/centre-pompidou/" target="_blank">Centre
Pompidou</a> et du <a
href="https://www.rsh-p.com/projects/bordeaux-law-courts/" target="_blank">tribunal</a>
de Bordeaux. <br />
Parfois de manière fort spectaculaire, parfois au prix d'une banalité qui en devient provocante, on trouve surtout là un prétexte
à quantité de classiques programmes de logements et de bureaux, qui viendront bien souvent entourer les <a
href="http://dirtydenys.net/?post/2017/10/13/vandales" target="_blank">gares</a>
du futur réseau extra-métropolitain, et en particulier ce déjà
célèbre carrefour Pleyel dont l’aménagement touche à la <a
href="http://maudcaubet.com/fr/2017/10/19/laureat-concours-inventons-metropole-grand-parissite-pleyel-saint-denis/" target="_blank">démesure</a>. Ne sachant trop où donner de la tête, on va essentiellement
s'intéresser à un lieu où l'on a ses habitudes, la <a
href="http://www.culture.gouv.fr/culture/dp/patrimoine-xx/pages/res_maison_peuple_clichy.html" target="_blank">Maison du Peuple</a> de Clichy-la-Garenne.</p>
<p>Monument historique, la Maison du Peuple possède tous les inconvénients associés aux entassements de pierres branlantes qui représentent l'essentiel de cet inventaire sans posséder leur avantage décisif, ce charme inégalable qui fait l'admiration du
public et la <a href="http://www.ville-clichy.fr/415-renovation-du-pavillon-vendome.htm" target="_blank">fierté</a>
des maires, ce pourquoi ils jugent indispensable de consacrer des sommes considérables à rénover un modèle de bâtiment qui existe à des milliers d'exemplaires dans tout le pays. Unique au monde, la Maison du Peuple souffre, entre autres, de cette qualité de prototype qui rend son entretien fort onéreux, d'autant que la mécanique complexe de cette construction modulable n'a jamais vraiment fonctionné. Les réhabilitations déjà entreprises l'ont été si lentement, et si partiellement, qu'elles impliquent de tout reprendre depuis le début une fois les travaux terminés. Proposée au concours de la Métropole, elle y jouait un peu le rôle de cette cousine éloignée au physique ingrat dont on a la charge, et pour laquelle il faut impérativement trouver un prétendant.</p>
<p>Son prince charmant sera le <a
href="http://www.groupeduval.com/inventons-metropole-grand-paris-groupe-duval-laureat/" target="_blank">Groupe
Duval</a> associé à un collectif d'architectes où l'on retrouve Rudy Ricciotti avec son amour du béton finement ciselé et des
projets tonitruants, Antoine Dufour et <a href="http://lba-paris.com/projet/2514/" target="_blank">LBA</a>. Et ils arrivent
avec une proposition radicale puisqu’il s'agit de bâtir une surélévation un peu spéciale, une tour de vingt-sept niveaux qui surplombera l'aile ouest du bâtiment, autrefois maison des syndicats, aujourd'hui désaffectée. Édifiée par dessus trois niveaux
d'un parking souterrain qui n'existe pas encore, transperçant le monument historique, le projet, pour de très vulgaires raisons
techniques, financières et réglementaires laisse déjà un peu <a
href="http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_7870" target="_blank">sceptique</a>.
Mais ses effets sociologiques intriguent encore plus.<br />
Aujourd'hui, seul un marché bihebdomadaire anime la Maison du
Peuple. <a
href="https://twitter.com/dirtydenys/status/921313863227924480" target="_blank">À
l'intérieur</a>, la traditionnelle variété de commerces de bouche ; à l'extérieur, vêtements et chaussures destinés à une clientèle pour laquelle seul compte un prix le plus bas possible. Une offre qui correspond bien à une ville pas vraiment pauvre, mais pas loin de l'être. À la place, on aura donc du "fooding avec food-court bio", une librairie, une annexe du Centre Pompidou ; par dessus, on nous promet un hôtel quatre étoiles, un restaurant, une centaine de logements avec vue imprenable sur le palais de justice de Paris, et un toit végétalisé avec, inévitablement, ses ruches et son potager.<br />
On coche ainsi toutes les cases du bingo anglo bobo, le co-working, le fooding, le fitness, et même si l'on doit déplorer l'oubli du fablab, toutes les marques du prestige bourgeois, tous les poncifs de l'écolo urbain, sans oublier l'indispensable hommage à la culture légitime, version avant-garde. Les concepteurs réussissent l'exploit de cumuler en un unique lieu rigoureusement tous les critères de la distinction. Le paradis du bourdieusien, en somme.</p>
<p>À quoi rêvent les édiles de la Métropole ? De quelle manière pensent-ils métamorphoser leurs territoires délaissés en ce genre de <a href="https://youtu.be/ZoIh0Fk_xeo" target="_blank">Blade Runner</a> diurne et ensoleillé ? Quelle population éternellement jeune, active et fortunée viendra, par la magie d'un réseau de transport extrêmement
coûteux et encore à construire, s'installer ici, aux dépens des gens modestes qui habitent déjà ces lieux ? Les obstacles,
techniques, financiers, sociaux, sont si nombreux que ce vertigineux concours vaut surtout par ce qu'il révèle de l'imaginaire de
l'aménageur, son uniformité, sa superficialité, son obsession pour le dernier truc à la mode qu'il faut intégrer en priorité. La
réalité, ce bien vilain génie, se chargera-t-elle de faire en sorte que les choses tournent mal ?</p>vandalesurn:md5:e82951604c9b2881ca7fad5eddfdf9682017-10-13T19:30:00+02:002017-10-13T18:37:24+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Ce qu'il y a de bien avec les publications de l'APUR c'est que, si contrainte soit leur thématique, il y a toujours moyen d'en faire un usage imprévu. Prenons ce tout récent <a
href="https://www.apur.org/fr/nos-travaux/logements-quartiers-gare-grand-paris-express" target="_blank">rapport</a>
qui croise l'une des compétences principales de l'Atelier - le logement - avec un sujet propre à satisfaire ses commanditaires -
le futur réseau de transports du Grand Paris Express. Pour l'essentiel, et comme souvent, cette étude vaut par son appareil
cartographique aussi varié que détaillé. Et elle permet de mieux comprendre la fulgurante évolution urbanistique que connaissent deux communes qui, un jour prochain, profiteront des bienfaits de la ligne 14 prolongée, Clichy-la-Garenne dans les Hauts-de-Seine, et sa voisine Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis.</p>
<p>Malgré la frontière, celles-ci partagent en effet un destin politique commun. Saint-Ouen, lors des élections municipales de
mars 2014, a basculé à <a
href="http://www.leparisien.fr/municipales-2014/municipales-les-communistes-perdent-des-bastions-et-reprennent-d-autres-31-03-2014-3725067.php" target="_blank">droite</a>, signant ainsi une des plus grosses prises de feue la banlieue rouge. À <a
href="http://www.francetvinfo.fr/politique/municipales-partielles-dans-les-hauts-de-seine-la-droite-conserve-asnieres-et-conquiert-clichy-la-garenne_962639.html" target="_blank">Clichy</a> où, par la faute du Conseil d’État, on revota en juin 2015, la ville, socialiste depuis le congrès de Tours, changea elle aussi de bord. Or, on sait comment ça marche, en particulier lorsque l'on a, comme ici, affaire à des victoires fragiles : le premier acte des nouveaux élus sera de bétonner leur électorat, ce que, d'ailleurs, à l'évidence, leurs prédécesseurs faisaient aussi, mais en sens inverse. Ici, on abandonne le logement social au bénéfice de la promotion privée, opération sans risques puisque, par définition, l'on dispose de marges. Pour l'heure, la <a
href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/notes/2015/note54.pdf">réglementation</a>
impose en effet dans ces villes un quota minimal de 20 % de logements sociaux. Or, à <a
href="https://opendata.hauts-de-seine.fr/explore/dataset/taux-de-logements-sociaux/table/?sort=annee" target="_blank">Clichy</a>,
on dépasse les 33 % ; à <a
href="https://www.senat.fr/questions/base/2006/qSEQ060221487.html" target="_blank">Saint-Ouen</a>,
on ne doit plus être loin des 50 %. De quoi, en somme, faire bâtir des milliers de logements privés sans bousculer les
barrières légales. De plus, comme le montre le document de l'APUR,
ces deux villes présentent des avantages spécifiques.<br />
Il y a d'abord la <a
href="http://www.anru.fr/index.php/fre/Accession-en-zones-ANRU" target="_blank">zone ANRU</a>, à l'intérieur de laquelle, sous certaines conditions, divers taux réduits de TVA s'appliquent à l'achat d'une résidence neuve. Toute la portion utile de Saint-Ouen, celle qui n'est pas occupée par la chaufferie urbaine, les entrepôts et l'usine d'incinération d'ordures, une bonne partie du territoire de Clichy, le long de la Seine ou, à l'opposé, de Paris, zones périphériques où subsistent encore quelques réserves foncières, profitent de ce dispositif. Par ailleurs, entre le nouveau palais de Justice installé porte de Clichy, le siège de la région Île-de-France à la mairie de Saint-Ouen, et, juste entre les deux, le futur <a href="http://campus-hopital-grandparis-nord.fr/" target="_blank">CHU</a>, on se trouve au cœur de ce qui deviendra à coup sûr le triangle d'or du Grand Paris. On conçoit que l'arrivée de la ligne 14 marque, en quelque sorte, le coup d'envoi de la grande ruée. L'APUR ne s'y trompe pas, publiant des coupures de presse qui désignent ces lieux comme des endroits où il devient presque trop tard pour investir.</p>
<p>Ainsi, à Clichy, on bâtit du logement privé, <a
href="https://www.coffim.fr/acheter-un-logement/immobilier-residentiel/160/horizon" target="_blank">ici</a>,
<a href="http://www.interconstruction.fr/logement/garden-station/" target="_blank">ici</a>,
<a href="http://www.sogeprom.fr/programme-promoteur/faubourg-17/ target="_blank"">là</a>,
<a href="http://villabaker-clichy.fr/ target="_blank"">là</a> ou encore <a
href="http://preference-home.com/mini-site/index.php?id=6" target="_blank">là</a>
ou bien
<a
href="http://www.eiffage-immobilier.fr/logement-neuf-clichy-amadeus.html target="_blank"">
là</a>, sans que cette sélection ait quoi que ce soit d'exhaustif. Et la clientèle à laquelle cette avalanche de nouveautés se destine n'est pas la seule propriété qui tranche avec les choix urbanistiques propres à la municipalité précédente.<br />
Sans doute par la vertu d'un adjoint amateur d'architecture, les logement sociaux construits à Clichy étaient alors signés Eva
Samuel, Louis Paillard, Avenier Cornejo, Brenac & Gonzalez, Hamonic + Masson, équipes à la notoriété au moins nationale, et qui témoignaient d'une politique qui avait valu à la ville la rare distinction d'une <a
href="http://www.lemoniteur.fr/article/prix-d-architecture-du-moniteur-les-laureats-2009-1022717" target="_blank">Équerre</a>
d'argent. Les bâtiments d'aujourd'hui ne sont qu'anonymes exemples d'une architecture de promoteur. Au moins ont-ils la décence de rester quelconques, et de se distinguer en cela des <a
href="https://logement.bnpparibas.fr/fr/immobilier-neuf/ile-de-france/93-seine-saint-denis/93400-saint-ouen-sur-seine/avant-seine-cote-ville" target="_blank">immondices</a>
<a href="https://www.nexity.fr/neuf/38__38070" target="_blank">variés</a> édifiés
dans la ville voisine, avec de plus un <a
href="http://www.soignetagauche.fr/2017/04/enquete-sur-un-gros-village/" target="_blank">projet</a>
dont on entendra sûrement parler.</p>
<p>Le drame de ces nouveaux maires de droite est qu'ils arrivent trop tard. On sent bien à quel point, à l'image de leur modèle
levalloisien, ils auraient souhaité balkanyser leur ville, à coup de pseudo-haussmannien vaguement bourgeois, pierre plaquée et toitures en zinc. Mais le foncier manque, et le peu qui subsiste incite, en particulier à Saint-Ouen, à tenter ces greffes
audacieuses qui risquent fort d'être rejetées, à vandaliser aussi les <a
href="http://archipostalecarte.blogspot.fr/2017/09/saint-ouen-journees-europeennes-de.html" target="_blank">témoignages</a> d'un passé à raser, ferraillé comme un vulgaire pavillon Baltard,
ignorant au passage combien, aujourd'hui, ça peut <a
href="https://www.gqmagazine.fr/pop-culture/sorties/articles/prouve-le-marche-de-l-art-a-la-cote/28426" target="_blank">valoir</a>,
du Jean Prouvé.<br />
Toujours ironique, l'histoire a laissé à Clichy un bâtiment du
même constructeur. À lire la petite <a
href="http://www.inventonslametropoledugrandparis.fr/site/la-maison-du-peuple/" target="_blank">annonce</a>
publiée sur Inventons la Métropole, on imagine qu'on se débarrasserait volontiers de ce tas de ferraille. Hélas, la Maison
du Peuple de Marcel Lods et Eugène Beaudoin, ces architectes modernes qui, comme d'autres tels André Lurçat, appartiennent à la fameuse mouvance des <a href="http://itineraires.revues.org/1422" target="_blank">compagnons</a>
de route du Parti Communiste, ne se trouve pas être un simple monument historique, mais, après la villa Savoye, le deuxième
bâtiment moderne français le plus connu au monde. Ces nouvelles terres ont un long passé, et quelques coups de masse, quelques coulées de béton ne suffiront pas à le faire disparaître.</p>niveau 4urn:md5:bc5f0ead2cc5728c7dd8af0c173768e32017-07-27T19:45:00+02:002017-08-01T15:36:44+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Il n'était sans doute guère utile de prêter attention à la déclaration ambiguë et intempestive du ministre de l'Environnement, ce clown sinistre et nuisible, <a
href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_nicolas-hulot-cree-la-stupefaction-parmi-les-syndicats-de-l-energie?id=9657363" target="_blank">chiffrant</a>
à dix-sept le nombre de réacteurs nucléaires à fermer dans un délai de huit ans. On s’inquiétera plus de la <a
href="http://www.france24.com/fr/20170711-fermetures-centrales-nucleaires-a-moyen-terme-bien-promet-philippe-philippe" target="_blank">réaction</a>
du pompier en service à toute heure et sur tous les fronts, le Premier ministre. Car, globalement, il confirmé les dires de son ministre, sur l'objectif, sinon sur le calendrier. Plus encore, il a justifié ce programme qui s'annonce, pour le moins, extrêmement risqué, infernalement complexe et diablement inconséquent de la façon la plus pauvre, par un pur argument d'autorité. Un observateur caustique s'amuserait sans doute de la légèreté avec laquelle sont prises des décisions aux conséquences redoutables, de la foi inquiétante en l'efficacité d'une parole supposée commander et à la nature, et à l’infinie complexité technologique d’une société moderne. Mais un esprit plus terre-à-terre partirait plutôt à la recherche de faits, se demandant ce que la manière nationale de produire de l’électricité peut bien avoir de si répréhensible, pour que les autorités qui en ont la charge lui en
veuillent à ce point. Et rien de tel pour entamer cette analyse que de s'intéresser à un critère aujourd'hui déterminant, le bilan carbone.</p>
<p>On dispose pour cela, depuis peu, d'un outil précieux. Née d'une <a
href="http://www.tmrow.com/#team" target="_blank">initiative</a> franco-danoise, une <a
href="https://www.electricitymap.org/?wind=false&solar=false&page=country&countryCode=FR" target="_blank">carte</a>
permet de comparer les systèmes de production d'électricité d'une quantité croissante de pays selon leurs émissions de dioxyde de carbone, et en fonction des choix énergétiques faits par chacun d'entre eux, choix qui dépendent, à leur tour, de facteurs variés. Ainsi la nature a-t-elle généreusement doté la Norvège, et, à des degrés un peu moindres, la Suède, l'Autriche ou la Suisse, d'eau et de montagnes, conditions idéales au développement de l'hydroélectricité. Choisir cette technologie génère à son tour deux avantages décisifs, puisqu'on dispose alors d'une électricité peu chère et décarbonée, et que celle-ci vous place en position idéale pour jouer les donneurs de leçons auprès de voisins moins
favorisés ceux, en particulier, qui obtiennent des résultats similaires grâce à une méthode différente, l'électronucléaire.<br />
Tel est, bien sûr, le cas de la France. Et la même carte permet une comparaison fructueuse entre deux pays qui partagent un fardeau commun, l'insuffisance de leurs ressources hydroélectriques. Bien avant que l'on ne s'inquiète du réchauffement climatique, la France avait donc massivement choisi ce nucléaire que, voici peu, l'Allemagne a décidé d'abandonner, consacrant à la place des sommes considérables au développement de capacités éoliennes et photovoltaïques dont le cumul dépasse aujourd'hui très largement
le nucléaire national. Pourtant, dépendant en fait du charbon, le kW/h germanique émet couramment six à dix fois plus de carbone que le français. En somme, par le plus grand des hasards, cette fameuse transition énergétique vers une électricité décarbonée s'est déroulée en France dans les années 1980, et la mutation que prévoit le gouvernement ne peut que dégrader la fiabilité, le coût et le bilan carbone du système. Cherchant une justification à ce paradoxe, on n'en trouvera qu'une : la peur.</p>
<p>Celle-ci, on a déjà eu <a
href="http://dirtydenys.net/?post/2013/11/08/patience" target="_blank">l'occasion</a> d'en parler, reste irrépressible. Malgré tout, et même si un tel exercice est aussi utile que de boucher le trou de la digue avec son doigt pour éviter que la pression de l'eau n'entraîne son effondrement, on va considérer l'électronucléaire comme une activité banale et regarder comment, en opération, elle se comporte du point de vue de la sûreté. Une telle approche implique de laisser de côté l'accident de <a
href="http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-tchernobyl-1986/consequences-industrie-nucleaire/Pages/sommaire.aspx" target="_blank">Tchernobyl</a>, conséquence d'une expérience menée de façon criminelle par des opérateurs qui, pour respecter leur programme, ont désactivé toutes les sécurités possibles, mais aussi celui de <a
href="http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/accident-fukushima-2011/crise-2011/impact-japon/Pages/1-impact-seisme-installations.aspx?dId=db585815-06cb-446d-a49f-809bdfef3841&dwId=d3b93d43-4423-470e-ad89-e2c4035373e1" target="_blank">Fukushima-Daiichi</a>, où des réacteurs vieux de quarante ans se sont automatiquement arrêtés après un tremblement de terre d'une intensité bien supérieure à celle qui fut prise en compte lors de leur conception. On dispose pour cela d'un outil qui permet d'étalonner, de l'incident banal de niveau 1 comme on en recense chaque année une centaine en France, à l'accident majeur de niveau 7, tout ce qui se passe mal dans la manipulation de la radioactivité, l'échelle <a
href="http://www-ns.iaea.org/tech-areas/emergency/ines.asp" target="_blank">INES</a>.</p>
<p>En première hypothèse les accidents, qui commencent avec le niveau 4, devraient, au fil du temps et des soixante ans d'exploitation des assemblages nucléaires, et en dépit de leur rareté, se montrer suffisamment nombreux pour permettre de constituer une base de données apportant des enseignements généralisables. Mais ce n'est pas si simple, notamment à cause du caractère fourre-tout de l'échelle INES. Il faudra piocher ici et là, sur le site de <a
href="http://www-ns.iaea.org/tech-areas/emergency/ines.asp" target="_blank">l'association</a>
des exploitants de réacteurs, ou dans cette page du <a
href="https://www.theguardian.com/news/datablog/2011/mar/14/nuclear-power-plant-accidents-list-rank#data" target="_blank">Guardian,</a>
ou encore chez <a
href="https://en.wikipedia.org/wiki/Nuclear_and_radiation_accidents_and_incidents#Nuclear_power_plant_accidents" target="_blank">Wikipedia</a>.
Même ainsi, la pêche est maigre. En fait d’accidents de niveau 5 sur un réacteur d'une centrale nucléaire en cours d'exploitation, on ne trouvera guère que la fusion partielle
d'un cœur à Three Mile Island, en Pennsylvanie, le 28 mars 1979. Descendant d'un cran, on arrive au niveau 4 : Saint-Laurent des Eaux le 13 mars 1980 avec, là aussi, fusion partielle du cœur, Bohunice en Tchécoslovaquie le 22 février 1977, Lucens en Suisse le 21 janvier 1969.<br />
L'expérience se révèle donc peu concluante. Tout au plus permet-elle de conclure combien de tels événements sont rares, anciens, et impossibles à rapporter au fonctionnement actuel du système. Car il faudrait supposer pour cela qu'aucun progrès n'ait eu lieu en matière de sûreté depuis quarante ans, alors même que, par exemple, l'utilisation du graphite comme modérateur, caractéristique des réacteurs français de première génération comme à Saint-Laurent des Eaux, mais aussi du RBMK de Tchernobyl, a été abandonnée.</p>
<p>Voilà quarante ans, sur un campus bien connu de l'actuelle ministre des Universités, le visiteur pouvait, à côté d'un manifeste marxiste orthodoxe agrémenté d'une faute de français par ligne, admirer une caricature anti-nucléaire représentant un scientifique en blouse blanche allumant la mèche d'une bombe tout en accompagnant son action d'un commentaire : "ça tiendra". Cette bombe symbolisait une cuve produite par le forgeron nucléaire de l'époque, Creusot-Loire, cuve que, déjà, l'on accusait d'être
fissurée. Quarante après, on est bien obligé de le constater : ça a tenu.<br />
La courte histoire de l'électronucléaire montre, d'une certaine façon, la manière banale dont une technologie radicalement neuve se développe, apprend de ses erreurs et améliore progressivement sa fiabilité. Cette histoire, évidemment, ne dit rien de phénomènes par définition nouveaux, puisque liés au vieillissement des installations. Mais on peut faire aveuglément confiance à <a href="https://www.asn.fr/" target="_blank">l'ASN</a>, qui semble tout faire pour prévenir la construction de nouveaux réacteurs nucléaires sur le
sol national, pour veiller au grain.<br />
Mais ce bilan technique, sanitaire, financier même ne pèse guère face à la force des représentations. L'urgence réelle, celle d'un réchauffement climatique pour l'heure peu sensible dans les pays développés, compte bien moins que la peur, avec la croyance unanime en des solutions de remplacement dont l'exemple allemand montre l'ineptie. Peut-être s'apercevra-t-on un jour que la fine barrière qui séparait le tolérable du meurtrier tenait entièrement dans ce refus irrationnel de la plus efficace des énergies décarbonées,
après l’hydroélectricité. Aux humains qui resteront alors, ce constat apportera, en guise de consolation, une preuve de plus de la toute puissance des constructions sociales. Dommage qu'il se trouve tant de scientifiques pour nier leur existence.</p>bouclageurn:md5:3db83bd462f5296de8cbcfa666b272df2017-03-31T19:37:00+02:002017-04-03T18:24:17+02:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Noyé dans le tohu-bohu général, l'accord international signé le 29 mars dernier à Paris est resté à peu près inaperçu. On ne trouvera guère qu'une maigre <a
href="http://uk.reuters.com/article/uk-environment-autos-idUKKBN17023Z" target="_blank">dépêche</a> du site britannique de Reuters pour en rendre compte : Anne Hidalgo, maire socialiste de Paris, et Sadiq Khan, maire travailliste du Grand Londres, se sont retrouvés afin d'annoncer une initiative
commune, la mise en place d'un système de notes attribuées aux véhicules automobiles en fonction de leurs émissions polluantes. Le lendemain, l'internationale des capitales suffocantes accueillait un membre de plus avec <a
href="http://www.paris.fr/actualites/pollution-de-l-air-paris-londres-et-seoul-vont-creer-un-systeme-de-notation-des-vehicules-4684" target="_blank">Séoul</a>,
ville, au demeurant, où la question de la pollution atmosphérique se pose pour de vrai. Les mauvaises langues ne manqueront pas de relever qu'Anne Hidalgo saisit ainsi l’occasion de montrer, face à sa rivale Ségolène Royal, qu'elle aussi possède une stature mondiale, le <a href="http://www.c40.org/" target="_blank">C40</a> tenant ici lieu de Cop21. Et il est à craindre que ces esprits mal tournés n'en
restent pas là.<br />
Les faux naïfs, de leur côté, feindront l'étonnement : après tout, en France tout du moins, un tel classement existe déjà, puisqu'il se décline dans ces vignettes Crit'Air qui font la <a href="http://www.developpement-durable.gouv.fr/certificats-qualite-lair-critair" target="_blank">fierté</a> de l'actuelle ministre de l'Environnement. Mais celui-ci cache une faille, propice à une exploitation politique. Il s'appuie en effet nécessairement sur la seule réglementation aujourd'hui en vigueur, avec des normes définies à l’échelon européen. Or, le protocole de mesure que celles-ci utilisent permet bien des optimisations, et en particulier, comme l'a montré dès 2014 un document de <a href="http://www.ademe.fr/emissions-particules-nox-vehicules-routiers" target="_blank">l'ADEME,</a>
une sous-estimation de plusieurs ordres de grandeur des émissions d'oxydes d'azote par les moteurs diesel, particularité aujourd'hui connue du grand public sous le nom de "scandale Volkswagen". Ségolène Royal, on le sait, a profité de cette situation pour lancer une <a
href="http://www.largus.fr/actualite-automobile/pollution-au-diesel-dautres-enquetes-possibles-selon-s-royal-8337386.html" target="_blank">commission</a>
d'enquête. Anne Hidalgo surenchérit donc, double la mise en impliquant d'autres capitales, et décide d'un dispositif qui, dépourvu par définition de dimension contraignante, se limitera à un appel aux bonnes volontés. </p>
<p>Mais il y a plus. Comme le précise la <a
href="https://www.london.gov.uk/city-hall-blog/mayor-unveils-new-cleaner-vehicle-checker-scheme" target="_blank">version</a> londonienne de l'histoire, le coupable désigné, le polluant en cause dans le <em>"dieselgate"</em>, se trouve donc être le NO2. Alors, certes, tricher, c'est mal. Mais, à Paris, la dernière alerte à la pollution impliquant cette substance a eu lieu en 1997. Alors, quel bénéfice attendre en termes de santé publique d'une diminution supplémentaire de la concentration en oxydes d'azotes ? Quelle peut être la véritable fonction d'une disposition qui vise à combattre un polluant qui n'a plus entraîné d'alerte depuis vingt ans ?</p>
<p>La réponse se trouve en partie à Londres, où l'une des mesures du <a
href="https://www.london.gov.uk/city-hall-blog/what-mayor-doing-about-air-pollution" target="_blank">plan</a> anti-pollution municipal consiste à <a
href="https://www.london.gov.uk/press-releases/mayoral/mayor-introduces-10-toxicity-charge" target="_blank">surtaxer</a> les automobiles immatriculées avant 2006 quand elle circulent dans la zone centrale, dont l'accès est soumis à péage. Or, contrairement à une <a
href="http://blog.francetvinfo.fr/classe-eco/2015/03/22/mais-pourquoi-ny-a-til-pas-de-peage-urbain-a-paris.html" target="_blank">croyance</a> largement répandue, un péage urbain, qui s'applique sur une surface nécessairement exiguë, cherche seulement à réduire les embouteillages, et pas la pollution. Comparer les dimensions des zones de <a
href="https://tfl.gov.uk/modes/driving/congestion-charge/congestion-charge-zone" target="_blank">péage</a> urbain et de <a
href="https://tfl.gov.uk/modes/driving/low-emission-zone/about-the-lez" target="_blank">pollution</a> réduite à Londres, ville dotée du rare privilège de posséder les deux, permet de le comprendre. Poussant un peu plus loin la logique de Crit'Air, Sadiq Khan, de plus, efface totalement la distinction
entre diesel et essence, alors même que le premier représente, à Paris, 90 % des émissions de NO2. S'en prenant indistinctement à toutes les voitures à peine âgées de dix ans et plus, le maire de Londres, explicitement, ouvre ainsi un nouveau chapitre dans la chasse aux pauvres.<br />
Pour justifier de telles décisions, les édiles ont publié une <a
href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/0211922412100-londres-et-paris-unis-contre-la-pollution-de-lair-2075989.php" target="_blank">tribune</a>
dans la page opinions des Échos, cette espèce de réceptacle ordinaire du n'importe quoi, tribune dont l'outrance et la vacuité valent comme un nouveau sommet du genre. On y confond allègrement NO2, C02 et particules, on appelle en renfort l'OMS en oubliant que la population du monde vit pour l'essentiel dans des villes autrement plus pauvres que Paris et Londres, et bien éloignées des standards sanitaires des capitales européennes, on transforme des
études scientifiques en argument d'autorité tout en évitant soigneusement de mentionner la <a
href="http://www.aphp.fr/actualite/liens-entre-asthme-et-pollution-le-point-sur-les-travaux-menes-lap-hp" target="_blank">prudence</a> avec laquelle celles-ci exposent leurs hypothèses. Au fond, l'enseignement essentiel de ce texte tient en une ligne : mieux vaut que la science ne serve pas à éclairer les politiques publiques puisque, quels que soient les résultats que celle-ci présente, ils seront tronqués, manipulés, instrumentalisés, falsifiés pour les
contraindre à appuyer des décisions déjà prises.</p>
<p>Dans un entretien iconoclaste, <a
href="http://www.slate.fr/story/141983/declassement-diplomes-inegalites" target="_blank">Louis Maurin</a> fustige l'ethos de ces catégories sociales lourdement diplômées, électrices de Sadiq Khan ou d'Anne Hidalgo, très attentives à leur malheur, mais compatissant fort peu à celui de populations bien moins formées et bien plus précaires. On peut ajouter à la distinction éducative ainsi posée une dimension spatiale, opposant un centre ville où l'on se rêve en village paisible et verdoyant à une périphérie délaissée et peu accessible. Mais, en particulier à Paris, les habitants du centre disposent des ressources politiques et réglementaires nécessaires pour transformer le phantasme en réalité, ce qui implique de bannir totalement les véhicules à moteur thermique. Il semble que, cette fois-ci, le bouclage de la ville interdite approche de sa phase terminale.</p>marchonsurn:md5:656111f2548f6864cb5a45876acffef72017-02-27T19:24:00+01:002017-02-27T19:33:07+01:00Denys Bergravedid he fire six shots ? <p>Trouver le point de départ d'un changement social significatif relève toujours d'un arbitraire parfois intégral. Certes, avec le soutien qu'apporte un recul de quelques années, lequel dégage toujours les perspectives, on sent bien que, à un certain moment, quelque chose s'est passé, qu'une voie, sinon nouvelle, du moins délaissée depuis des décennies a été de nouveau empruntée, et qu'elle n'a depuis lors cessé de prendre de l'importance. Mais quand on n'est qu'un pauvre sociologue privé de ces robustes preuves qui font la fierté de sciences plus dures, et qu'on doit se contenter de quelques maigres outils, des observations, des comparaisons, des bibliographies, et parfois quelques statistiques, la vérité devient chose toute relative. Aussi peut-on se permettre de choisir n'importe quoi.</p>
<p>Voilà un peu plus de vingt ans, en France, a été promulguée la Loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie. Celle-ci, dans son article 1, reconnaissait à chacun le droit de respirer un air qui ne nuise pas à la santé. Cette noble déclaration, cette audacieuse création d'un droit nouveau rencontre hélas un obstacle de taille, puisqu'un composant vital de l'air en question, lequel joue notamment un rôle décisif dans le vieillissement cellulaire, objectivement, nuit gravement à la santé. Ce que proclame cet article premier, en d'autres termes, se révèle incompatible avec le fonctionnement de l'univers tel que nous le connaissons. <br />
Or, on n'a pas affaire ici à une simple coquetterie, à la satisfaction d'une petite pulsion narcissique chez un législateur s'imaginant écrire l'histoire. Car l'inscription solennelle, dans la loi, d'une telle disposition implique d'adhérer à un postulat aujourd'hui largement répandu, et selon lequel ce qui est naturel
ne peut pas nuire à la santé, et donc, en l'espèce, que l'homme seul peut rendre l'air toxique. À cet instant, le législateur invente un monde dans lequel la réalité physique n'a plus aucune importance. Dans ce qu'elle affirme comme dans ce qui la motive, une telle déclaration, plus que de l'ignorance, relève de
l'obscurantisme.</p>
<p>Ce vieil ennemi n'avait, au demeurant, disparu que dans les espoirs déçus de stricts positivistes. On n'en voudra pour preuve que le destin de cette sorte d'idéal-type de l'obscurantisme, l'homéopathie, rare survivant européen de ces multiples doctrines médicales pré-scientifiques oubliées avec l'avènement de la
médecine moderne. Hélas, à l'exception d'un historien, <a href="http://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2002-3-page-88.htm" target="_blank">Olivier Faure</a>, le sujet ne semble intéresser personne, la bibliographie sociologique fait totalement défaut et à peu près
rien ne permet de mesurer le poids de cette croyance. Tout au plus apprend-on, au détour d'un <a
href="http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=SEVE_015_0079&DocId=424541&hits=5441+5440+3871+3870+2771+2770+606+605+586+585+" target="_blank">article</a>, que la France, qui abrite 0,8 % de la population mondiale, consomme les deux tiers de la production totale de médicaments
homéopathiques. Une aussi exceptionnelle singularité ne peut manquer d'en évoquer une autre, relativement symétrique, celle qui
fait de la France le pays où l'on se méfie le plus des <a
href="http://www.vaccineconfidence.org/research/the-state-of-vaccine-confidence-2016/" target="_blank">vaccins</a>.</p>
<p>Si l'obscurantisme et, de façon bien plus générale, la défiance <em>a priori</em> à l'égard de la recherche scientifique, en France et ailleurs, ont indiscutablement pris de l'ampleur depuis deux décennies, ce phénomène, par définition vieux comme la science, connaît des expressions forts diverses selon les pays, la République laïque accordant par exemple fort peu d'espace aux doctrines créationnistes. Chaque pays, chaque aire culturelle affronte des obstacles particuliers, et l'ennemi, ce n'est pas seulement l’État.</p>
<p>On peut comprendre que la <a href="http://www.marchepourlessciences.fr/" target="_blank">Marche</a> pour les sciences organisée un peu partout le 22 avril prochain ne cite pas d'autre antagoniste. Parler au nom de la science comme idéal, réunir en une même protestation des individus et des entités qui
n'ont de commun que la manière dont ils cherchent à établir des preuves, relayer de façon improvisée un mouvement américain brutalement confronté à des enjeux vitaux contraint sans doute à des simplifications abusives, et interdit de mener une réflexion de long terme. Pourtant, si la défiance monte, c'est aussi parce que trop de scientifiques ont abandonné un combat qu'ils considéraient sans doute ne pas avoir à mener, alors même que personne ne le conduira à leur place.<br />
On a déjà décrit les malheurs de <a
href="http://dirtydenys.net/?post/2014/05/16/servilites">l'INRA</a> et la façon piteuse dont a pris fin une de ses dernières, sinon sa dernière, tentative pour planter un végétal transgénique. L'épisode montre bien l'impuissance du scientifique, de sa rationalité, des pauvres armes que lui procurent son légitimisme
et son respect des loi, face à une contestation radicale, violente, et, en l'espèce, <em></em>validée in fine par la justice. Mais un tel épilogue n'est possible que parce que, depuis vingt ans, portée par des activistes, sanctifiée par les media, une légende noire de la recherche scientifique a réussi à s'imposer, elle qui, par une sorte d'inversion du réel, transforme les <a
href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2017/feb/18/not-just-mmr-charlatan-we-should-denounce?CMP=share_btn_tw" target="_blank">faussaires</a>
en héros d'une vérité occultée, valeureux combattants d'une science alternative qui a trouvé en certains élus de fidèles soutiens et qui, au-delà de cette quasi-innocente manie de l'homéopathie, fait courir un danger majeur à la santé publique.</p>
<p>Alors, manifester, soit. Mais on ne peut se contenter des vagues objectifs auxquels aboutit inéluctablement la recherche du consensus le plus large. La complaisance à l'égard des postures relativistes qui prospèrent dans les sciences humaines participe aussi à l'affaiblissement de la science. Et, à l'image de
l'anthropologie, une discipline qui, avec ses objets d'études purement symboliques, se trouve particulièrement exposée aux charlatans et où, en conséquence, les <a href="http://lhomme.revues.org/23292" target="_blank">règlements</a> de comptes sont particulièrement sanglants, il faudra bien avoir le courage
de définir une limite, au-delà de laquelle on sort du champ scientifique. Le 22 avril, marchons, mais n'en restons pas là.</p>