Dans la chambre, c'était le silence. Un moteur d'avion bourdonnait au loin. L'aéroport se trouvait à environ cinq kilomètres de mon appartement. Les pilotes commençaient leur descente vers les pistes juste au dessus de l'immeuble et ça faisait toujours un bruit infernal. Je m'y étais fait. Ça ne me réveillait plus.
Couché dans mon lit, j'écoutais les bruits familiers de la circulation sur la grande avenue de Brevnov. Ces bruits ne faiblissaient pas. A cette heure tardive, il y avait une circulation inhabituelle. J'ouvris les yeux. Auréolée de brume nocturne, la lanterne jaune brillait d'une lumière tranquille.
Nouvelle explosion du téléphone. Je décrochai.

"Smiricky
- L'expérience a raté.
- Va au diable !" dis-je énergiquement tout en tendant involontairement l'oreille vers un vrombissement qui venait de là-haut. A moitié réveillé, mon cerveau enregistra que cela ne ressemblait pas au bruit d'un Boeing nocturne. L'autre moitié du cerveau s'éveilla en sursaut. Tout à coup, l'auteur de science-fiction n'avait plus besoin de me dire quoi que ce soit. Ça n'avait pas été un rêve. Simplement, la confluence de deux cauchemars, nocturne et diurne, en cauchemar de la réalité. Je répétai dans le combiné :
"Va au diable, Ocenas !" et, malgré moi, je laissai percer une certaine déception dans ma voix.
"J'y suis déjà. Avec toi. Les Frères sont arrivés.
- Ces avions ? C'est eux ?
- Les avions aussi. Et une colonne blindée arrive de Melnik. Ils devraient bientôt être chez vous, à Vokovice. Regarde par la fenêtre.
- Mais non. S'ils y étaient, je les entendrais. Les tanks, ça fait un bruit comme un chargement de ferraille."

Et déjà je les entendais sous ma fenêtre. Je me souvenais bien de ce vacarme. Pendant mes premiers jours de service militaire, ça m'avait terrifié. Puis, je m'y étais fait. En dix-huit ans, j'avais perdu l'habitude et la peur me prit à la gorge.
"Les voilà, dis-je dans le téléphone.
- Les tanks ?
- Ouais
- J'ai appelé chez Hejla. ça ne répond pas. Mon vieux, j'ai comme l'impression que les gars du KGB se sont déjà mis au boulot."
Je tremblais de tous mes membres.
"Dis pas de conneries !
- J'espère que c'est une connerie, dit l'auteur de science-fiction. Alors, salut et à bientôt en Sibérie!"

Josef Škvorecký, Mirákl, traduit du tchèque par Claudia Ancelot, NRF/Gallimard 1978