En matière de sociologie, on sait bien que la théorie du complot n'est qu'un moyen facile, dans tous les sens du terme, de masquer la faiblesse de ses arguments. Lance Armstrong, en remportant, plus difficilement qu'à l'habitude, un nouveau Tour de France, fournit une explication toute faite, et qui séduit la rédaction du Monde au point qu'elle s'y consacre, à coups de rumeurs et d'allusions, en totalité ces jours derniers, à sa suprématie : il s'est dopé.
Qu'en dehors de ses qualités physiques propres et de son histoire personnelle la stratégie de Lance Armstrong, qui s'entraîne comme un chien à monter des cols dans la neige, qui court uniquement le Tour de France, qui dispose des moyens financiers nécessaires pour réunir une équipe très cosmopolite et totalement dévouée, suffise à expliquer les quatre minutes qui le séparent de son suivant ne saurait, au yeux du journaliste, être pris en compte.

Alors, tout prend son sens unique : si Lance Armstrong finance une machine qui permet aux autorités du cyclisme de réaliser ces contrôles sanguins qu'on nous présente comme extrêmement efficaces, ce n'est pas pour prouver sa bonne foi, qui sera de toute façon mise en doute par le seul fait qu'il chercher à la prouver : c'est parce qu'il est très lié avec le président de l'Union Cycliste Internationale lequel, on l'imagine, aura, en retour, la bonne idée d'apprendre à la machine comment fausser ses mesures quand on lui présente le sang de Lance Armstrong, et de lui seul.

Texan, donc pire encore qu'américain, brutal, dominateur, calculateur, Lance Armstrong occupe une place diamétralement opposée à celle du héros romantique des chevauchées montagnardes et solitaires, Richard Virenque, auquel on pardonne facilement sa faute, puisqu'il a fini par l'avouer. Dans un pays où seul l'ostentation du geste compte, ses victoires de robot le feront d'autant mieux détester que tout, chez lui, rappelle cette compétition mondiale d'où, faute d'espérer y prendre part avec succès, l'on a préféré se retirer, se satisfaisant médiocrement de son orgueilleux isolement.