Prenons une rue étroite d'une ordinaire commune de la Petite couronne. Au nord, elle débouche à angle aigu sur un bouievard où, matin et soir, toute la banlieue nord-ouest défile. Au sud, elle croise à angle droit une rue au trafic plus important ; à chaque extrémité de ce segment long de moins de cent mètres, un feu tricolore, statistiquement, trois fois sur quatre, rouge. On l'aura compris, les conditions de circulation dans cette rue interdisent d'y dépasser les trente kilomètres par heure.

Profitant de la torpeur estivale et de la réfection de la chaussée, la municipalité a pourtant choisi d'y placer l'équipement le plus saugrenu et le plus inutile : un ralentisseur, en l'espèce du modèle plaque de béton pyramidale tronquée.
Les mêmes autorités qui prônent l'économie d'énergie par la baisse de la température du chauffage, ou le contrôle de la consommation d'eau par récupération des précipitations, qui conseillent, en somme, au citoyen de se restreindre dans ses besoins vitaux, n'éprouvent, elles, aucun scrupule à dépenser l'argent du même citoyen en équipements dont l'inutilité relève de la provocation.

Elle savent bien, pourtant, ces municipalités engagées dans cette folle compétition des fleurs et des ralentisseurs que ces investissements, par définition non productifs, ne peuvent que contribuer à une augmentation de la fiscalité locale dont, bien souvent, le poids est un motif premier des défaites électorales. Elle ne peuvent ignorer, quand bien même elles réussiraient à se prendre au piège de leur propre discours, que la contrainte de la réalité, qu'elles savent si bien imposer à leurs administrés et semblent incapables, y compris au plus humble échelon local, de s'appliquer à elles-mêmes, les emportera bientôt. En attendant, cette course vers l'abîme d'une machine bureaucratique autonome ne manque pas d'offir un spectacle aussi obscur que fascinant.