Sauf à cultiver ses préjugés comme la bonne du curé son jardin, difficile de ne pas voir dans le vaste mouvement de privatisation des services dits publics engagé un peu partout dans le vieux monde un moyen brutal de faire évoluer au forceps un système inefficace, ruineux et aujourd'hui largement destiné à entretenir les rentes de situation de ceux qui, parfois sur des générations, ont réussi à y faire leur nid.
On a seulement besoin, pour cela, d'un peu d'audace, celle qui a pitoyablement fait défaut à Alain Juppé lorsqu'il a raté l'occasion de détruire la SNCF, celle qui vient de permettre à Junichiro Koizumi de réussir son coup au delà, sans doute, de ses plus secrètes espérances.

Car il n'a pas suffit que les électeurs japonais, avec une participation massive, donnent à son Parti Libéral Démocrate et à son allié New Komeito une majorité des deux tiers qui permet à cette nouvelle diète de se passer de l'avis de la chambre haute : le Premier ministre a profité des élections pour exclure de son parti les opposants à son projet de réorganisation des services postaux, au profit d'un personnel politique plus jeune et plus féminin qui, à l'inverse de ces vieux caciques appuyés sur un clientélisme légendaire, lui sera totalement acquis. En somme, Junichiro Koizumi, avec une chambre introuvable depuis quinze ans, dispose maintenant du soutien nécessaire pour faire approuver un projet dont le rejet par la chambre haute avait précipité les élections et d'un parti désormais à sa dévotion, et vient donc, d'un seul coup, de tripler sa mise.

Sans doute, au fond, le véritable animal politique, comme l'authentique spéculateur, se reconnaît-il à cette faculté de tout risquer, comme au jeu, sur une intuition, et s'oppose ainsi radicalement à ce cheptel de fonctionnaires chez lesquels on dissout lorsque l'oracle en cour a lu dans ses sondages la certitude de la victoire. Et, en récusant ainsi un clientélisme aussi confortable que mortifère, les électeurs d'un des pays les plus âgés au monde viennent, incidemment, de donner au pays de vieux d'une vieille Europe une leçon dont on sait bien qu'il ne profitera pas.