On comprend que, conscientes d'avoir, à force de surexploitation, épuisé le filon de la grippe aviaire avant même qu'il ne se révèle réellement productif, craignant de lasser rapidement leur public avec ces images répétées et identiques de voitures incendiées, les rédactions des journaux télévisés guettent avec avidité, au moindre coup de vent de cette période hivernale, le plus infime signe de marée noire, laquelle, entre les images aériennes de propagation du fléau, les oiseaux repeints aux hydrocarbures, les édifiants témoignages, entre dégoût, courage, et ténacité, des habitants englués, sans compter la longue traque des vrais coupables, offre à tous leurs corps de métiers, cameramen comme enquêteurs, de la dramaturgie en abondance, du travail pour des semaines, et de la bonne conscience pour l'année.

Hélas, il semble bien que, pour l'instant, et par pure perfidie, aucun armateur ne se dévoue pour jouer le rôle du méchant : aussi est-on bien forcé de faire avec ce que l'on a. Samedi 12, le journal de France 3 nous apprenait qu'un cargo, maltais, donc forcément suspect, se trouvait en difficulté au large de la Bretagne, perdant une partie de sa cargaison. Malheureusement, ni produits chimiques, ni liquides toxiques, pas même un conteneur en bon acier ; le bateau venait de Finlande, où il avait chargé la seconde spécialité locale après le téléphone mobile : des planches de bois.
On sentait bien que, avec une information aussi capitale, on n'allait pas tenir bien longtemps : dès le lendemain, France 2 comme France 3 nous annonçaient l'arrivée du navire à bon port, gîtant fortement mais toujours à flot. Restent donc ces planches perdues en mer, qui, fidèles démonstration du principe d'Archimède, s'obstinent à flotter, et dont on essaye de nous persuader qu'elles présentent un risque pour la navigation. Quant au sort des marins, les seuls en danger dans l'affaire, il n'en fut pas question une seule seconde.