Faut-il que l'heure soit grave pour que Le Monde, que l'on avait connu plus consensuel, apporte, sur deux pages et dans son édition datée d'aujourd'hui, et en dépit de quelques contorsions, son soutien à Olivier Pétré-Grenouilleau, professeur d'histoire contemporaine de l'Université de Bretagne-Sud à Lorient, dont un récent ouvrage couvrant son domaine de spécialisation, Les traites négrières, est l'objet d'un pilonnage intensif et judiciaire de la part du Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais.

Le crime de l'historien, sans doute, se trouve moins dans ce qu'il écrit depuis déjà quelque temps, comme dans son Que sais-je datant de 1997 et par définition bien plus diffusé que l'ouvrage qui lui vaut aujourd'hui le Prix du Sénat du Livre d'Histoire, que, justement, dans le fait qu'un jury aussi compétent qu'insoupçonnable lui accorde ce prix. C'est là, en tout cas, que les hostilités commencèrent, par un billet de Claude Ribbe qui, au delà de l'inévitable mépris du Normalien-rue d'Ulm envers "l'universitaire de basse Bretagne", vise de façon flagrante la poursuite en diffamation, procès que Claude Ribbe ne pourrait que gagner puisque, s'il le perd, il lui sera facile de crier à l'injustice.
La passivité d'Olivier Pétré-Grenouilleau, qui ne releva pas l'insulte, le soutien qu'il reçu des membres du jury du prix du Sénat, et de quelques autres, ne pouvaient qu'exciter ses accusateurs, lesquels, le 15 décembre dernier, livrèrent un morceau d'anthologie. Derrière la grandiloquence, sous l'approximation, au travers du lapsus qui réjouira les freudiens et fait d'Olivier Pétré-Grenouilleau un professeur à "l'Université de l'Orient", on peut, en toutes lettres, lire la volonté de placer les traites négrières hors du champ de l'histoire, histoire à laquelle on dénie toute autonomie, revendiquant sa subordination au "peuple et ses mandants". Il n'y a rien de paradoxal à retrouver là des forces à l'oeuvre derrière la loi du 23 février 2005, dans cette volonté identique d'interdire aux historiens l'accès à une partie précise d'un passé qui est pourtant leur seul domaine d'étude, de peur qu'ils n'y trouvent autre chose que ce que l'on veut qu'il y ait, de crainte qu'ils n'oublient pas Zanzibar, et qui permet de revendiquer sans craindre de concurrence ni de contradiction ce si confortable statut de victime à perpétuité. On comprend que, dans une telle situation, il ne soit pas difficile, même pour un Monde diplomate, de choisir son camp.