Ce que l'on aurait aimé trouver étonnant dans l'ampleur prise par les réactions aux caricatures publiées dans le Jyllands-Posten, désormais si célèbres qu'il n'est plus besoin de préciser à quoi elles font allusion, ce n'est pas ce passage du minuscule au planétaire, qui place au centre de l'attention mondiale un quotidien publié dans une langue qui connaît de l'ordre de 5 millions de locuteurs, lequel passage, un peu à l'image de ces colorants grâce auxquels ont peut suivre depuis sa source le cours d'une rivière, fonctionne comme un marqueur, et permet de mesurer le temps nécessaire à la production de l'indignation, de cartographier les relais indispensables, et d'identifier les réseaux activistes sans lesquels l'affaire serait restée confinée derrière les frontières du royaume du Danemark.

On aurait souhaité, par exemple, que, pour une fois, l'internationale des calotins, cette trinité factice des religions monothéistes, qui ne s'unit que pour condamner, renonce à ce droit qu'elle s'est arrogée de contraindre les consciences, même celles qui se passent très bien d'elle ; on aurait apprécié de voir les bonnes âmes de toutes obédiences s'interroger un peu plus sur ces quatre mois qui ont séparé publication et réaction, et par lesquels, en prenant exemple sur la loi française, un éventuel délit de presse se serait trouvé prescrit avant même qu'une action ait été engagée.
L'indignation du vrai croyant, cette pièce assommante à force d'avoir été cent fois jouée, au même endroit et de la même façon, ne mobilise plus guère qu'une portion de la foule de quelques-uns des pays arabes, laquelle trouve dans ses manifestations de haine un pathéthique dérivatif à l'enfermement auquel, jour après jour, dans un monde de plus en plus ouvert, elle se réduit. La seule originalité de l'affaire se limite à la couleur des drapeaux brûlés qui, pour une fois, ne portent ni étoile bleue, ni rayures rouges et blanches.