Un mois est passé depuis que l'on s'est intéressé au triste sort du fier Clémenceau, dont la pathétique agonie se trouve aujourd'hui prolongée par la juridiction administrative, en Inde, où, n'en déplaise aux gazettes, la décision finale a toutes les chances d'être positive, et maintenant en France, où le commissaire du Gouvernement, Fouquier-Tinville des vieilles coques en dépit de son prénom breton, rend un avis que l'on peut se procurer sur le site des Echos.

Tout l'argumentaire du commissaire repose sur la question de savoir si, comme le soutient l'État, le Clémenceau, même sans armes et sans moteurs, reste un navire de guerre, auquel cas son exportation est régulière ou, et le doigt tremble au moment d'écrire le mot, s'il ne s'agit plus que d'un déchet, un amas de choses mortes, innommables et indéfinies, dont l'exportation hors OCDE est interdite. On aurait pu penser que le fait que ce navire ne soit plus qu'une coque, privée de sa propulsion, ces turbines et chaudières qui lui permettaient, à l'époque de sa splendeur, de taper les 30 noeuds, et que l'on a calorifugé à l'amiante, influerait sur la décision ; il n'en est rien. C'est le fait même d'étre exporté à des fins de démolition, au même titre, écrit le commissaire qui sait décidément trouver les mots qui blessent, "qu'un véhicule destiné à la casse ou abandonné dans une décharge", qui fait, selon lui, du vieux Clem un déchet.
Et c'est là que sa perfidie éclate dans toute son ampleur  : en feignant d'ignorer que ce que l'on exporte est, dans les faits, moins une coque que 25 000 tonnes de ferrailles du meilleur acier, de cette matière première indispensable aux sidérurgistes, et en particulier à ceux des pays émergents, lesquels, si l'avis est suivi, verront désormais leurs haut-fourneaux privés de la plus minuscule carcasse de voiture dès lors qu'elle se trouve sur le sol d'un pays de l'OCDE, la position du commissaire, appuyée en cela par des organisations écologistes acharnées à faire le bonheur des autres contre leur gré et sans même leur demander leur avis, et pour lesquelles le Clémenceau n'est qu'un ballon d'essai avant de s'attaquer à cette chaîne d'humiliations flottante que l'on eut autrefois l'imprudence d'appeler France, se révèle n'être qu'un coup tordu de plus dans la longue liste des entourloupes protectionnistes. On le voit, les Indiens ont encore tout à apprendre de la justice administrative de notre beau pays.