Pour défricher un terrain qui a l'apparence d'un inextricable maquis, on pourrait essayer de tracer une ligne de partage entre deux types d'associations civiles : celles, de loin les plus nombreuses, qui investissent un secteur humanitaire et philanthropique, et oeuvrent pour le bien commun d'une façon généralement discrète, voire anonyme, et celles, à l'image de Greenpeace, de la CRIIRAD ou de l'UFC - Que Choisir, dont la stratégie repose sur le coup d'éclat. C'est que ces entreprises du second type vivent de la production d'un matériau dont elle sont spécialistes, la peur pour Greenpeace ou la CRIIRAD, l'indignation, soutenue par une rhétorique de café du commerce, pour la plus remuante des associations de consommateurs.

Outre l'invention de cette notion, qui serait proprement révolutionnaire si elle ne sentait pas le catholicisme avarié, de surprofit, la dernière dénonciation de l'organisation se révèle aussi intéressante à analyser qu'élémentaire à démonter, tant la ficelle est grosse. En bonne logique, on comprend mal comment on peut prendre le soin de noter, pour s'en indigner, le résultat net de Total, 12 365 millions d'euros pour l'année 2005, tout en évitant soigneusement de constater, deux lignes plus haut sur la même page du même communiqué, que le groupe a payé 12 401 millions d'euros d'impôts, ou, autrement dit, et avec le taux de distribution de 32 % du "résultat net ajusté" que prévoit Total, que l'État touche, en gros, 50 % des excédents du pétrolier, et ses actionnaires moins de 17 %.
On ne comprend pas non plus cette double opération d'escamotage, qui fait comme si le bénéfice de Total dépendait uniquement de la revente de produits pétroliers sur le sol français, activité qui représente 24 % de sa seule distribution de produits pétroliers de tous types, laquelle n'est qu'une portion d'une activité aval qui ne génère que 30 % du résultat net du groupe, et comme si Total était seul bénéficiaire de la hausse des prix des carburants, et disposait donc d'un monopole de distribution sur le territoire national.

La diffusion du communiqué de l'association consumériste, le jour de la publication des comptes du pétrolier, dévoile, s'il en était besoin, le seul objectif de la manoeuvre : obtenir un rang honorable dans les nouvelles du 20 heures. Hélas, ça tombre mal : l'odyssée proprement homérique du Clémenceau risque de reléguer l'information dans la catégorie des brèves et de se conclure, pour cette fois, dans cette concurrence pour les minutes de publicité télévisée gratuite, par la victoire de Grenpeace.