L'avantage des intrigues connues se déroulant entre personnages codés, c'est que l'on peut prendre la représentation en route et par n'importe quel bout sans pour autant rien perdre de la pièce. Convoité par Pantalon-ENEL, vieillard libidineux aussi ignoble que maladroit, Colombine-Suez trouva donc son salut entre les bras d'Arlequin-GDF, ou, plus exactement, ses puissants parrains arrangèrent un mariage précipité qu'aucun rejeton en gestation ne semblait pourtant justifier. Pantalon, éconduit et furieux de l'être, jura alors d'aller chercher l'appui du Docteur bruxellois, lequel est lent à réagir, mais implacable dans la mise en oeuvre de ces décisions tellement difficiles à prendre. On soupçonnerait même Matamore, le grand argentier vantard, d'avoir joint à la dot quelques informations confidentielles, qui pourraient fort bien faire annuler le mariage, et, à terme, renvoyer chacun dans ses foyers.

Le rôle du Tartuffe est tenu de belle manière par la partie italienne, qui oppose les coup tordus de l'État français au fonctionnement transparent de son propre marché, en jetant un voile discret sur les manoeuvres d'Antonio Fazio, inamovible président de la Banque d'Italie démissionné fin décembre dernier, pour avoir frauduleusement cherché à empêcher la prise de contrôle de la banque Antonveneta par le néerlandais ABN-Amro, et de la Banca Nazionale del Lavoro par l'espagnol BBVA, épisode qui vaut à Gianpiero Fiorani, ancien président de la BPI, de dormir en prison. Et le costume de Polichinelle convient tout à fait à cette journaliste de France 3, qui s'étonne de la résistance française alors que les Italiens ont permis à EDF de racheter l'électricien Edison, en oubliant de préciser qu'ils avaient au préalable pris le soin d'empoisonner toute la pharmacie d'Edison, par le vote d'une loi qui, même en possession de la majorité du capital, limitait à 2 % les droits de vote d'EDF chez l'électricien italien. Et seule la sanction de Bruxelles avait permis de lever l'obstacle, et de conclure l'affaire.
La meilleure critique de la pièce se trouve dans Les Echos, sous la plume d'Henri de Castries, PDG d'AXA : " La France ne doit pas devenir le locataire acariâtre de la maison Europe. Cela pourrait lui coûter cher lors des prochaines réunions de copropriété." Enfin, parmi les dindons de la farce, on trouvera à la fois les salariés, les actionnaires de Suez auxquels on propose d'échanger une de leurs actions, valorisées 32 euros avant le lancement de l'offre, contre une action GDF qui valait 28,6 euros, et, comme toujours, les Belges, dont l'électricien national, Electrabel, est une filiale de Suez, et dont personne n'a songé à solliciter l'avis. Et être un dindon, par les temps qui courent, est une position plutôt inconfortable.