Accous, une commune de la quatrième circonscription législative des Pyrénées-Atlantiques, abrite depuis 1925 une usine fabricant de la poudre d'aluminium pour peintures automobiles ; jadis Péchiney, elle emploie 150 personnes et appartient aujourd'hui au japonais Toyal. Sur son site de Lacq, commune de la troisième circonscription législative des Pyrénées-Atlantiques, Total dispose de terrains avec commodités sur lesquels Toyal songe à installer une nouvelle unité de production. Entre les deux, en ligne droite, mesurés sur une carte au 1/200 000 ème, quarante-sept kilomètres.
Quarante-sept kilomètres, et le député UDF de la quatrième circonscription, maire de Lourdios-Ichère, son village natal, Jean Lassalle, l'excentrique de l'assemblée, persuadé, malgré les incessants démentis de Toyal, que l'ouverture de Lacq entraînera la mort d'Accous, entame, dans la salle des Quatre Colonnes, celle à laquelle la presse peut accéder, une grève de la faim. Quarante-sept kilomètres et, sans rire, avec même un mortel sérieux, on s'inquiète de mondialisation : puisque cela risque d'être dans le canton d'à côté, forcément, dans l'acception la plus littérale que peut prendre le terme, on délocalise. Plus besoin de Chine ou d'Inde, de Limerick ou de Trnava : quarante-sept kilomètres, et c'est l'autre monde.

Heureusement pour la majorité, en ces temps de mobilisation urbaine la presse internationale, habituellement grande consommatrice de ce genre de bizarreries, est dans la rue et pas à l'Assemblée, assemblée qu'elle fréquente d'ailleurs assez peu. Dans le cas contraire, elle n'aurait pas manqué d'assurer la promotion du député-gréviste puisque, par-delà sa singularité, Lassalle montre tout : un système politique purement clientéliste, nourrit par la position clé du député-maire, monté à Paris pour arracher des bribes d'avantages au profit des habitants de son bled, et au détriment de ceux des bleds des autres, devenu, avec une économie désormais affranchie du pouvoir d'État, totalement inefficient, le poids écrasant, au travers d'un découpage électoral conçu pour la favoriser, d'une ruralité morte, le refus, radicalement à l'opposé de l'abnégation d'un Popina Mai, du plus minime effort d'adaptation, effort que l'on préfère rejeter dans l'ordre du moralement inacceptable, puisqu'il est imposé par une contrainte externe et oblige à changer sa manière de penser, refus grâce auquel, avec complaisance, on se croit courageux alors qu'on est seulement lâche, voire même, au bout de l'impuissance, l'incapacité du parti au pouvoir à imposer un semblant de discipline à ses propres troupes.

Heureusement pour nous, la presse est occupée ailleurs, et risque de ne pas diffuser le message de Jean Lassalle, au sens pourtant limpide : les investisseurs qui ne sont pas en mesure de garantir, comme seul, pour l'instant, sait le faire l'État français, un emploi à conditions immuables, du berceau à la tombe, sur le lieu même de leur implantation, et pas quarante-sept kilomètres plus loin, feraient mieux, pour créer leurs postes au rabais, d'oublier les Pyrénées. Il se pourrait même que, pour ce qu'ils ont à offrir, dans la campagne française, voire dans la France tout court, ils ne soient pas les bienvenus.
Au-delà des châtaigniers, il y a le monde, et le monde, on n'en veut pas chez nous.