Pour peu qu'il soit correctement contextualisé, tout matériau peut servir à l'analyse sociologique, même les logs d'Apache. Ce petit carnet, d'un objectif assez limité et très spécifique - recueillir de courts éditoriaux sarcastiques qui n'apportent pas d'information particulière et n'appellent généralement pas de commentaire particulier - et d'une mise à jour assez épisodique, a pourtant retenu l'attention de François Brutsch, le suisse de la coupole. Le 14 avril il repère donc, avec un temps de retard fort compréhensible en plein drame du CPE, mon billet consacré à la bouffonerie Lassalle, ce qui génère un peu de trafic : 21 visites le 14, 33 le 15. Ensuite, avec Pâques, l'intérêt retombe : 6 visiteurs le 16, 8 le 17. Entre temps, le 15 avril à 12h55 Jules, de Diner's room, remarque l'histoire chez Swissroll et, dans la soirée, met en ligne sa fable qui recèle un lien vers mon billet. Tanstaafl, le même jour, fait pareil. Les visites restent rares : chez Jules, 2 le 15, 8 le 16, 7 le 17, et chez Tanstaafl, 3 le 15, puis rien avant le 18. Le 18, les gens rentrent de vacances, et vont naviguer au bureau : pour la journée, 43 visiteurs viennent du Swissroll, 2 de Tanstaafl.
Chez Jules, le même jour, 2 visiteurs avant 10h30 ; à ce moment-là Eolas, en qui certains voient l'actuel parrain de la coupole, publie une courte note recommandant la lecture de la fable de Jules qui contient ce lien vers mon article. Dociles, ses lecteurs cliquent : 204 visiteurs de chez Jules pour le reste de la journée, 77 le lendemain, 21 le 20 avril, et encore 25 le 22. Impossible à ce niveau, puisqu'il s'agit d'un ricochet, de faire la part des lecteurs de Jules, et de ceux qui sont venus au travers d'Eolas : côté Swissroll, le retour de vacances se montre, lui aussi, bénéfique, avec 43 visiteurs le 18, puis la baisse est rapide : 17 le lendemain, un seul le 20, 9 le 21, 10 le 22.

Lieu Commun, la coupole, regroupe des auteurs qui partagent nombre de caractéristiques, en particulier une certaine forme d'anonymat : par là-même, ils s'interdisent ce recours à un prestige social préexistant, que l'on trouvera, à titre d'exemple, sur les blogs d'universitaires, rares à ne pas rappeler la carrière de leur tenancier, et se doivent donc de le construire eux-mêmes. Il ne partent pas de rien : dans ce monde-là, tenir son blog implique une capacité à produire, plusieurs fois par semaine, un contenu suffisamment marquant pour se distinguer de l'ordinaire journal intime rendu public, et donc souvent directement dérivé d'une activité professionnelle intellectuelle, et à répondre soi-même aux exigences techniques, requêtes SQL et bidouillage de feuilles de style, qui assureront la permanence de l'outil, et sa singularité visuelle. À partir du tout-venant des blogs, ces deux seuls critères suffisent à générer une sélection considérable, laquelle sera amplifiée par les blogrolls, ces modes circulaires d'élection, et fournira, malgré l'anonymat et l'absence de repère physique, une raisonnable certitude de se retrouver en pays connu et entre bac+5, lesquels sont parfaitement à même de mettre, comme dans ce commentaire du jour, les importuns à distance.

Ces échanges de pair à pair suffisent, à l'intérieur du groupe qui s'élabore ainsi, à construire une réputation ; dans le cas d'Eolas, qui satisfait plus qu'aucun autre aux critères définis plus haut, elle attire l'attention d'instances de légitimation externes, vaguement inquiètes de ce surgissement brutal de concurrents potentiels et friandes de cocktails en ville, puis, fort logiquement, de cette sorte d'instance au carré que reste le quotidien de référence lequel, par son choix, permet à ses lecteurs le court-circuit de ce long et laborieux processus de sélection.
Pour autant, au travers des liens, tout le monde, même le plus humble, profite de cette nouvelle clientèle. Et voilà comment on génère du trafic sur son blog.