La scène se passe de nuit, sur ce que l'on devine être une petite route de campagne ; un homme sort d'un fourgon anonyme, ouvre les portes arrières, puis se précipite pour rejoindre sa place. Dans le véhicule, l'ourse slovène hésite un instant, puis s'élance, et se perd dans la nature, suivie quelques secondes, en contre-champ, par une seconde caméra, fixe, automatique, et plantée au même point que celle qui a capté le début des opérations.
Ce lâcher clandestin d'hier soir se trouve aux antipodes de ceux auxquels on assistait au commencement du programme de réintroduction, alors que l'on délimitait un tunnel en forêt pour que public et caméras suivent sans danger et aussi longtemps que possible le cheminement des ours, sortes de cérémonies diurnes de réparation où l'on rendait solennellement à la nature ce dont l'action de l'homme l'avait indûment privée. Mais si, désormais, ils ne sont plus publics, ils restent publiés, puisqu'on prend la peine de témoigner aux yeux du monde, avec éclairage et caméras, qu'ils ont bien eu lieu.

On devine difficilement ce qui a bien pu se produire entre-temps, mais on sent bien la présence de ces deux groupes absolument disjoints dont les pressions de l'un, exercées au bon endroit, au bon moment et par les bonnes personnes ont pu produire une décision administrative que le Conseil d'Etat vient d'avaliser, et qui, aujourd'hui, s'impose à ce que l'on ne peut qualifier autrement que de volonté du peuple, de celui, du moins, que l'on force à cohabiter avec l'ours. Le même appareil d'Etat qui, quand il s'agit de ressusciter le serpent de mer de sa propre réforme, jure que rien ne sera fait sans l'accord de ceux qui, jusqu'à présent, ont parfaitement réussi à faire échouer la plus infime de ses tentatives, se montre beaucoup moins préoccupé de tenir compte de l'avis des populations quand celles-ci sont numériquement faibles, économiquement marginales, géographiquement isolées, et par là-même fort limitées dans leur capacité de nuire. On se contentera, donc, de céder sur l'accessoire, la publicité des lâchers, pour assurer, en toute discrétion et à moindre coût, les réintroductions, tout en prenant soin de faire savoir, images à l'appui que, même lâchement, force reste à la loi.
On tient là un sujet sociologique qui, s'il n'est pas aussi fondamental que le développement des cultures de maïs OGM que, forcément, et pour cause, dans la lignée d'Henri Mendras et de son maïs hybride, on étudie à l'INRA, mérite bien que quelqu'un s'y consacre, histoire, par exemple, de ne pas laisser tout le territoire à Sciences Po qui occupe déjà celui du loup.