Le snobisme qui figure au nombre des raisons d'être de ce carnet interdisant de s'intéresser à ce dont tout le monde parle, on n'a pas encore évoqué l'histoire Clearstream, et cela aussi en partie parce que cet insignifiant déballage de vilaines petites combines ne peut que susciter l'ennui chez tout individu normalement doué de raison. De fait, il n'en restera sans doute que le vague souvenir de ce feuilleton qui, par ses rebondissements aussi inattendus que soigneusement planifiés joue, pour les lecteurs du quotidien du soir, en promettant confidences et révélations, secrets partagés et vérité vraie, strictement le même rôle que les déboires conjugaux des vedettes d'occasion qui peuplent les pages de la presse sentimentale.

Pourtant, dans ce procès-verbal de l'audition du général Rondot mis fort obligeamment à la disposition du monde entier, un élément que personne n'a pris la peine de relever retient l'attention : le témoin décrit, le plus naturellement du monde, et dans un style totalement Lemy Caution, comment, soucieux de vérifier les capacités de pénétration de l'informaticien qu'il a engagé comme pirate, pour effectuer donc des opérations qui, depuis la LCEN, sont passibles d'un an de prison et de 15 000 euros d'amende, il regarde celui-ci, dans le parc de l'observatoire de Meudon et par le relais d'un téléphone portable, pénétrer par effraction et avec succès sur les serveurs de Clearstream. Le vocabulaire utilisé par l'observateur, "pianoter les touches", "mettre les codes", "problèmes de liaison parce que l'ordinateur n'était pas assez puissant", en dit long sur ses compétences techniques, et donc sa capacité à juger l'épreuve comme concluante. Car rien ne dit, bien sûr, que le site piraté était le bon ; rien ne dit, à supposer que l'on se trouvait bien chez Clearstream, que l'on ne visitait pas l'un de ces classiques systèmes de défense connus sous le vocable de "honey pot", ce qui, en bon français, et pas en geeklangue, se traduit par piège à cons.

Mais ce qui frappe, surtout, c'est que, hors de tout cadre légal et sur injonction du Premier ministre, un haut fonctionnaire trouve absolument normal de charger un individu, par ailleurs poursuivi pour escroquerie, de violer la confidentialité des transactions d'un des pivots du système d'échanges de titres, donc que, en d'autres termes, l'État sache tout, en pleine illégalité et pour l'Europe entière, de ces mouvements privés, et qu'il n'éprouve aucun scrupule à piétiner cette confidentiatlité qui, depuis toujours, est la condition sine qua non de la moindre transaction bancaire.
Hereusement que les organismes de ce type savent assurer leur défense car, pour ce qui est de compter sur le respect de ses propres lois par l'État-pirate français, on n'est pas près d'y arriver.