le feuilleton de l'été social
Moins d'un mois après l'annonce de la fermeture de l'usine Peugeot de Ryton sur laquelle Hugues, pour une fois coiffé de sa casquette de journaliste, a
donné une très intéressante analyse, l'arrêt des activités de la Sogerma à Bordeaux-Mérignac donne l'occasion d'une comparaison d'une rare pertinence. En apparence, les situations sont identiques : Peugeot interrompt l'activité de son usine britannique, faute de pouvoir y produire de façon compétitive un nouveau véhicule après la fin de sa production actuelle. EADS dont la filiale de maintenance Sogerma
a sextuplé ses pertes entre 2004 et 2005 engage une restructuration qui conduira à la fermeture de l'implantation de Bordeaux-Mérignac. En Grande-Bretagne, 2 300 emplois seront perdus ; en Aquitaine, un peu plus de 1 000.
Sauf que là où le fabricant automobile, "conscient de ses responsabilités sociales", se contentera de remplir ses obligations légales et n'offrira aucun reclassement, EADS, même si, sans doute, ses beaux jours sont derrière lui, peut encore, grâce à la croissance du marché aéronautique, proposer à tous les salariés de Mérignac un emploi que l'on imagine à peu près identique dans ses autres sites. Seule condition : il faudra quitter l'Aquitaine pour Toulouse ou Marignane.
Posée en ces termes, la secousse semble mineure. Elle suffit, pourtant, en première analyse, à déclencher une réplique du séisme habituel, mais en plus violent : les salariés occupent usine et pistes, le président socialiste de la région, que l'on avait connu plus inspiré lors des pitreries Lassalle, envisage de détourner la Garonne pour bloquer l'acheminenent vers Toulouse des éléments de l'A380, la presse télévisée, bien en peine de surenchère supplémentaire, parle de "salariés jetables", et jusqu'au Premier ministre qui, conscient d'avoir beaucoup à se faire pardonner, en particulier la fin des commandes publiques qui se trouve à l'origine des ennuis de la Sogerma, défère à la convocation des grévistes et se rend sur place, dans le but, sans doute, de démontrer une fois de plus à quel point
l'État est efficace quand il s'agit de retenir le flux de la globalisation qui coule entre ses doigts.
On pourrait, évidemment, répondre par la caricature à ces gesticulations ; pourtant, un point méconnu permet d'avancer une hypothèse très éloignée de celle des habituelles rigidités syndicales et autre clientélisme d'État : le plan proposé par EADS prévoit une centaine de mesures d'âge, donc de départs en pré-retraite pour des salariés de 55 ans. 10 % de plus de 55 ans, 50 % de plus de 45 ans : une fois de plus, comme chez STMicroelectronics, le déséquilibre de la pyramide des âges, dont personne ne parle, en fonction du principe selon lequel un employé sera d'autant moins enclin à quelque mouvement que ce soit qu'il compte en mois le temps qui le sépare de la retraite, joue à l'évidence un
rôle décisif. Si, comme tous les acteurs, les salariés de Sogerma cachent, inconsciemment, leurs intérêts privés sous le masque de la victime impuissante de l'ogre capitaliste et de la rapacité actionnariale, sous le discours du salarié intègre payant les erreurs de sa direction, coupable, à la différence de la puissance publique, de se mouvoir dans un monde où tout n'est pas écrit d'avance, on peut parier qu'ils sauront, en fonction d'une situation personnelle largement conditionnée par leur âge, à tort ou à raison, opter, individuellement, pour la solution qui leur paraîtra la plus favorable : certains, sans méconnaître les risques, on déjà choisi de jouer la montre.
La représentation promet d'être longue, et la pièce serait intéressante si l'on n'en connaissait pas déjà tous les futurs rebondissements : un peu en avance, le feuilleton de l'été social vient de commencer.
Commentaires
Il ne faudrait pas oublier un petit détail. Nos amis d'EADS ont désormais une dent contre un gouvernement qui les met dans l'embarras avec Clearstream (ils ont perdu un vide-président dans la bagarre, sans compter les affres des luttes de clans internes). Or comment mettre dans l'embarras un gouvernement ? En annonçant une grosse fermeture sur une terre d'élection (la région de Bordeaux en l'occurrence), surtout quand la fermeture en question peut être directement imputée à ce même gouvernement qui était le principal client de la dite firme que l'on ferme puisqu'il a décidé d'aller voir ailleurs (au Portugal dans ce cas précis). Si EADS ne sera sans doute pas "irresponsable socialement" (histoire de ne pas provoquer de colère syndicale dans ses autres établissements), on peut compter sur cette société pour embarrasser le plus possible médiatiquement le dit gouvernement.
C'est sans doute ainsi que raisonne un politique, et peut expliquer que Villepin, à défaut de Juppé toujours empêché, ait fait le déplacement. Je doute fort que l'on gère une entreprise comme EADS avec ce genre de conception. Tout au plus peut-on supposer que, après la perte des contrats militaires, EADS ne se soit pas profondément impliqué dans la recherche de solutions pour la Sogerma, qui représente pour elle une activité marginale et sans doute, comme dans bien des conglomérats de ce type, héritée d'un plus ou moins lointain passé.
Mais l'important était de comparer les situations françaises et britanniques, puisque d'un côté on fait un drame national, et un inadmissible scandale, du fait de demander, avec les indemnités en rapport, à 1000 salariés d'aller travailler deux à quatre cents kilomètres plus loin, et de l'autre personne ne se soucie d'une fermeture qui entraînera 2300 licenciements. Et pendant ce temps-là, la guerre des prix des fabricants de disques durs trouve son épilogue :
vallaurien.nuage-ocre.net...
Maxtor qui avait digéré Quantum est racheté par Seagate, lequel Seagate licencie la moitié de l'effectif de Maxtor, soit 6400 personnes : puisque seule la concentration permet d'imposer ses prix et de reconstituer ses marges, concentrons donc, et que les salariés payent la note.