Pour justifier son opposition à l'offre de rachat présentée en janvier dernier par Mittal Steel, indienne de coeur mais néerlandaise de nationalité, la direction du luxembourgeois Arcelor avançait un certain nombre d'arguments parfaitement crédibles : essentiellement composée d'actions Mittal, dont 88 % se trouvent entres les mains de la famille du fondateur, ce qui ne garantissait pas une transparence exemplaire, la valorisation de l'offre dépendait entièrement du cours d'une action dont les performances récentes sont bien inférieures à celles du titre d'Arcelor. Par ailleurs, l'outil industriel de Mittal, à l'image du complexe de Termitau, intégrant mines de fer et de charbon, production de coke et d'acier, ne serait qu'un assemblage d'aciéries vieillissantes rachetées au fil des privatisations de l'Europe de l'est, à la productivité faible et à la technologie bas de gamme. En l'absence de tout véritable projet industriel, Mittal chercherait en fait à mettre la main sur le savoir-faire d'Arcelor, et à récupérer sa trésorerie pour moderniser ses propres implantations. Et les relations de longue date entre Arcelor et Mittal, acquéreur en 1999 d'Unimetal, ne sauraient constituer une raison valable.
Ce discours n'a sans doute pas suffisamment convaincu les détenteurs du capital, comme n'ont pas suffit la carotte, par laquelle on rachète, non pas les actions, mais les actionnaires, ni le bâton, cette combine juridique qui retranche Dofasco des actifs du groupe. Face au risque de voir le parvenu indien, après l'amélioration de son offre, emporter le morceau, Arcelor brûle ses fourneaux : vendredi 26 mai, en plein milieu du pont de l'ascension, le groupe annonce sa fusion avec le russe SeverStal.

L'opération, il est vrai, ne présente que des avantages : construit à partir d'un de ces célèbres combinats de l'époque soviétique, l'outil industriel de SeverStal comprend mines de fer et de charbon et production de coke, assurant ainsi un approvisionnement sûr en matières premières. Propriété d'un unique actionnaire,  Alexey Mordashov, qui apportera les 82,57 % du capital qu'il détient en propre, la société russe offre de parfaites garanties de transparence : dans l'ordre de l'indice de corruption publié annuellement par Transparency International, la Russie occupe en effet la 126ème place sur 159 là où les Pays-Bas, terre d'asile de Mittal Steel, sont en 11ème position. De plus, Arcelor et SeverStal se fréquentent depuis bien longtemps, puisqu'il ont inauguré de concert une unité de galvanisation en avril 2006. L'opération, enfin, valorisera l'action Arcelor, qui valait 34 euros la veille, à 44 euros.
Le marché, l'éternel sceptique, ne paraît pas du même avis puisque, au soir de l'annonce, l'action, unique baisse du CAC 40, perdait 3 %, tandis que les agences de notation se montraient, à leur habitude, réservées. Au fond, la principale nouveauté de ce projet de mariage sera que l'actuelle direction d'Arcelor y conservera ses places. D'où l'on conclura, provisoirement, que, pour la vieille aristocratie industrielle, le nouveau riche sera fréquentable s'il s'agit d'un oligarque russe et pas d'un entrepreneur d'origine indienne, et s'il prend la peine d'assurer aux barons de l'acier le maintien de leurs privilèges. Et l'avenir se chargera de dire si le futur Président non-exécutif et actionnaire de référence d'Arcelor, désormais propriétaire de 32 % des parts, le jeune quadragénaire Alexey Mordashov, se contentera longtemps de jouer les utilités.