Voilà un temps infini, plus de vingt ans en fait, Actuel, alors dans sa deuxième vie, présentait quelques inconnus forcément pleins d'avenir, un couturier, Jean-Paul Gaultier, un architecte, en guerre, au travers de projets singuliers comme sa clinique de Bézons avec son esthétique industrielle et son revêtement en tôle d'aluminium, contre les contraintes absurdes des règlements d'urbanisme. Depuis, la carrière, toujours un peu provocante, de Jean Nouvel a connu le développement que l'on sait, et sa dernière commande, le musée du quai Branly, vient d'être livrée au public.

En ce dimanche après-midi d'avant finale, où l'on s'impose un couvre-feu à partir de 19h00 on n'aura, faute du temps que prendrait une attente qui se déploie jusque sur le trottoir mais aussi, on doit bien l'avouer, faute du plus ordinaire intérêt pour ce qui y est exposé, pas l'occasion d'apercevoir autre chose que l'extérieur du bâtiment. Encore faudrait-il en parler au pluriel tant, une fois franchi le mur de verre qui clôt la parcelle, technique déjà utilisée par l'achitecte pour sa fondation Cartier, cet invisible manifeste de la transparence, l'on découvre une stricte séparation des espaces et des fonctions. Coincés contre un alignement d'immeubles en pierre de taille, côté quai Branly, le bloc des bureaux, protégé par un de ces murs végétaux qui sont la spécialité de Patrick Blanc et, sur la rue de l'Université, les espaces techniques et commerciaux, dans un cube qui serait plus austère s'il n'était, murs comme plafonds, décoré par d'anonymes aborigènes australiens. Et au milieu du jardin, la nef principale avec, côté nord, ces intriguantes boîtes et, côté sud, des brise-soleil d'une technologie à l'évidence bien plus rudimentaire que ceux de l'IMA.
En regardant bien, on trouve quelques citations - des pilotis à la Corbu, un espace hélicoïdal pour les expositions temporaires à l'image inversée du Guggenheim de Franck Lloyd Wright - et l'on imagine ce qu'il en restera dans dix ans, derrière les arbres. Car ce jardin, qui couvre une grande partie de la parcelle et occupe une surface presque deux fois supérieure aux exigences du concours, prendra, au fil du temps et des habitudes des résidents, de plus en plus d'importance masquant, au propre comme au figuré, la nef du musée.

Ce musée du quai Branly, avec cette extraordinaire dénomination dont une oreille distraite comprendrait qu'il a pour seul but d'exposer son adresse, qui vise, par cette appellation neutre, à apaiser les conflits entre beaux-arts et ethnologie, à faire oublier les musées de l'Homme comme des Arts Premiers et, plus encore, celui des Colonies, montre à force de vouloir le cacher, ce qui gêne : l'ambiguïté du statut des oeuvres qui y sont exposées et, plus encore, des conditions dans lesquelles elles ont été acquises, dans un passé colonial, et à titre de simple curiosité. L'architecture, assez peu spectaculaire et bientôt camouflée derrière la nature, participe du compromis, et fait regretter ce qu'aurait, à la place, construit un Rudy Ricciotti qui, lui, n'a pas abdiqué sa radicalité.