Si l'adversité permet de recenser ses vrais amis, alors Singapore Airlines, historique premier client asiatique d'Airbus et qui, à l'occasion du tout récent salon de Farnborough, vient de commander neuf A380 supplémentaires ainsi que vingt exemplaires de cet A350XWB dont il n'existe pour l'instant que quelques dessins, fait indéfectiblement partie de ceux-ci. Du coup, on aurait tendance à oublier un contrat à peine plus ancien, puisque datant de fin juin, un peu moins volumineux, puisque concernant l'hélicoptère léger EC145, mais beaucoup moins ordinaire, dans la mesure où Eurocopter devrait fournir 322 unités d'une version militaire dénommée UH-145 à un client qui, malgré une longue histoire qui remonte jusqu'à l'Alouette II, entre pour la première fois dans son plan de charge : l'armée américaine. En général, quand celle-ci s'équipe à l'étranger, surtout quand il s'agit, comme ici, d'un programme de 3 milliards de dollars, c'est parce que la solution indigène, typiquement trop lourde et trop complexe, a échoué : autant dire que la fidélité de ce client qui fera tout pour ne pas avoir de nouveau besoin de ses produits s'annonce douteuse. La coïncidence des dates permet, cependant, de dresser une autre comparaison entre Airbus et Eurocopter, ces deux filiales d'EADS.

Car si Airbus, dès le départ, a été conçu comme un projet européen, c'est à dire franco-allemand, avec comme objectif le développement d'un avion de ligne permettant d'échapper à l'hégémonie américaine, projet dans lequel le si problématique A380 s'inscrit donc parfaitement, Eurocopter, à sa création en 1992, a hérité de tout ce que la France et l'Allemagne produisaient depuis trente ans en matière de voilures tournantes, et donc d'appareils concurrents, d'usines rivales, et d'un catalogue si bien pourvu en hélicoptères légers qu'on s'y perd. On pouvait penser, en d'autres termes, qu'il serait beaucoup plus difficile de rationaliser cet ensemble hétéroclite que de développer une famille d'avions de ligne qui ne subirait d'autre contrainte technique que de répondre aux besoins de ses clients. Dès lors, on doit bien conclure que, si Eurocopter s'y retrouve, s'il est capable de compliquer un peu plus et avec succès sa situation en associant l'italo-britannique AgustaWestland et le néerlandais Stork à la production du NH90, si, autrement dit, il fait mieux qu'Airbus tout en ayant eu plus de chemin à accomplir, c'est parce que, comme souvent, trop peu visible, pas assez connu, trop affaire de spécialiste, tellement moins, avec ses modestes outils de secours en montagne, propre à susciter l'admiration des foules qu'un Concorde ou qu'un A380, il n'intéressait pas les politiques, catégorie dans laquelle on rangera les élus, la haute administration, aussi bien que ce tout petit cercle de cadres dirigeants familiers des élus comme de la haute administration, tous en concurrence permanente pour l'occupation des rares positions qu'ils jugent dignes de leur statut. Pour travailler en paix, vivons loin de ces convoitises.
Avec la commande de l'armée américaine toutefois, cela pourrait bien changer : car si, pour le connaisseur, l'achat des EC145, désignation Eurocopter du BK 117,  lequel fut le produit d'un développement conjoint réunissant, avec Messerschmidt et Kawasaki, deux des principaux avionneurs de l'Axe, possède quelque ironie, la production partielle sur le lac de Constance d'un appareil qui, sans doute avant même la fin de l'année, connaîtra sa première utilisation opérationnelle en Irak a de fortes chances d'exciter la si puissante corde pacifiste germanique.